Les participants à la marche pacifique pour l'Indépendance un certain mardi 8 mai 1945 dans la ville de Guelma avaient arboré pour la première fois le drapeau national, dont l'histoire de l'assemblage des étoffes, réalisé par El-Atra Abdou, est chargée d'émotions et de patriotisme. En dépit du poids de l'âge, El-Atra (95 ans) est saisie d'un enthousiasme particulier quand elle évoque à l'APS l'histoire de la confection du drapeau national. "J'ai utilisé des étoffes de mon trousseau de mariée'', se souvient encore cette couturière, affirmant que 73 ans après, l'image de ce drapeau est vivace et attise en elle les sensations patriotiques les plus profondes. El-Atra, qui a perdu lors des manifestations du 8 mai 1945 deux de ses frères ainsi que de nombreux proches, se remémore, avec beaucoup de peine, ces évènements historiques et la sauvagerie de la répression du colonialiste français, mais en raison de sa faiblesse elle laisse son fils Ali Abdou, un retraité du ministère de l'Agriculture, raconter à sa place cette histoire qu'il a eu à écouter à moult reprises. La famille de sa mère, dont son grand-père Omar, était "connue pour son engagement nationaliste'', relate Ali Abdou. Son oncle Ali, dont il a pris le nom après sa mort lors des manifestations du 8 mai 1945, était un joueur de football et un des fondateurs du club Espoir sportif de Guelma en 1941 au côté du chahid Souidani Boudjemaa. Smaïl, son second oncle également tombé en martyr durant les manifestations, était un intellectuel engagé qui a fréquenté l'école indigène de Constantine et fut un proche ami du défunt Ali Kafi.
Enthousiasme patriotique à la vue du drapeau national L'histoire d'El-Atra avec le drapeau national a commencé, affirme son fils, le 3 mai 1945 lorsque son frère Smaïl de retour de Constantine lui demanda de le coudre. Lui rétorquant qu'elle n'avait pas d'étoffes adaptées pour le faire, Smaïl lui demanda d'utiliser les vêtements de son trousseau de mariée et lui promit de lui offrir d'autres meilleures après l'Indépendance. El-Atra s'est mariée en 1943. Son père lui a offert alors, en guise de cadeau, une machine à coudre qu'elle conserve soigneusement à ce jour, assure son fils Ali. "Ma mère n'avait pas hésité une seconde et s'était mise à assembler les étoffes composant l'emblème de la patrie'', souligne Ali Abdou, poursuivant : "Mon oncle lui avait expliqué alors que la moitié en blanc symbolise la vie, celle en vert l'Algérie tandis que le croissant et l'étoile représentent le sang des Chouhada". Le 8 mai 1945, la vue du drapeau levé par les jeunes manifestants avait attisé l'enthousiasme patriotique des Guelmis surpris et avait semé la terreur chez les colons, le sous-préfet André Achiary et ses milices. Selon des documents et témoignages, ce mardi, d'ordinaire jour de marché hebdomadaire à Guelma, était alors une journée chômée en célébration de la fin de la Seconde guerre mondiale et de la victoire des alliés. Sur mot d'ordre du parti nationaliste du Mouvement du triomphe des libertés démocratiques (MTLD), les Algériens étaient descendus dans la rue en manifestation pacifique. A Guelma, la marche eut lieu l'après-midi et avait rassemblé environ 2.000 Algériens de la ville de Guelma et des villages voisins. Les manifestants s'étaient lancés de la région El-Kermat et se dirigeaient vers le monument aux morts, l'actuelle Place 19 mars. Les marcheurs entonnaient les chants patriotiques du MTLD dont Fidaou El-Djazaïr et levaient des drapeaux des alliés avec au milieu l'emblème national levé par Ali et Smaïl Abdou, frères d'El-Atra. Le sous-préfet, entouré de Français, intercepta les manifestants à hauteur de la rue "8 mai 1945'' (ex Victor Bernesse) et exigea du cortège de poser les étendards et banderoles, tentant d'arracher de force le drapeau national. Face à l'obstination des manifestants à maintenir lever le drapeau national, Achiary ouvrit le feu sur la foule suivi aussitôt de la police. Le premier chadid tombé était Boumaaza Hamed. La sauvagerie coloniale fait 18.000 martyrs Les balles tirées par Achiary furent l'annonce de terribles massacres contre des civils désarmés que ce préfet orchestra avec les milices de colons et l'armée française. Plus de 18.000 Chouhada, dont les deux frères d'El-Atra Smaïl (20 ans) et Ali (18 ans), tombèrent ce jour-là. Craignant les représailles des colons français, Messaouda, mère d'El-Atra, avait caché ses deux plus jeunes fils Hamid et Mabrouk dans un tonneau de stockage d'eau, se souvient-t-on encore. Les noms des deux Chouhada de la famille furent par la suite donnés aux nouveau-nés. Conservée dans les archives de l'association "8 mai 1945'', une correspondance du chef de la brigade mobile de Guelma, Bouisson, adressée à sa hiérarchie à Alger en date du 23 mai 1945 dit que "l'opération d'exécution par balles des participants à la marche a concerné les nommés : Belazoug Saïd, les deux frères Abdou Ali et Smaïl, Bensouileh Abdelkarim, Douaouria Mohamed, Ouartsi Amar et Mabrouk, Chorfi Messaoud et Oumerzoug Mohand Ameziane''. Des documents détenus par des militants en faveur des droits des victimes de ces massacres font état "de plus de 500 citoyens musulmans assassinés sommairement durant le mois de mai 1945 et jetés dans une fosse commune avant d'en être exhumés et emmenés sous escorte des gendarmes français vers le four à chaux de la ferme du colon Lavie à Héliopolis, où il furent incinérés tandis que d'autres furent jetés dans les quatre cavités du précipice Kef El Bouma dans la même commune''. Dans ce même contexte, des militants de l'association "8 mai 1945'' fondée à Guelma en 1995 rapportent plusieurs atrocités perpétrées par les milices sanguinaires des colons français dont l'assassinat d'une dame, Zahra Rekki, après avoir amputé certaines parties de son corps incinéré ensuite ainsi que la crucifixion de Moumni avec de gros clous sur un des murs du poste de la gendarmerie où il était resté suspendu jusqu'à sa mort. Pour préserver aux générations montantes la mémoire des victimes de ces massacres, des stèles commémoratives ont été érigées à Guelma, sur 11 sites ayant été le théâtre de ces atrocités dans les communes de Belkhir, Boumahra, Héliopolis, Oued Cheham, Lekhezara et à Guelma-ville.
