Les Etats généraux de l'alimentation se clôturent ce jeudi après cinq mois de travaux. Voici l'essentiel du contenu du projet de loi qui doit être présenté au Parlement fin février au plus tard, puis adopté par ordonnances, afin que ses effets entrent en vigueur pour les négociations commerciales annuelles qui interviendront dans un an. Hausse du seuil de revente à perte La première partie du projet de loi portera sur le code du Commerce. Le seuil de revente à perte (SRP) sera rehaussé de 10 % pour les produits alimentaires, afin de limiter la guerre des prix. Désormais, les grandes surfaces ne pourront plus revendre des produits incontournables tels que le Nutella ou le Coca-Cola à un prix plancher et sans marge. Pratique qui, pour préserver leur rentabilité, les amène à tirer les prix d'achat toujours plus bas sur des produits issus de l'agriculture et des entreprises agroalimentaires françaises. Les grandes surfaces ne pourront donc plus revendre un quelconque produit alimentaire sans que le prix de vente prenne en compte les coûts du distributeur lui-même. Il est fixé à 10 % mais dans les faits, il peut varier de 7 % à 20 % selon la taille des magasins. Cela sonne, normalement, la fin des produits alimentaires vendus à "prix coûtant". Cette mesure n'est pas supposée entraîner une hausse systématique des produits alimentaires, puisque nombre de produits fournis par l'agriculture, notamment les fruits et légumes, sont déjà vendus avec des taux de marge trés élevés. Les associations de consommateurs, férocément hostiles à une hausse généralisée du caddy moyen, veilleront au grain.
La fin des promos à tout crin Les promotions des produits alimentaires seront limitées à 34 % de la valeur du produit (de type trois produits pour le prix de deux) et à 25% en volume annuel, afin de donner de meilleurs repères de prix aux consommateurs. Ces deux mesures seront mises en place à titre expérimental pour deux ans.
Inverser la construction du prix La deuxième partie du projet de loi porte sur le code rural. Sans apporter de précision nouvelle, le ministère rappelle qu'il souhaite mettre en place une contractualisation " renversée " - avec " le contrat proposé par le producteur " et non plus par l'acheteur - et " la prise en compte d'indicateurs de coûts de production et de marché qui devront se répercuter en cascade entre producteur, transformateur et distributeur ". Ce sont aux interprofessions de définir quels sont les indicateurs pertinents qui doivent être retenus. Dans une interview à Ouest-France, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Stéphane Travert, a indiqué que la construction du prix de revient se fera sur la base des organisations de producteurs, afin de prendre en compte la spécificité des régions et des modes de production agricoles (montagne, climat, produits d'appellation contrôlée ou labellisés, etc.). Cependant, ces négociations s'annoncent ardues dans certains domaines, par exemple le lait, la viande de porc ou de boeuf. Deux autres mesures seront inscrites, sans plus de précision, portant sur sur la définition des prix abusivement bas, qui doit être plus stricte et la clause de renégociation des contrats. En effet, la production agricole et la transformation agroalimentaire peuvent être impactées très brutalement par des changements dans leurs coûts de production (hausses de matières premières, nouvelles normes, etc.). Mais les renégociations au sein de la filière, entre producteurs et transformateurs, ou entre transformateurs et distributeurs, sont souvent allongées par un partenaire en position de force qui joue la montre ou engage des procédures.
Les distributeurs joueront-ils le jeu ? Les producteurs redoutent que ces mesures constituent une sorte de "ligne Maginot". Une forteresse parfaite... mais que l'on contourne. En achetant à l'étranger, moins cher, par exemple. La clé du succès reposera sur le consommateur, qui devra être séduit par les productions françaises, leur qualité et les garanties qu'elles apportent (respect environnemental, bien-être des animaux élevés, qualités sanitaires, etc.). Pour autant, la montée en gamme des produits français et de leurs conditions de production pourrait améliorer encore leurs performances à l'export. Un "Label France" est d'ailleurs à l'étude afin de bien différencier la qualité agricole et agroalimentaire française sur la scène internationale, ou la gastronomie tricolore bénéficie déjà d'une image très positive. Ce qui se retrouve dans les comptes de l'économie nationale : la France exporte pour 36 milliards d'euros en fromages, cognac, vins, céréales, conserves, etc. C'est l'équivalent de la moitié du chiffre d'affaires de l'aéronautique en France. Et comme la France exporte plus de produits agricoles et alimentaires qu'elle n'en importe (en dépit de son fort déficit en produits de la mer), la balance commerciale alimentaire est positive de 4,8 milliards. Ce chiffre est en baisse, mais permet encore d'éponger un peu nos importations massives de pétrole, de gaz et de produits manufacturés.
