Plusieurs dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel, ont effectué samedi dans le sud de la Turquie une visite délicate avec l'espoir de huiler les rouages d'un accord sur les migrants qu'Ankara menace de ne plus respecter. Le président du Conseil européen Donald Tusk, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans et Mme Merkel ont été attendus hier après-midi à Gaziantep (sud de la Turquie), près de la frontière syrienne, où ils ont visités un camp de réfugiés. Ce déplacement intervient trois semaines après le renvoi en Turquie des premiers migrants de Grèce dans le cadre d'un accord controversé conclu le 18 mars entre Bruxelles et Ankara visant à dissuader les passages clandestins en Europe, confrontée à sa pire crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. La Turquie s'est engagée à accepter le retour sur son sol de tous les migrants entrés illégalement en Grèce depuis le 20 mars. Le plan prévoit en outre que pour chaque réfugié syrien renvoyé en Turquie, un autre sera "réinstallé" dans un pays européen, dans la limite de 72.000 places. En contrepartie, les Européens ont accepté de relancer les discussions sur l'intégration de la Turquie à l'UE et d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les Turcs, mais en soulignant qu'ils ne transigeraient pas sur les critères à remplir. Les dirigeants turcs ont fait monter les enchères cette semaine, estimant n'être plus tenus de respecter l'accord si les Européens ne tenaient pas leur promesse d'exempter les Turcs de visa d'ici fin juin. L'exécutif européen a indiqué qu'il présenterait un rapport sur le sujet le 4 mai et est attendu au tournant par ceux qui redoutent que Bruxelles brade ses valeurs pour garder la Turquie à bord. Le Premier ministre populiste hongrois Viktor Orban a d'ailleurs estimé que l'UE "s'est livrée à la Turquie" avec des conséquences "impossibles à prévoir", dans un entretien à l'hebdomadaire allemand Wirtschaftswoche.
Un exercice d'équilibriste délicat Entre les pressions d'Ankara, celles d'opposants à l'accord et celles d'ONG de défense des droits de l'homme, la visite des dirigeants européens "va être un exercice d'équilibriste délicat", résume Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'UE à Ankara. "Nos libertés, y compris la liberté d'expression, ne feront l'objet d'aucun marchandage politique avec quelque partenaire que ce soit", a tenté de rassurer vendredi M. Tusk dans une tribune parue dans plusieurs journaux européens. "Ce message doit être aussi entendu par le président Erdogan". Symbole pour les opposants de M. Erdogan du musèlement des voix dissidentes sous sa présidence, le procès de quatre universitaires accusés de "propagande terroriste" a commencé vendredi, au moment où deux célèbres journalistes étaient jugés pour "espionnage". L'un d'eux, Can Dündar, rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet, a écrit une lettre ouverte à Mme Merkel pour déplorer que l'Allemagne se trouve "du mauvais côté" de la "bataille entre démocrates et autocrates en Turquie". La chancelière a été vivement critiquée chez elle pour avoir autorisé la possibilité de poursuites pénales réclamées par la Turquie contre un satiriste ayant dépeint M. Erdogan en zoophile. L'affaire a tendu les relations entre Ankara et Berlin. Mme Merkel a souligné que sa visite en Turquie permettrait de faire le point sur la mise en place de l'accord et décider de futures actions pour aider les 2,7 millions de Syriens réfugiés en Turquie, voisine de leur pays en guerre.