La réunion qui rassemblait les pays de l'OPEP et les producteurs de pétrole " non-OPEP " les 10 et 11 décembre à Vienne, sous les auspices conjoints de la Russie et de l'Arabie saoudite, annonce des changements importants pour le marché du pétrole. La décision de ralentir la production qui y a été prise apparaît comme plus ferme et plus solide que les décisions précédentes, justement parce qu'elle concerne et les pays de l'OPEP et les pays " Non-OPEP ". Les annonces qui ont été faites à l'issue de cette réunion par l'Arabie Saoudite confirment la volonté des pays producteurs de mettre fin à la situation de surproduction qui sévissait depuis maintenant plus d'un an. Les prix du pétrole, qu'il s'agisse des prix " spots " ou des prix pour les livraisons à 3 mois, ont immédiatement réagi. Ils sont montés au dessus de 55 $ le baril. Cette réunion apparait comme un succès diplomatique de première grandeur pour la Russie, qui a beaucoup œuvré depuis un an pour la constitution de ce front entre pays membres et pays non-membres de l'OPEP. Elle témoigne de l'influence, aujourd'hui grandissante, de la diplomatie russe. Le rouble s'est d'ailleurs immédiatement apprécié par rapport au dollar des Etats-Unis. Le contexte d'un accord historique Cette réunion a été l'occasion d'un accord, qualifié par certains d'historique, de réduction coordonnée des productions entre les pays de l'OPEP et les pays " Non-OPEP ". Mais, cette réunion a vu, de plus, un événement extraordinaire. L'Arabie saoudite a indiqué qu'elle était prête à réduire la production de pétrole plus que prévu, dans une annonce qui a pris par surprise les observateurs et ces quelques minutes après que la Russie et plusieurs autres pays de l'OPEP se soient engagés à réduire la production l'an prochain. Il faut ici remettre la réunion des 10-11 décembre dans son contexte. Il s'agit du premier accord de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole avec ses concurrents, les pays dits " non-OPEP ", depuis 2001. Le fait que l'Arabie Saoudite ait décidé de surenchérir sur l'accord initial est significatif. Les déclarations saoudiennes représentent un effort énergique des producteurs pour renverser la tendance du marché pétrolier mondial, déprimé par la surproduction persistante et par des stocks d'un niveau record. Ceci peut d'ailleurs s'expliquer par l'usage qui est de plus en plus courant du pétrole non seulement comme matière première mais aussi comme instrument financier de réserve par des banques et des fonds d'investissement et explique l'importance décisive des prix du pétrole pour la valorisation potentielle de ces réserves, qui constituent désormais des " actifs financiers " de plein droit. Ces actifs servent aux sociétés et aux Etats à garantir des emprunts qu'ils souscrivent, servant alors de collatéral à ces emprunts. Mais, on doit aussi tenir compte des problèmes spécifiques de l'Arabie saoudite. Ce pays s'est engagé depuis maintenant deux ans dans un bras de fer avec son voisin, l'Iran, et mène une guerre cruelle et sans merci au Yémen dans l'indifférence quasi-totale de la presse occidentale, pourtant prompt à s'indigner. Il a voulu, par une politique de production à tout va déstabiliser l'Iran. Or, c'est lui qui a été déstabilisé. Les finances saoudiennes ne sont pas, et c'est un euphémisme, en bon état alors que l'Iran peut visiblement continuer de supporter des prix du baril inférieur à 50 $. Le ministre saoudien a déclaré qu'il était prêt à passer au-dessous du niveau psychologiquement significatif de 10 millions de barils de pétrole/jour, niveau qu'il a maintenu depuis mars 2015, selon les conditions du marché. M. Al-Falih a fait son annonce après que les pays non membres de l'OPEP ont convenu de réduire la production de 558 000 barils / jour, ce qui laisse supposer que l'Arabie Saoudite attendait l'accord avant de s'engager à de nouvelles réductions. L'OPEP avait convenu il y a deux semaines de réduire sa propre production de 1,2 millions de barils de pétrole/jour. La réduction non-OPEP est égale à la croissance anticipée de la demande l'année