Mémoires d'immigrés, le documentaire déchirant de Yamina Benguigui sur un passé tumultueux, dur, grave des Maghrébins qui ont émigré, bien avant le processus des décolonisations, en France, était à l'affiche, cette semaine, dans plusieurs cinés de Londres.La projection de ce film documentaire produit par la France en 1997, a été suivie d'un concert de la Tracy Chapman algérienne, Souad Massi. Cette œuvre qui a été projetée, en présence de la réalisatrice en 2002 à la Cinémathèque algérienne existe, actuellement, en coffret chez les bons disquaires. Elle-même fille d'un algérien émigré, Yamina Benguigui, qui a signé d'autres œuvres comme Le voile de la peur sur la condition des femmes en Afrique et au Maghreb, livre dans son Mémoires d'immigrés, d'étonnantes informations sur l'exil des hommes et des femmes, acculés pour gagner leur croûte dans une métropole austère qu'il fallait reconstruire après la guerre de 39-45. Dans ce documentaire et vous l'aurez compris, Yamina Benguigui ne parle pas des immigrés actuels, mais plutôt des premiers qui sont grands-parents, ou morts depuis la diffusion, il y a 11 ans, de ce film. Dans les années 40, les immigrés maghrébins en France ont fait, quelque peu, après leur voyage, venir leurs familles. Comme le raconte Azzouz Beggag dans sa succulente autobiographie, Le Gone du chaaba, ces immigrés ont souvent habité des bidonvilles avant d'occuper des cités HLM. Ils ont envoyé leurs enfants à l'école et ces enfants ont grandi. Aujourd'hui, leurs petits-enfants ne peuvent plus avancer sans mémoire, car sur cette communauté forte de 2 millions de personnes, dont un tiers a la nationalité française, pèse un double silence : celui des pères et celui des institutions. Avec Mémoires d'immigrés l'héritage maghrébin, Yamina Benguigui a dressé un portrait de l'intérieur de cette communauté éparpillée aux quatre coins de l'Hexagone. Conçu en trois parties, Les Pères, Les Mères, Les Enfants, le film s'articule autour de témoignages simples et touchants, souvent poignants, toujours heurtés. “ Il fallait que les pères, les mères et les enfants, se racontent, qu'on en parle, qu'on se parle ”, déclarait la réalisatrice à la diffusion du film sur Canal Plus. Sorti en salles en février 98, Mémoires d'immigrés a, notamment reçu un 7 d'Or du Documentaire en France et un Golden Gate Award à San Francisco. Un ouvrage en a été tiré, publié aux éditions Canal Plus. “ Je voulais redonner de la dignité à ces immigrés Maghrébins dont on a oublié le passé et les conditions dans lesquelles ils ont été accueillis en France. Je suis née ici, issue de parents algériens. Mes parents, et tous ceux des enfants des banlieues, des beurs comme on dit, sont toujours restés dans l'ombre. Jamais on ne les a laissés s'exprimer sur leur passé. Dans ma famille, il y avait quelque chose de honteux à parler de cette immigration. De ce fait, on se taisait. Et nous, enfants d'immigrés, ne savons rien de la réalité. L'ignorance est dangereuse. Il faut retrouver notre histoire pour mieux comprendre notre double culture, et la faire connaître aussi aux Français de souche. ” expliquait la réalisatrice à chacune de ses interventions. Beaucoup de films actuellement se penchent plutôt sur l'envie d'opérer un come back dans sa terre natale, comme c'est le cas de, Chacun sa vie de Ali Ghanem. Là aussi, le propos est fort, car chez ces vieux immigrés le choix est souvent douloureux d'autant que leurs jambes sont écartée entre un pays d'origine qu'il ne reconnaissent plus, et une contrée “ d'adoption ” qui n'est pas la leur.