La production gazière américaine, qui atteint des niveaux record grâce à l'exploitation des bassins schisteux, s'exporte désormais, pour la première fois, au départ du Sud des Etats-Unis. Le méthanier Asia Vision, affrété par la société texane Cheniere Energy, a appareillé de Louisiane (sud des Etats- Unis) pour se rendre au Brésil, selon des informations du cabinet Platts. "Cet événement historique ouvre un nouveau chapitre pour le pays et le marché de l'énergie", a souligné le directeur général de Cheniere Neal Shear, cité dans un communiqu é. La société Cheniere Energy, qui en 2008 encore pensait se développer grâce aux importations, est la premi ère à exporter du gaz qu'elle s'est chargée de liquéfier, avec des installations à Sabine Pass, en Louisiane, et prochainement à Corpus Christi, au Texas voisin. Entre-temps, la production américaine de gaz aux Etats- Unis a bondi de 42,53% entre 2010 et 2014 pour atteindre un niveau sans précédent de 728,55 milliards de mètres cubes, et plus encore en 2015 (les totaux n'ayant pas été encore annoncés par le minist ère de l'Energie). "Ce qui est intéressant c'est que Cheniere a commencé comme importateur", raconte Stewart Glickman, analyste chez Standard and Poor's Global Market Intelligence. Ses responsables "tablaient sur des besoins" d'importation au début des années 2000, mais quand quelques années plus tard "ils se sont rendu compte qu'on avait du gaz à ne savoir qu'en faire, ils ont fait un virage à 180 degrés", transformant leurs terminaux d'importation en sites de liquéfaction en vue d'exporter. Jusqu'à présent les Etats- Unis n'exportaient du GNL qu'à partir de l'Alaska et à destination de l'Asie. Cheniere, premier acteur du secteur à opérer des sites de liquéfaction de gaz destiné à l'exportation dans le sud des Etats-Unis, prévoit de charger plusieurs méthaniers dans les mois qui viennent. Plusieurs autres projets sont en cours, dont Freeport LNG basé au Texas, ou Lake Charles LNG, coentreprise de BG et Energy Transfer. Le site de Cove Point, propriété de Dominion dans le Maryland (est) également conçu à l'origine pour importer du gaz, a reçu en 2014 l'autorisation de lancer un projet de site de liquéfaction en vue d'exporter. Selon M. Glickman, le diff érentiel de coût entre le gaz américain et la production européenne ou de l'Océanie explique cet engouement pour les projets d'exportation de gaz américain. RISQUE DE SOUSUTILISATION Cheniere a déjà annoncé une douzaine d'accords commerciaux à travers le monde.C'est ainsi qu'Engie a annoncé en octobre 2015 un accord prévoyant que le Français achète jusqu'à 12 cargaisons de GNL par an entre 2018 et 2023, qui seront livrées près de Saint-Nazaire (ouest). Le gaz produit en Europe coûte autour de 4,18 dollars par million de BTU (British thermal unit, l'unité de réfé- rence), contre autour de 2 dollars pour le gaz américain. Avec un coût de transport estimé à 50 cents par million de BTU, l'offre américaine reste ainsi très attractive. Le gaz est aussi concurrentiel par rapport au pétrole, ses cours ayant plus profondément chuté encore que ceux de l'or noir, plombés également par la manne des bassins schisteux américains. Cela a conduit le Congrès à lever un embargo d'exportation remontant au premier choc pétrolier des années 1970. "Même si les prix du pétrole se sont effondrés, sur une base (de prix) par BTU, le pétrole à 30 dollars le baril comparé au gaz naturel à 2 dollars par million de BTU est 2,5 fois plus cher", a assuré M. Glickman. Et pour les transformateurs et exportateurs comme Cheniere, le bas prix du gaz signifie des approvisionnements bon marché. Pour autant, les perspectives des exportateurs de GNL américains restent fragiles, selon le cabinet Bentek Energy (groupe Platts), car la demande ralentit, surtout en Asie, sous l'effet du redémarrage du nucléaire au Japon, du renforcement des capacités de production d'énergie à base de charbon et du nucléaire en Corée du Sud, et du ralentissement économique chinois. "Même si la plupart des installations américaines ont obtenu des contrats pour plus de 80% de leurs capacités disponibles, il y a un risque notable de sous-utilisation dans les cinq ans à venir", prévient Bentek dans un rapport publié en août 2015.