prochaine en Chine et en Inde, selon les données de l'Agence internationale de l'énergie. Les limites de cet accord Néanmoins, il faut tenir compte du fait que le pacte entre l'OPEP et les pays non membres de l'OPEP englobe les pays qui exploitent 60% du pétrole mondial, mais exclut les principaux producteurs tels que les ?tats-Unis, la Chine, le Canada, la Norvège et le Brésil. La chaîne d'annonces qui a été faite dans le cadre de cet accord indique que l'Arabie saoudite tente de pousser les prix du pétrole au-dessus de 60 dollars / baril et peut-être au plus près de 70 dollars / baril, car ce pays tente de combler le trou budgétaire qu'il connaît. De plus, l'Arabie saoudite se prépare à la privatisation partielle de la compagnie Saudi Aramco, en 2018. Mais, si les prix du pétrole sont montés de près de 15% dans les heures qui ont suivi l'annonce de l'accord, il reste peu probable qu'ils puissent atteindre les 70 dollars par baril. En effet, la production d'huile de schiste aux Etats-Unis reprendra de manière vigoureuse dès que l'on sera au-dessus de 60 dollars le baril, du moins pour les forages qui appartiennent aux grandes compagnies, celles qui ont les moyens techniques d'extraire de l'huile de schiste à partir d'un cout de l'ordre de 40 dollars le baril. On peut penser que l'un des résultats de cet accord sera de stabiliser autour de 60 dollars le baril le prix du pétrole pour les mois qui viennent. Un succès diplomatique et économique pour la Russie M. Al Falih, le ministre saoudien du pétrole et son homologue russe, M. Alexander Novak ont révélé qu'ils travaillaient depuis près d'un an sur l'accord, se réunissant à plusieurs reprises en secret. Voilà qui montre que cette réunion ne doit rien au hasard. Cette rencontre reflète bien l'influence acquise depuis maintenant plusieurs mois par la Russie qui, elle et elle seule, a les moyens de faire dialoguer des pays en conflits, comme l'Arabie Saoudite et l'Iran. Elle traduit l'importance de la diplomatie russe, mais aussi ses nouvelles capacités, acquises par une intervention de plus forte au Moyen-Orient. Le rôle de la Russie en Syrie, que l'on constate par la reprise de la vile d'Alep par les forces gouvernementales, n'est pas étranger à ce poids de la diplomatie russe. De même, la Russie s'implante de plus en plus en Egypte, remplaçant ici les Etats-Unis. La vente par la société italienne ENI de 30% de ses parts dans le champ pétrolier off-shore de Shorouk à Rosneft en témoigne. La participation, certes symbolique, de militaires égyptiens aux combats aux côtés des forces gouvernementales syriennes est un autre exemple de l'influence de la Russie au Moyen-Orient. "C'est vraiment un événement historique", a déclaré M. Novak, le ministre russe du pétrole. "C'est la première fois que de nombreux pays pétroliers de différentes parties du monde se sont rassemblés dans une pièce pour accomplir ce que nous avons fait". La Russie s'est donc engagée à réduire sa production de 300 000 barils par jour l'an prochain, ce qui représente une baisse sensible par rapport à son plus haut mois de trente dernières années, à 11,2 millions de barils de pétrole/jour. Le Mexique a accepté de réduire de 100 000 barils par jour, l'Azerbaïdjan de 35 000 barils par jour et celui d'Oman de 40 000 barils par jour. Dans un mouvement qui n'a pas été sans surprendre, le Kazakhstan a promis une réduction de 20 000 barils par jour. Il semble bien que ce dernier pays ait subi une forte pression diplomatique. La coupe kazakhe est particulièrement importante parce que la production de ces pays d'Asie centrale augmente rapidement après qu'une importante société pétrolière ait commencé à pomper en octobre. Ici aussi, il est clair que l'influence de la diplomatie russe a été, ici aussi, déterminante. Au-delà, cet accord vient s'ajouter à l'annonce par un consortium composé par la société suisse Glencore et le fond souverain du Qatar de participer à la semi-privatisation de Rosneft, pour un montant de plus de 10 milliards de dollars. Cela témoigne de ce que la Russie est redevenue un pays avec lequel