Les prix ont encore reculé en octobre au Japon, de même que la consommation des ménages, signes des difficultés de la troisième économie mondiale où la stratégie de relance "abenomics" n'empêche pas les récessions à répétition. L'archipel est peut-être sorti de déflation, si l'on en croit le gouverneur de la banque centrale Haruhiko Kuroda, mais la bataille est loin d'être gagnée. Hors ceux des produits périssables, les prix se sont repliés de 0,1% sur un an, et ce pour le troisième mois consécutif, a annoncé le ministère des Affaires intérieures. Ils avaient baissé en août pour la première fois depuis le lancement en avril 2013 par la Banque du Japon (BoJ) d'une vaste offensive monétaire, pièce maîtresse des "abenomics" lancées fin 2012 par le Premier ministre Shinzo Abe. Le choc psychologique initial a certes été salutaire, le yen s'est fortement déprécié face au dollar pour le plus grand bonheur des firmes exportatrices, la Bourse s'est envolée, mais le cercle vertueux appelé de leurs voeux par MM. Kuroda et Abe ne s'est jamais vraiment mis en place. "L'amélioration reste cantonnée au secteur des entreprises. En un sens, le cycle est au point mort, c'est pour cela que la consommation reste atone même si la situation s'améliore sur le front de l'emploi", a commenté Satoshi Osanai, économiste à l'Institut de recherche Daiwa.
Les patrons prêts à un geste La consommation des foyers, qui compte pour quelque 60% du produit intérieur brut (PIB), a ainsi fléchi de 2,4% en octobre par rapport à un an plus tôt, une statistique inférieure aux attentes. Outre la morosité des investissements des entreprises, sur fond de prudence face au ralentissement en Chine, partenaire commercial majeur du Japon, cette frilosité des ménages pèse sur la reprise nippone. Conscients du problème, le gouvernement, tout comme le gouverneur de la BoJ, n'ont de cesse d'exhorter les firmes à augmenter davantage les rémunérations de leurs salariés. M. Kuroda a récemment dit attendre "avec grand intérêt" les négociations salariales du printemps. Quant au Premier ministre Shinzo Abe, il est allé plus loin en fixant cette semaine un objectif chiffré, souhaitant que "le salaire minimum progresse de 3% chaque année". Le patron des patrons, Sadayuki Sakakibara, qui préside la fédération Keidanren, a fait un pas dans sa direction en appelant les compagnies aux bénéfices en hausse à "élever les salaires l'an prochain à un rythme supérieur" à 2015, selon des propos rapportés par la presse. Il a demandé en contrepartie la mise en place d'"un environnement d'affaires plus favorable" via des réformes structurelles, qui tardent pour l'heure à être engagées, et l'accélération de la réduction des impôts, déjà amorcée.
Le chômage au plus bas en 20 ans M. Abe vise un PIB de 600 000 milliards de yens (4 600 milliards d'euros) à l'horizon 2020, ce qui signifie qu'une croissance nominale de 3% par an est nécessaire, mais les économistes ne cachent pas leur scepticisme alors que le Japon va de récession en récession dans un contexte de déclin démographique. Dans l'immédiat, le gouvernement envisage des mesures de soutien pour sortir l'économie de sa torpeur, tandis que la BoJ privilégie le statu quo pour l'heure. Elle a d'ores et déjà annoncé qu'elle ne parviendrait pas à atteindre dans les délais espérés son objectif d'inflation de 2% en raison de la chute des cours du pétrole, mais elle juge la tendance des prix positive à long terme: si l'on exclut l'alimentation et l'énergie, ils ont progressé de 0,7% en octobre, bien que ralentissant (+0,9% en septembre et +0,8% en août). Les analystes sont désormais partagés sur la probabilité d'un nouvel assouplissement monétaire, certains misant sur un geste dans les premiers mois de 2016, quand d'autres jugent que la BoJ n'accentuera plus une politique qui a atteint ses limites. Lueur d'espoir, le taux de chômage a reculé de 0,3 point le mois dernier, à 3,1% de la population active, son plus bas niveau depuis deux décennies, un élément susceptible de pousser les salaires à la hausse, même si ce chiffre doit être relativisé du fait de l'essor des contrats "à temps partiel et à bas salaire", note Yoshiki Shinke, de l'Institut de recherche Dai-ichi Life.