Principal rendez-vous de cette fin d'été pour beaucoup d'investisseurs, le "symposium économique" de Jackson Hole était dominé vendredi par les discours de Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale (Fed), et de Mario Draghi, son homologue de la Banque centrale européenne (BCE), mais tous deux devaient surtout s'efforcer d'éviter de prendre les marchés à contre-pied. La Fed comme la BCE doivent en effet s'engager dans les mois à venir dans une nouvelle étape du resserrement très progressif de leur politique monétaire, la première en commençant à réduire son bilan, la deuxième en diminuant ses achats de dette. Mais le contexte économique et géopolitique pourrait les dissuader de préciser leurs intentions cette semaine. Le symposium de Jackson Hole, créé par la Fed régionale de Kansas City, réunit depuis 1982 banquiers centraux et économistes dans une station de montagne d'un peu plus de 10.000 habitants à près de 2.000 mètres d'altitude dans le nord-ouest du Wyoming. Consacré chaque année à un thème économique spécifique - "La promotion d'une économie mondiale dynamique" cette année -, il fournit l'occasion aux dirigeants des grandes institutions représentées d'adresser des messages aux marchés en s'affranchissant des contraintes des réunions officielles de politique monétaire. C'est ainsi à Jackson Hole qu'en 2010 Ben Bernanke, le prédécesseur de Janet Yellen, avait ouvert la voie au "QE2", la deuxième phase de la politique d'assouplissement quantitatif de la Fed, en évoquant "des achats supplémentaires de titres à long terme". Mais cette année, ni Janet Yellen ni Mario Draghi ne devraient prendre le moindre risque, estiment la plupart des observateurs. Confrontées l'une comme l'autre à la faiblesse persistante de l'inflation, toujours inférieure à leur objectif en dépit de l'amélioration de la croissance et de l'emploi, la Fed et la BCE sont en effet tentées d'attendre le plus tard possible avant d'arrêter leurs décisions.
Ne pas déstabiliser les marchés Cette incertitude est particulièrement importante pour Janet Yellen, la principale inconnue concernant la Fed portant sur le nombre et le calendrier des prochaines hausses de taux. "Pour que la présidente soit en mesure de réunir un consensus clair en vue d'une hausse de taux en décembre, une amélioration, même modeste, de l'inflation de base sera sans doute nécessaire", estiment les économistes de Deutsche Bank dans une note récente. Pour Scott Brown, de Raymond James, les propos de Janet Yellen sur la politique monétaire "seront sans doute très généraux, sans référence précise à la situation actuelle, même si elle peut, à cette occasion, répéter que la réduction du bilan débutera 'assez prochainement' (ou peut-être simplement 'prochainement' en retirant le qualificatif 'assez'). Cela ne serait pas surprenant." Au-delà de l'inconnue de l'inflation, un autre facteur est de nature à dissuader les banquiers centraux de toute annonce tonitruante: déjà déstabilisés par les tensions géopolitiques - le risque coréen en tête - et les turbulences politiques à Washington, les marchés ont montré ces derniers mois qu'ils pouvaient réagir avec nervosité à la tonalité inattendue d'un discours sur la politique monétaire. Fin juin, l'allocution de Mario Draghi lors du séminaire annuel de la BCE à Sintra, au Portugal, a ainsi débouché sur un malentendu, la plupart des investisseurs y voyant un premier pas vers une diminution prochaine des achats de titres de la banque centrale, ce qui a provoqué une remontée accélérée des rendements des emprunts d'Etat de la zone euro, obligeant l'institution à corriger le tir en précisant son propos. Deux sources proches de la BCE ont d'ailleurs déclaré à Reuters la semaine dernière que Mario Draghi ne devrait pas modifier son discours vendredi, conformément à la décision prise par le Conseil des gouverneurs en juillet d'attendre l'automne pour trancher le débat sur la réorientation de la politique monétaire.