il faut compter sur le marché du pétrole et au-delà, dans les relations économiques internationales. Léger recul en Asie Les cours du pétrole reculaient légèrement hier matin en Asie dans un marché peu agité avant les fêtes. Vers 04h30 GMT, le baril de light sweet crude (WTI), référence américaine du brut, pour livraison en janvier, cédait 17 cents à 51,95 dollars dans les échanges électroniques en Asie. Le baril de Brent, référence européenne, pour livraison en février, perdait cinq cents, à 54,87 dollars. Le volume d'échanges était faible alors que les investisseurs attendent de voir comment l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) va mettre en œuvre ses accords de réduction de la production à compter du mois de janvier. Le cartel a considérablement contribué à relancer les cours en annonçant deux accords de baisse de l'offre, l'un interne fin novembre et le second avec une dizaine d'autres pays début décembre. "Ces deux derniers jours, les cours ne bougent pas beaucoup, il est vraisemblable que le marché recherche un équilibre entre les accords Opep et ce que l'Opep va vraiment faire", a déclaré Margaret Yang, analyste chez CMC Markets. "Nous n'attendons pas de changement en Asie alors que les marchés sont calmes, en cette période sans informations notables avant les fêtes", a dit Jeffrey Halley, analyste chez OANDA. La veille, les cours du pétrole ont terminé en légère hausse à New York, mais en recul à Londres, résistant à un dollar fort grâce à quelques inquiétudes sur la capacité de la Libye à reprendre massivement ses exportations. Le prix du baril de light sweet crude (WTI), référence américaine du brut, a gagné 22 cents à 52,12 dollars sur le contrat pour livraison en janvier au New York Mercantile Exchange (Nymex). A Londres, le cours du baril de Brent de la mer du Nord a en revanche reculé de 29 cents à 54,92 dollars sur le contrat pour livraison en février à l'Intercontinental Exchange (ICE). Les marchés pétroliers ont peu évolué avec une consolidation et de faibles volumes qui comprennent probablement des ajustements de portefeuilles à l'approche des fêtes et de la fin de l'année, a indiqué Tim Evans de Citi dans une note. Dans ce contexte les cours ont quelques peu profité d'incertitudes sur la production libyenne. Il y avait un accord pour faire repartir la production dans le principal champ pétrolifère libyen et apparemment cela s'est effondré au cours du week-end ce qui a apporté un peu de soutien au marché, a expliqué Phil Flynn de Price Futures. Sur un plan plus général, l'application, à partir du mois de janvier, de l'accord de réduction de la production de l'Organisation des exportateurs de pétrole (Opep) avec des pays extérieurs reste toujours au centre des interrogations. Nous allons avoir besoin de preuves que cet accord sera respecté par les pays, sinon la perspective que les membres de l'Opep trichent va reprendre le dessus et faire baisser les cours, a indiqué Gene McGillian de Tradition Energy. A ce sujet, les interrogations vont bon train sur l'impact d'une remontée des cours sur la production américaine au moment où le nombre de forages aux Etats-Unis continuent d'augmenter. Avec des prix plus élevés, nous aurons une production plus importante aux Etats-Unis, a prévenu Gene McGillian. Autre facteur limitant la hausse, les investisseurs encaissent une partie de leurs bénéfices à cause de la tendance à la hausse du dollar, a expliqué Phil Flynn de Price Futures. En voyant le billet vert se raffermir, les opérateurs de marchés ont été poussés à vendre par crainte que cela ne pèse sur les cours, le brut étant libellé en dollars. Enfin, la durée et les conséquences de la baisse des températures aux Etats-Unis sur l'offre et la demande américaine de pétrole et de ses dérivés est encore incertaine. Le marché essaie de déterminer si le temps froid a eu un impact important la semaine dernière, au moment où un retour attendu de températures plus clémentes devrait permettre le redémarrage de productions qui avaient été arrêtées à cause des basses températures, a indiqué Phil Flynn.