Il y a seize ans, jour pour jour, Mohamed Boudiaf, revenait de son long exil marocain, répondant à l'appel urgent de sa mère patrie. C'était le 16 janvier 1992, et les Algériens gardent encore en mémoire, l'image de cet homme élancé à qui l'on offrait un verre de lait et des dattes à sa descente d'avion à l'aéroport Houari-Boumedienne. Inconnu de la jeune génération d'alors, tous se demandaient qui était cet homme au franc-parler qui poussait de ses doigts son oreille pour écouter les remontrances d'un peuple en décrépitude. Très vite, le dialogue s'était engagé dans la transparence la plus totale entre Si Tayeb El Watani et les Algériens qui avaient une soif inouïe de dire publiquement les incohérences d'un système au bord de l'essoufflement. Homme politique mais aussi homme de culture, Mohamed Boudiaf avait signé une fabuleuse analyse qu'il a intitulée sobrement, «Où va l'Algérie ?». Une analyse consacrée à l'historique date du 1er Novembre 1954, et que tous les spécialistes avaient jugée comme étant « une des meilleures contributions » sinon la meilleure - qui ait été apportée à celle-ci. Membre fondateur du FLN (Front de libération nationale), il adhère au PPA (Parti du peuple algérien) et devient un membre important de l'organisation spéciale (OS). Vers la fin de l'année 1947, il est chargé de mettre sur pied une cellule de l'OS pour le département de Constantine. C'est au cours de cette période que se forme autour de lui le noyau de militants qui fut à l'origine du déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954. En tant que tel, Mohamed Boudiaf, qui était dans le feu de l'action, a su, mieux que quiconque, à travers son livre « Où va l'Algérie ?», non seulement résumer ses propositions politiques mais aussi décortiquer le contexte de l'époque avec une rare objectivité. En 1950, Si Tayeb El Watani est condamné par contumace à deux reprises. En 1952, il est muté par le parti en France où il militera au sein du MTLD. En mars 1954, il décide de rentrer en Algérie où il devient l'un des 9 fondateurs du CRUA (Comité Révolutionnaire pour l'Unité et l'Action) et lance le bulletin Le Patriote. Il est membre du « groupe des 22 » ayant participé à la préparation du déclenchement de la guerre d'Algérie. Le 22 octobre 1956, il est arrêté par l'armée française suite au détournement de l'avion qui le menait du Maroc vers la Tunisie. Condamné à mort en 1964, il est contraint à l'exil ; d'abord en Europe puis au Maroc. Son livre « Où va l'Algérie ? » résume ses propositions politiques. En 1979, après la mort de Houari Boumediène, il dissout son parti le PRS et va se consacrer à ses activités professionnelles en dirigeant à Kénitra, au Maroc, une briqueterie. Son retour au pays intervenait dans un contexte politique d'extrême urgence, le président Chadli Bendjedid ayant annoncé, en direct à la télé, sa démission. Sa disparition totale après 1964 du champ politique national a fait de lui un homme éloigné de certaines tribulations. Sa main tendue apparaissait, dès lors, tout aussi sincère qu'ouverte aux profonds changements dont avait besoin la patrie. Résolument tourné vers la modernité, fondamentalement démocrate, Mohamed Boudiaf sera assassiné six mois plus tard, le 29 juin 1992, lors d'une conférence à Annaba. Mohamed Boudiaf est mort, mais ses convictions d'une Algérie en marche vers un avenir plus certain, sommeillent encore dans tous les cœurs des patriotes sincères.