La diplomatie Twitter du nouveau président des Etats-Unis a fait sa première victime, jeudi 26 janvier : la rencontre que Donald Trump devait avoir avec son homologue mexicain, Enrique Pena Nieto, le 31 janvier. La veille, M. Trump avait signé un décret présidentiel ordonnant la construction d'un " mur " sur la frontière sud des Etats-Unis. Une importante promesse de campagne. Quelques heures plus tard, il avait assuré, catégorique, que le Mexique en réglerait la facture, ce que M. Pena Nieto a toujours refusé. " Moi, je vous le dis, il y aura un paiement, même si le montage est peut-être compliqué ", a affirmé M. Trump dans son premier entretien - accordé à la chaîne ABC - depuis qu'il est entré à la Maison Blanche. A la suite de ces propos, le président mexicain avait dans un premier temps maintenu un déplacement à fort enjeu compte tenu de la volonté de Washington de renégocier également l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena), qui associe en outre le Canada. Environ 80 % des exportations du Mexique sont destinées aux Etats-Unis.
Un message en forme d'ultimatum Mais son homologue américain ne lui a guère laissé de choix en publiant sur son compte Twitter, en début de matinée, un message en forme d'ultimatum. " Si le Mexique n'est pas prêt à payer pour le "mur", qui est vraiment nécessaire, il vaudrait mieux annuler la rencontre à venir ", a écrit M. Trump. M. Pena Nieto a alors informé son pays, par le même canal, qu'il ne se rendrait pas à Washington la semaine prochaine. Le Mexique avait pourtant donné des gages de bonne volonté à l'attention de son puissant voisin. Le 4 janvier, le président avait nommé Luis Videgaray au poste de ministre des relations extérieures. Ancien ministre du budget, cet économiste avait été remercié du gouvernement après avoir organisé le déplacement controversé du candidat républicain, le 31 août 2016 à Mexico, une visite très mal vécue par les Mexicains. M. Videgaray était d'ailleurs arrivé dès mardi à Washington pour tenter d'aplanir les différends en prévision de la rencontre entre les deux présidents. Le ministre misait notamment sur sa relation personnelle avec Jared Kushner, gendre et très proche conseiller de M. Trump à la Maison Blanche. Devant les élus républicains du Congrès réunis à Philadelphie (Pennsylvanie), le président américain a évoqué en début d'après-midi un simple report, tout en ajoutant que, " tant que le Mexique ne traite pas les Etats-Unis de manière équitable et avec respect, une telle rencontre est stérile ".
" Eviter une nouvelle humiliation " Le peso mexicain, qui avait déjà plongé à deux reprises jeudi matin au rythme des messages publiés sur Twitter, a connu une troisième secousse, un peu plus tard, lorsque le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, a expliqué que ce " mur " serait financé par une taxe de 20 % sur les produits en provenance du Mexique. " En faisant cela, nous pouvons récolter 10 milliards de dollars [9,4 milliards d'euros] par an et facilement payer (…) grâce à ce seul mécanisme ", a-t-il indiqué à la presse. Alors que des élus républicains pestaient déjà contre cette perspective, M. Spicer a précisé ultérieurement qu'il ne s'agissait que d'une piste comme une autre. Une telle taxe pourrait en effet aboutir à faire payer le mur… par les consommateurs américains. Or M. Trump a toujours écarté un financement par les Etats-Unis, même s'il n'a pas exclu que le Congrès puisse avancer les fonds nécessaires jusqu'à ce qu'un mécanisme permette un remboursement par Mexico. Selon José Luis Crespo, politologue au Centre de recherche et d'enseignement économiques (CIDE), à Mexico, " l'ultimatum de M. Trump, conditionnant la visite à l'acceptation du paiement du mur par le Mexique, n'a pas laissé d'alternative pour éviter une nouvelle humiliation ". Au Mexique, de manière presque unanime, les responsables de l'opposition se sont félicités de la décision du président Pe?a Nieto. " Maintenant, la valeur de la dignité et de l'unité des Mexicains est notre priorité à tous ", a déclaré Graco Ramirez, président de la Conférence nationale des gouverneurs. L'ancien président Vicente Fox (2000-2006) s'est joint à ces soutiens, commentant que " Pena Nieto vient de gagner un premier round contre Trump ".
" Grave crise diplomatique " En extradant le narcotrafiquant Joaquin Guzman, " El Chapo ", à la veille de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, le 19 janvier, le Mexique avait d'ailleurs montré qu'il n'était pas sans leviers face à son puissant voisin. Soucieux de ne plus payer seul le coût politique de ce qui est considéré comme des humiliations de la part de M. Trump, le président mexicain a annoncé qu'il " consultera désormais le Sénat et la Conférence nationale des gouverneurs sur toutes les actions que prendra le gouvernement vis-à-vis de la relation du Mexique avec les Etats-Unis ". " Le pays affronte sa plus grave crise diplomatique avec son voisin depuis la nationalisation du pétrole en 1938 par le président Lazaro Cardenas (1934-1940) ", déplore M. Crespo, qui prévoit " la mort de l'Alena, bombardé par Trump ", dans une allusion à l'idée de taxe. Cette crise renforce le climat d'incertitude qui pèse sur l'économie mexicaine. D'autant qu'une éventuelle annulation de l'Alena et les négociations d'un nouvel accord bilatéral prendraient beaucoup de temps. Selon M. Crespo, " la question aujourd'hui est de savoir si le gouvernement mexicain a un plan B pour limiter la casse ".