Au coeur des immenses prairies du Dakota du Nord qui bordent la rivière Missouri s'élève un campement improvisé d'Amérindiens venus de tous les Etats-Unis pour lutter contre un pipeline menaçant, selon eux, leur eau potable et leurs sites sacrés. Des tipis pointent parmi les tentes modernes, des manifestants parcourent le campement à cheval. Poings levés, longues chevelures au vent, ils défilent régulièrement en direction des bulldozers à l'oeuvre non loin. Les membres de quelque 200 tribus se sont rassemblés ici, hissant des drapeaux tribaux qui claquent au vent. Certains sont là depuis avril, leur nombre oscillant de plusieurs centaines à plusieurs milliers, dans un mouvement inédit de résistance à la construction d'un oléoduc de 1.900 kilomètres par le groupe Energy Transfer Partners LLC. Tout ça, ce sont les terres des Amérindiens, dit Michael Zephier, venu avec ses enfants du Dakota du Sud voisin. C'est mon peuple ici. La tribu sioux de Standing Rock affirme que l'oléoduc, qui doit traverser la rivière Missouri juste au nord de sa réserve, menace sa source d'eau potable et que les équipes de construction ont déjà détruit plusieurs sites sacrés d'inhumation et de prière. La tribu s'est tournée vers la justice pour tenter de bloquer le projet. Un juge fédéral doit se prononcer vendredi sur un éventuel arrêt temporaire des travaux, le temps que la plainte soit traitée. Les canalisations cassent toujours. Le pipeline va lâcher. Et en 10 minutes, ça arrivera jusqu'à l'approvisionnement en eau de la tribu, dit Ron Son Cheval est un Eclair (Ron His Horse Is Thunder), un représentant de la tribu. Ils disent qu'ils auront des systèmes de surveillance qui leur diront 24 heures sur 24 si ça casse. Mais le temps qu'ils arrêtent tout ça, l'eau sera déjà contaminée. Le Dakota Access Pipeline doit traverser quatre Etats américains, acheminant le pétrole extrait dans le Dakota du Nord, à la frontière canadienne, jusque dans l'Illinois plus au sud. L'oléoduc permettra, selon ses promoteurs, de réduire les coûts de transport et ainsi mieux concurrencer le pétrole canadien, moins cher. Ses partisans assurent aussi qu'il sera plus efficace que le transport par camion ou train. Energy Transfer Partners LLC affirme en outre que les analyses environnementales démontrent sa fiabilité. C'est une infrastructure de pointe, selon Julie Fedorchak, de la Commission des services publics du Dakota du Nord, qui a approuvé son tracé dans l'Etat. L'oléoduc dispose de nombreuses mesures de sécurité, explique-t-elle: passant sous le lit de la rivière, il a été conçu avec des parois plus épaisses par endroit et des valves de fermeture commandées à distance, et le tracé a été minutieusement examiné par des archéologues pendant une étude de validation qui a duré 13 mois. Ces arguments ne convainquent pas les Amérindiens et le nombre croissant de leurs alliés. Des manifestations de soutien ont été organisées à travers les Etats-Unis et des célébrités ont rejoint leur cause, comme les acteurs Susan Sarandon et Leonardo DiCaprio qui s'est dit inspiré par leur lutte. Une pétition sur le site de la Maison Blanche a recueilli plus de 170.000 signatures. La candidate écologiste à la présidentielle, Jill Stein, est venue cette semaine manifester sur place. Elle a été inculpée de deux infractions mineures pour avoir tagué un bulldozer. Des violences avaient éclaté samedi dernier lors d'un précédent cortège. Des manifestants avaient donné des coups de bâton à des vigiles privés assurant la sécurité qui avaient utilisé des gaz lacrymogènes. Derrière cette lutte locale, de nombreux Amérindiens voient un combat plus large pour leurs droits et pour la défense de leur souveraineté sur leurs terres. Animé de danses et de chants rituels, le campement s'est transformé en un lieu célébrant la culture amérindienne. C'est la première fois de ma vie que je vois ça, s'émeut Susan Ireland, de la tribu Standing Rock, en montant un tipi où les visiteurs peuvent inscrire leurs messages de soutien et noms tribaux.