Le président du Pakistan Pervez Musharraf a entamé vendredi son second mandat, mais le premier en civil, face à une opposition plus divisée que jamais après son annonce, la veille, de la levée de l'état d'urgence le 16 décembre. Il a pris de court les ex-Premiers ministres Benazir Bhutto et Nawaz Sharif, grands rivaux dans les années 1990, et qui n'en finissaient plus de s'interroger sur la conduite à tenir pour les futures élections législatives et provinciales du 8 janvier, chacun attendant que l'autre se détermine le premier quant à un boycott si le scrutin devait se dérouler sous état d'urgence. Dès l'annonce de M. Musharraf jeudi soir, Nawaz Sharif a proclamé triomphalement qu'une alliance de partis de l'opposition, dont le sien, bouderait les urnes. Quant à Mme Bhutto, qui a ostensiblement adouci le ton face au chef de l'Etat, elle a assuré que son mouvement participera aux élections... sauf si elle décide le contraire d'ici là. Deux jours après avoir démissionné de ses fonctions de chef des armées et abandonné son uniforme de général, comme il avait promis de le faire depuis plusieurs mois et comme le lui commandait la Constitution, le chef de l'Etat devait présider son premier conseil des ministres vendredi, pour la première fois en civil huit ans et un mois après le coup d'Etat qui l'avait porté au pouvoir. Après l'abandon de l'uniforme, il a paru céder jeudi soir à une deuxième exigence de la communauté internationale et de l'opposition: il a annoncé pour le 16 décembre la levée de l'état d'urgence qu'il avait décrété le 3 novembre. Il avait alors invoqué l'immixtion de l'ordre judiciaire dans les prérogatives de l'exécutif et la menace terroriste islamiste. Il avait ensuite estimé qu'il était nécessaire de maintenir cette loi d'exception pour assurer un environnement sécurisé pour les élections, au moment où le pays vit une vague d'attentats suicide très meurtriers (plus de 450 morts en quatre mois) et où les combattants islamistes proches d'Al-Qaïda gagnent du terrain dans le nord-ouest du pays. L'opposition, elle, l'accusait d'avoir violé la Constitution, le 3 novembre, pour mettre au pas la Cour suprême qui menaçait d'invalider sa réélection du 6 octobre, et de vouloir maintenir l'état d'urgence pour manipuler le scrutin du 8 janvier. "Maintenant, je pense que la situation générale s'est considérablement améliorée", a-t-il assuré jeudi soir, ajoutant: "Le processus démocratique se déroule selon le programme prévu et le terrorisme est de plus en plus sous contrôle". Et tandis que Nawaz Sharif a vilipendé un président civil investi "illégalement et anticonstitutionnellement", Benazir Bhutto a accueilli "favorablement" l'abandon de l'uniforme et l'annonce de la levée de l'état d'urgence, réclamant toutefois "davantage" et se réservant le droit de retirer les candidats de son Parti du Peuple Pakistanais (PPP), le plus important de l'opposition, au dernier moment. Mais l'annonce de M. Musharraf est habile et embarrasse l'opposition: un boycott ne peut être significatif que si le PPP s'y plie et la levée de l'état d'urgence interviendra au lendemain de la date-butoir pour le retrait des candidatures, le 15 décembre, veille également de l'ouverture de la campagne officielle. Diviser pour mieux régner... Nawaz Sharif, qui parlait jeudi soir au nom du Mouvement Démocratique de Tous les Partis (APDM), une alliance très hétéroclite de formations laïques, nationalistes et islamistes, dont certaines proches des talibans, a immédiatement senti le danger: il a juré de tout faire pour faire entendre "raison" à Mme Bhutto. Il a également laissé la porte entrouverte pour un éventuel revirement, assénant qu'un boycott ne peut réussir sans le PPP. Il participera aux élections si Mme Bhutto ne change pas d'avis, prédisaient vendredi les politologues et éditorialistes.