Draghi défend la politique ultra-accommodante de la BCE La politique monétaire ultra-accommodante de la Banque centrale européenne est un succès et la reprise économique s'installe en zone euro, même s'il faudra encore du temps pour que l'inflation atteigne son objectif, a déclaré vendredi son président. A la conférence annuelle de Jackson Hole, dans le Wyoming, Mario Dragh a dit qu'il fallait faire preuve de patience, mais qu'il était convaincu que l'inflation convergerait vers l'objectif de la BCE - inférieur à mais proche de 2% - à mesure que l'économie arriverait à fonctionner à pleine capacité. Alors que la croissance en zone euro est supérieure à 2%, son rythme le plus rapide depuis 2011, l'inflation devrait rester sous son objectif au moins jusqu'en 2019, un dilemme pour les responsables de la politique monétaire européenne. "D'un côté nous sommes convaincus qu'avec la pleine utilisation des capacités de production, l'inflation va continuer à converger vers son objectif à moyen terme", a-t-il dit à une séance de questions après son discours. "D'un autre côté, nous devons être très patients parce que les tendances du marché du travail et la faible productivité ne sont pas des facteurs susceptibles de disparaître dans un avenir proche." Pour relancer l'inflation la BCE a acheté plus de 2.000 milliards d'euros d'actifs au cours des deux dernières années. Ce programme d'achats, appelé assouplissement quantitatif (quantitative easing ou QE), doit s'achever à la fin de l'année. Mais les responsables de la zone euro ont décidé en juillet d'ajourner pour l'instant les discussions sur les prochaines étapes, entretenant ainsi volontairement le flou sur les décisions qu'ils pourraient prendre entre septembre et décembre. "Nous n'avons pas encore constaté la convergence auto-entretenue de l'inflation vers son objectif à moyen terme", a dit Mario Draghi. "C'est pourquoi une politique monétaire très accommodante reste nécessaire", a-t-il dit, réaffirmant la position de la BCE pour une politique monétaire expansionniste. Il a noté que les capacités excédentaires de main-d'œuvre freinaient la croissance des salaires et donc l'inflation. L'euro a atteint son plus haut niveau en plus de deux ans face au dollar après ce discours, dans lequel le président de la BCE n'a pas exprimé son inquiétude concernant la fermeté de la devise européenne comme l'attendaient certains analystes. La devise européenne a touché un pic de 1,1940 dollar, son plus haut depuis janvier 2015. La devise européenne a légèrement réduit ses gains après les propos accommodants de Mario Draghi. Vers 21h35 GMT, l'euro se traitait néanmoins autour de 1,1925 dollar, encore en hausse de plus de 1%.
Menace protectionniste Mais le président a averti que malgré le soutien des politiques monétaires dans le monde, la montée du protectionnisme menace de limiter le commerce, de freiner les gains de productivité et in fine de freiner la croissance. Il a noté que la mondialisation avait laissé des pans de la société en plan, éveillant une défiance vis-à-vis des politiques traditionnelles d'ouverture et de coopération internationale. Ces propos s'opposent aux tendances protectionnistes de l'administration Trump, qui menace de dénoncer les accords commerciaux et notamment l'Alena avec la Canada et le Mexique. "Un virage vers le protectionnisme créerait de sérieux risques pour la poursuite de la croissance de la productivité et pour le potentiel de croissance de l'économie mondiale", a-t-il dit dans son discours très attendu de Jackson Hole. "Pour créer une économie mondiale dynamique, nous devons résister à la tentation protectionniste", a-t-il souligné. "Sans un potentiel de croissance plus forte, la reprise cyclique que nous constatons actuellement au niveau mondial convergera à terme vers des taux de croissance plus lents." Le président de la BCE a défendu par ailleurs la réglementation plus stricte mise en place après la crise financière, faisant écho au discours de la présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, prononcé plus tôt. "Vu le coût collectif élevé que nous avons pu constater, il n'y a jamais de bon moment pour relâcher la réglementation", a-t-il dit dans un discours qui n'a fait aucune mention de la politique monétaire actuellement menée par la BCE. "Mais il y a des moments où c'est particulièrement inopportun." "Surtout lorsque la politique monétaire est accommodante, une réglementation laxiste présente le risque de réveiller les déséquilibres financiers", a-t-il ajouté.
