Vague de froid, réacteurs nucléaires à l'arrêt: les Français pourraient être appelés à la rescousse et incités à économiser l'électricité dès aujourd'hui pour éviter une rupture d'approvisionnement. "Les marges disponibles pour répondre aux besoins en électricité - à partir de mardi et jusqu'à vendredi (prochains) - seront réduites", a alerté vendredi le gestionnaire du réseau de transport de courant RTE. Cette tension s'explique par une consommation de courant attendue en hausse pour alimenter les chauffages à cause du froid et un parc de production diminué avec plusieurs réacteurs à l'arrêt pour des contrôles de sûreté ou d'autres motifs. RTE avait anticipé dès le mois de novembre dernier que la France courait ce risque. "Concernant la journée de mardi, en fonction de l'évolution des températures (...), il est possible que RTE utilise une partie des solutions graduelles exceptionnelles que nous avions anticipées", a-t-il précisé. "A ce stade (...) il n'y a pas de coupures (d'électricité) programmées", a toutefois voulu rassurer un porte-parole de RTE lors d'une conférence téléphonique. Le gestionnaire du réseau va dans un premier temps en appeler à une mobilisation des Français. "Gestes simples" Une alerte devrait être diffusée, via les médias et les réseaux sociaux, la veille pour le lendemain, encourageant les Français à réduire leur consommation pendant les heures de pointe, entre 8H00 et 13H00, puis entre 18H00 et 20H00. Eteindre la lumière dans les pièces vides, baisser la température d'un ou deux degrés dans le logement: ces "gestes simples" permettraient d'"avoir au minimum 2.000 à 3.000 MW de consommation d'électricité réduite", a assuré le porte-parole de RTE, soit l'équivalent de deux à trois réacteurs nucléaires. "Plus la mobilisation est importante (...) et moins nous aurons à utiliser les solutions suivantes", a-t-il ajouté. En novembre, en alertant pour la première fois sur les risques pour l'approvisionnement en électricité cet hiver en cas de grand froid, RTE a hiérarchisé les "mesures exceptionnelles" à sa disposition. Une prochaine étape consisterait à demander à 21 sites industriels volontaires d'arrêter leur activité, le temps de passer une pointe. Ils représentent une capacité d'environ 1.500 MW d'économie. Si cela ne suffit pas, le gestionnaire pourrait réduire la tension sur le réseau de 5%, sans interrompre l'alimentation en électricité. Cela se traduirait par exemple par une moindre intensité de la lumière. En dernier recours, il n'excluerait pas des coupures momentanées, une piste écartée pour l'instant. "L'usage d'une partie seulement de ces solutions exceptionnelles devrait suffire", assure son porte-parole. Equilibre délicat Il reste aussi prudent sur la probabilité d'avoir à mettre en place ces mesures, car les prévisions météorologiques "sont encore évolutives". "Les prévisions de consommation seront affinées quotidiennement" et le gestionnaire du réseau restera "très attentif à l'évolution de la situation". La sécurité de l'approvisionnement électrique, qui repose sur un équilibre permanent entre consommation et production, est en effet un calcul de précision. Météo-France prévoit des températures entre 6 et 8 degrés inférieures aux normales saisonnières la semaine prochaine, et RTE anticipe une hausse de la consommation de courant pour le chauffage, avec une pointe estimée à 93.400 mégawatts (MW) mardi et qui pourrait atteindre 100.000 MW mercredi et jeudi, soit pas très loin du record historique de février 2012 (102.000 MW). En face, il table sur une capacité de production moyenne de 85.000 MW, sur un parc de production total de plus de 129.000 MW, à laquelle s'ajoutera une capacité d'importation de courant, venu de nos voisins, de 5.000 MW. Cinq réacteurs seront en effet à l'arrêt la semaine prochaine, représentant une perte de capacité d'environ 5.500 MW. Il y aurait pu en avoir plus mais l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé jeudi soir EDF à reporter de deux semaines l'arrêt d'un réacteur de la centrale de Civaux sur lequel elle doit faire des