Des milliers de Catalans décidés à rester en Espagne manifestaient dans les rues de Barcelone dimanche, deux jours après la déclaration d'indépendance du Parlement catalan, qui a marqué une rupture sans précédent en 40 ans de démocratie. Ce rassemblement intervient alors que la Catalogne s'interroge sur l'avenir de Carles Puigdemont, le président indépendantiste de la région destitué par Madrid. Oriol Junqueras, son numéro deux, également démis de ses fonctions par le gouvernement espagnol, a prévenu que M. Puigdemont "est et restera le président" de la Catalogne, dans une tribune publiée dimanche. Il a également dit ne pas reconnaître les décisions prises par Madrid, qui a mis sous tutelle la région après la déclaration unilatérale d'indépendance du Parlement vendredi, laissant clairement entendre qu'il restait dans une logique de désobéissance. Pendant ce temps, des milliers de personnes convergeaient vers les points de rendez-vous prévus pour la grande manifestation pour l'unité d'Espagne à Barcelone. "La Catalogne, c'est nous tous!", disait le slogan de la manifestation organisée par la Société civile catalane (unioniste), qui avait réussi à rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes contre la sécession, le 8 octobre. Vendredi soir, un autre rassemblement de dizaines de milliers de personnes avait célébré la naissance de la "République catalane", avec des feux d'artifice. Le gouvernement espagnol du conservateur de Mariano Rajoy a reçu vendredi l'autorisation du Sénat de mettre en œuvre ,l'article 155 de la Constitution, jamais utilisé, pour prendre en direct les rênes de la région et y "restaurer l'ordre constitutionnel". La numéro deux du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria a été officiellement désignée pour la diriger, après la destitution de l'exécutif catalan. Le défi institutionnel posé par les indépendantistes est sans précédent depuis que l'Espagne a retrouvé la démocratie, même si elle a aussi été secouée pendant près de 40 ans par les violences liées au combat de l'organisation séparatiste armée basque ETA, tenue pour responsable de plus de 800 morts et qui a a renoncé à la violence en octobre 2011. Dans une allocution télévisée samedi, Carles Puigdemont, a appelé les siens à s'opposer pacifiquement à la mise sous tutelle de l'Etat, sans préciser de quelle manière cette opposition doit se manifester. Le quotidien El Pais rapportait aussi samedi qu'un gouvernement parallèle, issu de l'Association des municipalités pour l'indépendance, pourrait être mis en place.
Campagne électorale L'appel à la manifestation de la Société civile catalane, est assorti de deux mots: "coexistence" et surtout "seny", le "bon sens" supposé réunir une majorité des Catalans face à ce que les détracteurs des indépendantistes qualifient de "fuite en avant" ou de "déraison". La Catalogne, qui a toujours entretenu des relations complexes avec Madrid, a sa propre langue et sa culture, mais sur ses 7,5 millions d'habitants, plus de la moitié viennent d'ailleurs ou sont enfants issus de familles d'autres régions d'Espagne. La reprise en main de Madrid a été assortie de la dissolution du parlement et d'une convocation aux élections régionales, dès le 21 décembre. La manifestation avait d'ailleurs des airs de pré-campagne électorale, car les trois partis qui en Catalogne prônent le maintien de la région au sein de l'Espagne - Ciudadanos (libéral), le Parti socialiste catalan et le Parti populaire de Mariano Rajoy - y seront représentés. En septembre 2015, les indépendantistes avaient obtenu 47,8% des suffrages. Près de 51% des voix étaient allées à des partis soutenant le maintien dans l'Espagne ou un référendum légal d'autodétermination. Les séparatistes étaient cependant majoritaires au Parlement, avec 72 sièges sur 135, par le jeu de la pondération des voix en faveur des régions les plus rurales. "Nous avons une occasion en or. La majorité des Catalans contrainte au silence depuis des années sait qu'il faut se mobiliser en masse", avait estimé dès vendredi soir Ines Arrimadas, la chef en Catalogne du parti Ciudadanos, fer de lance de la lutte contre les indépendantistes. Dimanche, elle a tenu des propos très similaires. Selon un sondage publié dans le quotidien El Mundo vendredi les indépendantistes perdraient la majorité, obtenant au maximum 65 sièges. L'enquête, réalisée auprès d'un millier de personnes pendant trois jours, avant la déclaration d'indépendance, leur donne 42,5% des voix contre 43,4% au total pour Ciudadanos, le Parti populaire et le Parti socialiste.
"On est toujours en Espagne" "On passe pour des imbéciles aux yeux de l'Europe": à Santa Coloma, au nord de Barcelone, où il y a plus de drapeaux espagnols que de bannières indépendantistes aux balcons, les habitants désapprouvent la proclamation d'une République catalane qui ne les représente pas. Dans cette ville de 120.000 âmes aux immeubles de brique orange, nombreux sont les Catalans d'adoption : Andalous, Castillans, Aragonais... arrivés il y a 50 ans ou plus et dont les enfants sont nés ici. Sous la halle flambant neuve du centre-ville, ce samedi est un jour de marché comme les autres à Santa Coloma de Gramenet, moins de 24 heures après la proclamation de la "République" catalane. Ana Guerrero, confiseuse, empile tranquillement gâteaux et beignets dans des barquettes en plastique. "On passe pour des imbéciles aux yeux de l'Europe", juge en haussant les épaules la vendeuse de 48 ans en tablier blanc. "On aurait dû faire un référendum légal, mais la façon dont ça a été fait, ça non", poursuit-elle en pesant des bonbons. "Je ne suis pas entièrement d'accord avec le gouvernement du PP (le parti de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol), mais ils font ce qu'ils doivent faire".