Yellen évite la politique monétaire Les réformes mises en œuvre après la crise financière de 2007-2009 ont renforcé le système financier sans freiner la croissance économique et d'éventuelles modifications de la réglementation en la matière devront rester limitées, a déclaré vendredi Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale. "L'éventail de la recherche suggère que le cœur des réformes que nous avons mises en œuvre a sensiblement renforcé la capacité de résistance sans limiter indûment la disponibilité du crédit ou la croissance économique", a-t-elle dit lors de la conférence annuelle de Jackson Hole, dans le Wyoming, à laquelle participent des responsables de nombreuses banques centrales du monde entier et des économistes. Ce discours peut être lu comme un plaidoyer en faveur du cadre réglementaire actuel et comme un rejet implicite de la volonté du président Donald Trump d'assouplir considérablement les règles de supervision du secteur financier pour doper la croissance. Les positions défendues par Janet Yellen en la matière sont susceptibles d'influencer la décision du président sur son maintien ou non à la tête de la banque centrale après l'expiration de son mandat actuel, fin janvier. "En quelque sorte, elle prend ses marques en matière de réglementation, qui constitue l'un des points de tension entre elle et Trump en ce moment", a commenté Phil Orlando, responsable de la stratégie actions de Federated Investors. Janet Yellen a reconnu que certaines modifications de la réglementation pourraient être nécessaires, en évoquant entre autres un éventuel assouplissement de la "règle Volcker", qui encadre les activités de trading des banques, et un allègement supplémentaire des règles appliquées aux petites et aux moyennes banques. Elle a reconnu que des modifications pourraient être bienvenues si elles permettaient d'améliorer la liquidité de certains segments du marché obligataire, même si elle juge que le système actuel reste "solide".
Toute évolution réglementaire doit rester "modeste" Elle a en revanche défendu certaines des règles critiquées par des membres de l'administration Trump et par des responsables républicains du Congrès, notamment les tests de résistance annuels des principales banques du pays, la possibilité de durcir la réglementation pour les établissements jugés d'importance systémique et celle de démanteler les établissements financiers en faillite. Le camp républicain estime que le cadre réglementaire mis en place par la réforme financière dite "Dodd-Frank" de 2010 handicape le crédit et pèse sur l'activité économique. Si les divisions au Congrès rendent peu probable l'adoption d'une réforme en profondeur de ce dispositif, l'administration Trump a déjà nommé plusieurs hauts fonctionnaires plus à même que leurs prédécesseurs à édulcorer les textes existants. Randal Quarles, choisi par le président pour le poste de vice-président de la Fed chargé des dossiers de réglementation, est ainsi un partisan déclaré de tels changements. Gary Cohn, le principal conseiller économique de Donald Trump, souvent présenté comme un possible successeur de Janet Yellen, est lui aussi favorable à des réformes. Pour Janet Yellen, "tout ajustement du cadre réglementaire devrait être modeste et préserver l'amélioration de la capacité de résistance" d'un système financier qu'elle juge mieux préparé à encaisser d'éventuels chocs. Elle a mis en garde contre la tentation de considérer que la crise financière appartenait à l'Histoire. "Déjà, pour certains, les souvenirs de cette expérience, les souvenir du coût de la crise financière, semblent être en train de se dissiper, a-t-elle regretté. L'absence de référence à la politique monétaire dans ce discours très attendu a déçu certains investisseurs, qui espéraient que la présidente de la Fed profiterait de l'occasion pour donner aux marchés des indices supplémentaires sur l'évolution future des taux d'intérêt. Cette déception s'est traduite par une baisse du dollar et des rendements des emprunts d'Etat américains tandis que la Bourse de New York progressait.