Respecter les animaux Une troisième partie rassemble des sujets divers: la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytosanitaires, que le ministère devrait inscrire dans la loi par ordonnance. Un grand remue-ménage en perspective pour les coopératives agricoles. Le ministère veut également étendre l'obligation de dons alimentaires à la restauration collective et aux industries agroalimentaires, au-delà d'un certain volume d'aliments traités. Les marchandises non consommées dans les cantines et restaurants d'entreprises, les hôpitaux, les maisons de retraite, pourront être données à des associations caritatives. La réduction du gaspillage alimentaire est non seulement un enjeu moral, mais une nécessité pour réduire l'impact environnemental de l'agriculture, notamment de l'élevage. Enfin, le gouvernement souhaite étendre aux abattoirs et aux transporteurs un délit de maltraitance des animaux "qui existe déjà pour les propriétaires d'animaux de compagnie".
Un plan pour le bio et les cantines Edouard Philippe devrait par ailleurs annoncer plusieurs plans. Un "plan ambition bio" début 2018, qui sera l'occasion de revoir à la hausse l'objectif de 8 % fixé pour 2020, avec une nouvelle échéance à 2022. Emmanuel Macron avait annoncé un objectif de 50 % de produits bio, de qualité et locaux d'ici 2022. Le ministère fixera par décret les pourcentages de chaque sous-catégorie. Il veut aussi mieux former les acheteurs en marchés publics et booster les projets alimentaires territoriaux pour atteindre 500 projets d'ici 2020, contre 25 aujourd'hui. Enfin, le ministère annonce également un plan d'action pour la bioéconomie qui sera présenté lors du salon de l'agriculture, et l'ajout d'un volet agricole à la feuille de route " Economie circulaire " du ministère de la Transition écologique.
Mieux contrôler les importations A l'échelle européenne, le ministère de l'Agriculture souhaite porter le projet d'un observatoire des non conformités des produits agroalimentaires importés. Ceci afin de pouvoir organiser une transparence entre Etats sur ce sujet. Il annonce également qu'il a mandaté le Conseil national de l'alimentation (CNA) pour qu'il étudie l'opportunité d'expérimenter l'étiquetage des modes d'élevages, comme c'est déjà le cas en filière œufs (distinguer l'élevage en cage, au sol dans des bâtiments fermés ou en plein air). Il souhaite d'ailleurs réviser la gouvernance du CNA, en ouvrant sa composition aux associations de consommateurs.
Des filières agroalimentaires qui s'organisent mieux Le ministère de l'Agriculture se dit satisfait de la trentaine de plans de filière reçus (de la truffe aux cidres, en passant par le lapin, le lait de vache, la viande de porc, etc.). Même si "il reste des choses à écrire" dans certains plans, les filières se sont mises "en mouvement", estime le ministère qui juge l'ensemble "encourageant". Le ministère a confirmé que les plans de filière, tout comme les résultats de l'atelier 14 sur les investissements, serviront bien à construire le plan de 5 milliards d'euros, qui sera annoncé en début d'année. Cette enveloppe servira à subventionner des aides à l'investissement en particulier dans les exploitations, pour améliorer la productivté, réduire l'usage des produits chimiques et des vaccins, améliorer le confort des animaux d'élevage, etc. On pense en particulier à de nouveaux bâtiments agricoles, à la robotisation de certaines tâches, à la numérisation des outils de travail de la terre, du suivi des cultures et des animaux, etc. Les interprofessions attendent encore un retour des associations de consommateurs, a précisé le ministère de l'Agriculture. A l'issue de cette ultime consultation qui doit avoir lieu en janvier, le président de la République rencontrera les interprofessions en début d'année, comme il l'avait annoncé à Rungis, mais selon des modalités qui ne sont pas encore définies.