Dans cette interview nous pouvons constater les décors de yasmina Khadra, dans de nombreux pays: l'Algérie, l'Afghanistan, l'Irak, Israël... Il a inventé notamment beaucoup de personnages: un boxeur, une enseignante, un chirurgien, un paysan... Mais il ne s'était encore jamais glissé dans la peau d'un dictateur paranoïaque, héroïnomane et poursuivi par un peuple qui n'a qu'une envie: se venger d'un règne sanguinaire de quarante-deux ans. Dans La dernière nuit du Raïs (éditions Julliard), l'auteur de L'Attentat a révélé à nos confrères 20 minutes.fr les dernières heures de Mouammar Kadhafi. Un récit exalté, torturé et vertigineux qui emmène son lecteur dans les profondeurs d'une âme damnée. Nous vous proposons de lire l'entretien.
Pourquoi avoir choisi Mouammar Kadhafi comme personnage ? Pourquoi pas un autre ? Kadhafi est un personnage multiple, troublant, insaisissable, un véritable défi pour un romancier. Tenter de le cerner est un fantasme orgasmique. Ce souverain alliait l'humilité à l'extravagance avec une rare habileté. Il était son rêve et son délire, son miracle et son propre otage, la générosité et la cruauté la plus expéditive. Son cas me fascinait et m'ínterpellait depuis des années. Kadhafi portait en lui un formidable argument romanesque avec ses frasques et ses sorties spectaculaires, ses coups de gueule et ses accès de folie.
Pourquoi avoir choisi d'écrire à la première personne ? Je choisis souvent le "je" dans mes romans. C'est ma façon de me dissoudre dans le personnage, de le vivre pleinement de l'intérieur. Avec Kadhafi, cette expérience a été incroyablement physique. Je ressentais ses peurs, ses doutes, ses colères et comme lui, malgré l'issue que tout le monde connaît, je pensais qu'il allait s'en sortir. Bizarrement, je me croyais en mesure de changer le cours de l'histoire comme s'il s'agissait d'une fiction. J'ai vécu des moments étranges en écrivant ce roman. Jamais je n'ai connu une telle impression avec mes autres romans.
Comment avez-vous fait pour vous mettre dans la peau de Kadhafi ? Kadhafi est un personnage emblématique dans le monde arabe. Il suscitait autant d'interrogations que d'enthousiasme et habitait une bonne partie du débat politique au Maghreb. Dans un sens, il m'était presque familier. Je n'ai eu aucune peine à "squatter" ses états d'âme.
Comment vous êtes-vous documenté sur sa vie ? Je le suis depuis une trentaine d'années. Certaines anecdotes dans le roman, je les tiens d'un proche collaborateur de Kadhafi. J'ai aussi fait des recherches.
Avez-vous, tel un acteur, emprunté parfois des expériences/ressentis personnels ? Je me situe aux antipodes de Kadhafi, mais j'ai une certaine connaissance du facteur humain pour cerner et me substituer à mes personnages. Le New York Timesa écrit que j'étais " capable de dire l'homme partout où il se trouve ". J'essaye de mériter cette prédisposition flatteuse et contraignante à la fois.
Vous avez fait de Kadhafi un personnage de roman. Et pourtant, vous avez emprunté beaucoup de codes à la tragédie. Pourquoi ? Pour rester dans ce que la tragédie a de plus intime et instructif. Kadhafi aurait inspiré Sophocle.
Kadhafi voit sa vie défiler au cours de ses dernières heures. On entrevoit alors ses blessures intimes. Comme dans L'Attentat, vous semblez vouloir remonter aux racines du mal... Pour mieux l'expliquer, ou le comprendre ? C'est vrai, mais expliquer n'est pas cautionner car rien ne justifie le meurtre et rien ne légitime l'atteinte aux libertés.
Vous ne pensez pas que l'on naît monstre ? On le devient forcément, selon vous ? Même un tyran sanguinaire comme Kadhafi ? Je suis incapable de répondre à cette question. C'est peut-être pour cette raison que j'écris : pour comprendre l'Homme, cette merveille de la nature capable de tous les miracles sauf celui d'accéder au bonheur définitif.
Ecrivezz-vous sur un nouveau livre actuellement ? Je m'intéresse surtout au cinéma. J'ai fini un scenario pour Forest Whitaker et suis en train de travailler sur un projet ambitieux pour la télé francaise.