Il est des dates que ni l'amnésie des hommes ni les méandres de l'histoire ne peuvent extirper de la mémoire collective. Celle du 16 janvier 1992 en est certainement une. Pour tous les Algériens. Seize janvier 1992. Cette date a marqué le retour de feu Mohamed Boudiaf. C'était il y a 12 années. Si Tayeb El-Watani a répondu à l'appel du devoir pour sauver le bateau Algérie qui prenait eau de toutes parts, menacé par une nébuleuse intégriste et gangrené par le serpent de mer qu'est la corruption. Ce fut une mission très délicate pour ne pas dire impossible pour ce valeureux combattant de la Révolution. Pourtant, malgré le poids des ans, le vieil homme a certes difficilement, — signe prémonitoire ? — accepté le cadeau qui s'est avéré empoisonné qu'on a bien voulu lui remettre. Comme pour la glorieuse épopée de novembre, Boudiaf a consenti à abandonner sa retraite paisible de Kenitra, au Maroc, pour venir au chevet d'une Algérie malade. Malade de ses dirigeants qui avaient bien du mal à tenir le gouvernail. De retour d'un exil long de 26 années, Boudiaf a dû sans doute se poser la même question que celle qu'il s'était posée au lendemain de l'indépendance, de la confiscation de la Révolution par le clan d'Oujda : “Où va l'Algérie ?”. Et dans son infinie bonté et son sens du devoir et des responsabilités, Si Tayeb El-Watani croyait, peut-être naïvement, qu'il était capable de répondre à cette question de fond qui appelle une réponse de même nature. Ne serait-ce qu'en détournant le fleuve de sang et de larmes dans lequel le FIS triomphant voulait embarquer la République. En ce début de janvier 1992, Mohamed Boudiaf n'avait qu'une seule obsession : tenter une opération de sauvetage d'une Algérie qui lui lançait un signal de détresse. Il tendit alors sa main frêle aux millions de ses concitoyens pour leur épargner le déluge promis par les intégristes en herbe qui ont juré d'abattre la République. Mission casse-cou. Mais comme tous les grands hommes de ce monde qui ont marqué l'histoire par leur probité et leur sacrifice pour les bonnes causes, Boudiaf a pris le destin de l'Algérie et le sien en main sans trop se poser de questions. Advienne que pourra ! semble avoir été la seule devise d'un homme qui a tout donné pour son pays et qui veut encore le servir. Son image restait immaculée dans l'imaginaire collectif des Algériens. Son retour fut un jour de liesse populaire indescriptible. Boudiaf, cette personnalité historique qui ne s'était jamais acoquinée avec la pègre du régime, jouissait d'un préjugé très enviable pour un chef d'Etat. C'est pourquoi, le 16 janvier 1992, reste incontestablement une date phare de l'histoire de l'Algérie indépendante. Le vieux prodige a su et pu, en un laps de temps record, rendre la joie de vivre aux Algériens qui en avaient grandement besoin après tant d'illusions, de frustrations, mais aussi de trahisons. Il a su et pu fédérer les citoyens de tous bords autour d'un mot d'ordre simple mais ô combien touchant et émouvant : “L'Algérie avant tout.” Un projet de société qui dépasse de très loin les pseudo-programmes politiques concoctés dans les arcanes du régime d'alors et d'aujourd'hui. Ce fut suffisant pour ouvrir une belle page d'amour entre un Président et son peuple. Le 16 janvier 1992 naquit une idylle. Une idylle que les fossoyeurs de la République et les vampires de tous poils ont abominablement brisée six mois plus tard à Annaba. La symbiose entre Boudiaf et la jeunesse algérienne fut tellement totale qu'elle a suscité une franche jalousie pour les nostalgiques de la glaciation. Il fallait donc stopper l'élan de l'homme, rompre son “mariage” avec l'Algérie à coups d'une rafale de kalachnikov dans le dos. Ce fut le 29 juin de la même année. Son assassinat a brouillé à nouveau les pistes du salut. L'Algérie venait de prendre le chemin à contre-sens. Douze ans après sa mort, sa question est d'une brûlante actualité : où va l'Algérie ? H. M.