Les fosses communes pour dissimuler les atrocités de la France coloniale à Sétif Aux cris de liberté des Algériens qui se sont élevés dans une marche pacifique un certain 8 mai 1945, à Sétif, la France coloniale a recouru aux fosses communes pour dissimuler son génocide pensant à tort que les convictions d'un peuple en quête de liberté peuvent être altérées. Soixante-treize ans après les faits, cet épisode sanglant reste gravé dans la mémoire collective et les fosses communes demeurent un thème sur lequel universitaires et historiens se sont penchés pour "déterrer" des victimes exécutées et enterrées sommairement. Des moudjahidine et des témoins de ces faits relatent toujours cette ambiance d'apocalypse que la France coloniale avait réservée à des milliers et des milliers d'Algériens qui rêvaient de liberté. Le journaliste Amar Chouaf qui a réalisé pour la télévision algérienne plusieurs œuvres historiques consacrées aux massacres du 8 mai 1945, affirme à l'APS que ces massacres avec toute leur terreur demeurent une page ouverte au regard du fait que les archives s'y rapportant sont détenus par la France et que les découvertes des fosses communes se poursuivent tant à Sétif qu'à Constantine, Bouira, M'sila ... et autres. Il a ajouté que ces documentaires ont concerné des fosses communes dans plusieurs régions et atteste que "chaque fosse relate l'horreur de la machine coloniale". L'écrivain-journaliste Kamel Beniaiche qui a traduit en avril passé vers l'arabe son ouvrage "Sétif, la fosse commune", a indiqué, pour sa part, à l'APS que son ouvrage est le fruit d'un travail de recherche de plusieurs années à travers de nombreuses contrées touchées par ce génocide, soutenu que le colonisateur français a recouru lors des massacres du 8 mai 1945 à Sétif à divers moyens pour raser totalement de la carte des villages entiers et au lendemain des horribles massacres furent menées les opérations d'enterrement dans des fosses communes. De son côté, le président de la fondation '8 mai 1945, Abdelhamid Selakdji a affirmé que les massacres entamés un certain mardi 8 mai 1945 à Sétif, se sont poursuivis jusqu'au 30 septembre. Et d'ajouter : "La France coloniale avait pensé que les fosses communes pouvaient cacher un acte abominable".
Des fosses de la honte encore méconnues "Nombre de ces fosses sont encore méconnues mais beaucoup d'autres sont connues et parsèment le territoire national à l'instar de celles des localités d'Ain Roua, Béni Aziz, Amoucha, Ain Kébira, Bouandèss, Sidi Saïd, Chaâbat Lakhra et Héliopolis qui enlacent les cadavres d'Algériens de tous les âges", a soutenu M. Selakdji. Le seul crime de ces civils fut d'avoir réclamé à la France "traitresse" d'honorer sa promesse au peuple algérien de lui accorder l'indépendance s'il la soutenait dans son combat contre le nazisme, a-t-il rappelé en relevant que la réponse fut la torture, les massacres sommaires, les bombardements par l'artillerie et des avions, l'incinération dans les fours, et le balancement des innocents des précipices, du haut de montagnes et dans la mer. Le moudjahid Amar Sebbia se souvient qu'au lendemain du 8 mai 1945, son père fut arrêté et trainé par des chevaux jusqu'à la ville de Sétif. "Mon père fut interrogé sous la torture du 20 mai au 23 juillet avant d'être tué et découpé en morceaux puis enterré dans la fosse commune à Sidi Saïd avec 9 autres membres de la famille" se souvient-il. Amar et ses frères furent, ajoute-t-il, transférés vers la ville d'Oran où ils furent accueillis par une dame généreuse du nom de Belkaïd Kheira. Pour l'historien Gilles Manceron, rencontré samedi dernier à l'université de Sétif en marge d'un séminaire sur "les massacres coloniaux", le nombre des fosses communes conséquentes aux massacres commis par l'armée coloniale et les milices civiles françaises durant les mois ayant suivi l'insurrection du 8 mai 1945 est "difficile à déterminer". "Les fosses de Kherata, de Chaabet Laakhra, de Melbou et du littoral voisin et de la carrière de Héliopolis témoignent de cette pratique macabre qui a été reproduite par le colonisateur français durant la Guerre de libération de l'Algérie", souligne cet historien qui relève que "la propagande française s'était alors évertuée à inventer des prétextes pour ces atrocités commises par des colons assassins''. Ces évènements du 8 mai 1945 qui avaient débuté avec des manifestations pacifiques avant de se terminer par des fosses communes, imprimèrent dans la conscience des Algériens la conviction que le colonisateur qui a occupé le pays par la force devait en sortir par la force, constituant ainsi l'étincelle de la Guerre de libération.