contrôles. Inquiétude sur l'approvisionnement La vague de froid attendue cette semaine en France pourrait pousser les Français à augmenter leur consommation de courant, au risque de compromettre l'approvisionnement national en électricité, plusieurs réacteurs nucléaires étant à l'arrêt. La France va-t-elle battre un record de consommation de courant ? Les Français ont massivement recours au chauffage électrique. En hiver, lors d'une vague de froid, le chauffage "peut représenter jusqu'à 40% de la consommation électrique en début de soirée", selon l'Ademe. La semaine prochaine, les températures pourraient être entre 5,8 et 8,8 degrés inférieures aux normales saisonnières, selon les prévisions actualisées vendredi par le gestionnaire du réseau de transport RTE, mais encore ajustables dans les jours qui viennent. En conséquence, il anticipe une pointe de consommation à 93,4 gigawatts (GW) mardi 17 janvier et de plus de 100 GW jeudi 19 et vendredi 20, pas très loin du record historique de février 2012 (102,1 GW). Pourquoi cela peut créer une tension sur le réseau? En théorie, la France dispose d'un parc de production électrique de plus de 129 GW, dont plus de la moitié est composé de ses 58 réacteurs nucléaires. Mais tous les moyens de production ne seront pas disponibles la semaine prochaine. Au moins cinq réacteurs nucléaires, représentant environ 5,5 GW, seront à l'arrêt, soit en raison de contrôles demandés par l'ASN, soit d'arrêts de longue durée pour d'autres raisons. Deux autres réacteurs auraient dû être arrêtés pour effectuer ces mêmes contrôles, mais face au froid annoncé, l'ASN vient d'autoriser EDF à reporter de deux semaines l'arrêt de l'un des deux (Tricastin 2) et étudie la demande de report du deuxième (Civaux 1). A cela s'ajoutent des niveaux d'eau historiquement bas dans les barrages hydroélectriques et la production solaire et éolienne encore insuffisante pour prendre le relais. Par ailleurs, la France a fermé environ 1.200 MW de capacités de production thermique (charbon, fioul, gaz), une situation que la CGT-Energie a dénoncé vendredi dans un communiqué, regrettant une "fermeture anticipée de moyens de production servant à passer les pointes". RTE a indiqué vendredi qu'il tablait sur une capacité de production totale de 85 GW sur le territoire national la semaine prochaine. Quels sont les moyens pour compenser une trop faible production nationale? Lorsque sa production est inférieure à la demande nationale, la France peut faire appel à ses voisins, via les interconnexions électriques. Depuis l'an dernier, les capacités maximales d'importation ont été augmentées de 30% à 12,2 GW, mais RTE table sur 5 GW la semaine prochaine. La quantité de courant que la France pourra importer dépendra du courant produit ailleurs, notamment en Allemagne, où le froid sévira aussi la semaine prochaine. Les consommateurs seront également mis à contribution. Certains industriels et particuliers qui ont signé des "contrats d'effacement" pourront interrompre leur consommation pendant de brefs moments pour soulager le réseau. RTE a aussi annoncé vendredi qu'il pourrait diffuser, dès mardi, des alertes auprès des Français pour les inciter à réduire leur consommation, première étape d'un bouquet de "mesures exceptionnelles" qu'il envisage. Que se passera-t-il en cas de risque trop important? Ensuite, 21 sites industriels volontaires pourraient être appelés à arrêter leur activité le temps de passer un pic de consommation, en échange d'une rémunération (jusqu'à 70.000 euros le mégawatt interruptible). Ils représentent une capacité d'environ 1,5 GW. Si cela ne suffit pas, RTE pourra réduire la tension sur le réseau sans interrompre l'alimentation en électricité, ce qui réduirait la consommation de l'Hexagone de l'équivalent de celle du Grand Paris. Des coupures momentanées ne sont pas totalement écartées en dernier recours. Il s'agirait de coupures programmées et annoncées à l'avance, d'une durée maximum de 2 heures pour les foyers concernés, mais elles ne sont pas à l'ordre du jour pour l'instant, a dit RTE.