Le projet patinait, la destruction du bombardier russe par la Turquie l'a provisoirement enterré: Moscou et Ankara ont cessé de négocier la construction du gazoduc TurkStream, avec lequel la Russie comptait à terme approvisionner l'Europe du sud en contournant l'Ukraine. Un an presque jour pour jour après avoir été sorti du chapeau à la surprise générale par Vladimir Poutine lors d'une visite en Turquie, le projet a été remis jeudi dans les cartons par son ministre de l'Energie Alexandre Novak: Les négociations sont suspendues. TurkStream avait été dévoilé en même temps que l'abandon, en pleine crise ukrainienne, du projet South Stream par la mer Noire, bloqu é par l'Union européenne. Il venait sceller l'orientation de la Russie, boudée des Occidentaux, vers les marchés émergents pleins de promesse, ainsi que l'amitié personnelle entre Vladimir Poutine avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. Un an plus tard, les deux hommes s'échangent invective sur invective depuis que l'aviation turque a abattu un Soukhoï russe à la frontière syrienne. Moscou a introduit une série de sanctions économiques contre Ankara visant le tourisme, l'agriculture... et mettant fin aux travaux de la commission économique chargée de négocier TurkStream, a précisé M. Novak. Le sort de l'autre grand projet de coopération en cours, la centrale nucléaire actuellement en construction par la holding russe Rosatom à Akkuyu (sud), reste en suspens. Concernant TurkStream, le projet initial prévoyait un début des travaux dès la mi- 2015 et de premiers approvisionnements fin 2016 avec, à terme, une capacité considérable de 63 milliards de m3 par an. Le dossier accumulait déjà les retards, mais Moscou les mettait sur le compte de la crise politique en Turquie et espérait voir l'horizon se dégager avec l'arrivée d'une majorit é absolue après les récentes législatives. Gazprom avait néanmoins déjà reconnu que les capacités ne dépasseraient pas 32 milliards de m3. NORD STREAM 2 CONTESTE C'est une mauvaise nouvelle pour Gazprom, résume Valéri Nesterov, analyste à la banque Sberbank CIB, d'une part parce que la Russie risque de perdre des parts de marché en Turquie, l'un de ses principaux clients, et d'autre part parce que le groupe public russe a déjà investi des milliards de dollars pour renforcer ses livraisons dans cette direction. Le projet est repoussé pour un an, mais à mon avis pas pour plus de deux ans, parce que la Russie a besoin de construire une branche du gazoduc avant la fin du contrat de transit avec l'Ukraine en 2019, veut croire cet expert. Avec TurkStream, la Turquie devait remplacer l'Ukraine comme principal pays de transit du gaz russe vers l'Europe, permettant à Gazprom de tourner la page de ses conflits gaziers permanents avec Kiev qui menacent au passage les approvisionnements européens. En quête d'aide financière, la Grèce avait déjà fait part de son intérêt pour le prolonger sur son sol avec un financement promis par Vladimir Poutine. A Moscou mercredi, le ministre grec de l'Energie Panos Skourletis a assuré à l'agence TASS que le projet restait d'actualité. Face aux retards, Gazprom a déjà lancé un autre projet, Nord Stream 2, censé renforcer les capacités de Nord Stream déjà en service entre la Russie et l'Allemagne via la Baltique. Si ce projet a déjà reçu le soutien capitalistique de plusieurs groupes énergétiques européens (Engie, Shell, OMV, BASF et EON), il rencontre l'opposition de plusieurs pays d'Europe centrale et de l'Est qui ont écrit au pré- sident du Conseil Européen Donald Tusk pour obtenir qu'il soit bloqué. Le commissaire européen chargé de l'Energie, Miguel Canete, avait indiqué en octobre qu'il ne constituait pas une priorité car les infrastructures existantes étaient déjà bien supérieures aux probables futurs besoins. Pour défendre le dossier, le patron de Gazprom Alexeï Miller s'est rendu à Paris mercredi où il a rencontré le secrétaire général de l'Elysée Jean-Pierre Jouyet et le ministre français de l'Economie Emmanuel Macron. Gazprom ne cesse de marteler que la consommation en gaz du Vieux Continent va augmenter dans les décennies à venir et que seule la Russie peut répondre à cette demande à des prix compétitifs.