La Turquie ambitionne de devenir une importante plaque tournante régionale du gaz avec deux nouveaux projets de gazoducs, qui doivent permettre à terme d'acheminer le gaz d'Azerbaïdjan et de Russie vers l'Europe. La Turquie et l'Azerbaïdjan ont commencé la semaine dernière à travailler sur le projet de gazoduc trans-anatotolien (Tanap) de 1.850 km de long, qui vise à fournir en 2018 dix milliards de mètres cubes de gaz naturel par an aux consommateurs européens et six milliards aux consommateurs turcs. Dans le même temps, les responsables turcs et russes négocient les conditions du projet Turkish Stream destiné à acheminer le gaz russe vers l'Europe via la Turquie, en passant sous la mer Noire. Avec ces deux projets, la Turquie est désormais dans une position extrêmement stratégique dans les rivalités croissantes entre Bruxelles et Moscou sur l'approvisionnement en gaz. Le rêve de la Turquie est de transformer la région ouest du pays qui borde la Grèce et la Bulgarie en un hub gazier, où de multiples gazoducs pourront acheminer le gaz pour les consommateurs européens. Mais si le gazoduc Tanap semble sûr d'être construit, le projet Turkish Stream est cependant beaucoup moins certain.
Devenir une plaque tournante prend du temps Des questions subsistent quant à savoir si la Turquie a les capacités suffisantes pour devenir un véritable hub gazier, qui exige beaucoup plus que la construction d'infrastructures de gazoducs. Pour devenir un carrefour énergétique, il y a un certain nombre d'éléments qui sont nécessaires, dont aucun n'existe pour le moment en Turquie, a affirmé Edward Chow chercheur au Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS). Il a souligné l'absence d'un solide système bancaire international et d'un solide système juridique pour résoudre les différends commerciaux classiques, ainsi que le manque d'installations de stockage. La Turquie a l'avantage de l'emplacement, il est proche de pays producteurs de gaz et de pétrole. Mais devenir une plaque tournante prend du temps, a-t-il ajouté. Le projet Tanap - d'un coût estimé à 10 milliards d'euros et dont la construction a été lancée par le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliyev - est fermement soutenu par l'Union européenne qui espère ainsi réduire sa dépendance au gaz russe. Mais les analystes expliquent que la Turquie devra augmenter la capacité totale de l'objectif initial - qui est de 16 milliards de mètres cubes de gaz par an - pour avoir un impact considérable sur l'objectif européen qui est de diversifier ses approvisionnements à l'écart de la Russie de Vladimir Poutine. A plus long terme, si Tanap augmente ses capacités cela lui donnera une plus grande importance. C'est quelque chose qui va sans doute arriver, mais cela ne sera pas imminent, a estimé Laurent Ruseckas, spécialiste du dossier à la société d'analyses IHS Energy.
Un projet difficile à imaginer Le projet de construction de Turkish Stream a été annoncé par Vladimir Poutine en décembre à Ankara, après l'abandon officiel par Moscou du projet South Stream de Gazprom. Mais la Russie et la Turquie, déjà reliés par le gazoduc Blue Stream, n'ont pas encore trouvé d'accords définitifs pour ce projet. En échange d'avoir accepté d'accueillir le gazoduc, la Turquie a obtenu de la Russie une réduction de 10,25% sur ses propres importations de gaz, une concession bienvenue pour un pays avec un ralentissement de croissance et une tension monétaire. Pourtant le quotidien russe Kommersant a rapporté la semaine dernière que les négociations avaient atteint une impasse sur les conditions tarifaires. Le ministre turc de l'énergie Taner Yildiz a toutefois insisté sur le fait que les deux parties étaient d'accord. Je présume ce qui va se passer, mais ce n'est pas près d'être fait, des accord définitifs doivent être négociés et signés entre le groupe russe Gazprom et turc Botas, a déclaré Laurent Ruseckas. Une fois que les accords seront signés, la volonté politique et le soutien financier seront indispensables pour construire les quatre gazoducs nécessaires pour créer la capacité envisagée, qui, comme South Stream, doit être de 63 milliards de mètres cubes par an. Un système de 63 milliards de mètres cubes par an, c'est difficile pour moi de l'imaginer, notamment à cause des tensions financières du géant gazier russe Gazprom et la pression des sanctions occidentales sur l'Ukraine, a expliqué M. Ruseckas. Un gazoduc a une capacité d'environ 16 milliards de mètres cubes par an. Le projet de construction de Turkish Sream est un signe de renforcement des relations entre la Russie et la Turquie. Les deux pays ont réussi à empêcher leurs différends sur les conflits en Syrie et en Ukraine d'endommager leur alliance émergente. Alors que Tanap pourrait être vu comme un concurrent au projet de Turkish Stream, Recep Tayyip Erdogan, dans un timing remarquable, a téléphoné a Poutine le soir même de la cérémonie du lancement de Tanap pour discuter du projet du gazoduc russo-turc, a relaté le Kremlin.