Le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy, coulé par un scandale de corruption, a été renversé vendredi par le Parlement, après plus de six ans au pouvoir en Espagne, et remplacé par le socialiste Pedro Sanchez. La motion de censure contre le dirigeant conservateur a été adoptée, comme prévu, vers 09H30 GMT à une majorité de 180 députés sur 350. Le sort de M. Rajoy s'est donc joué en à peine une semaine depuis le dépôt vendredi par le Parti Socialiste (PSOE) de M. Sanchez de cette motion, au lendemain de l'annonce de la condamnation du Parti Populaire du chef du gouvernement dans un méga-procès pour corruption, baptisé Gürtel. Peu de temps avant le vote, M. Rajoy, premier chef de l'exécutif renversé par une motion de censure en Espagne depuis le retour à la démocratie, avait reconnu sa défaite. "Nous pouvons présumer que la motion de censure sera adoptée. En conséquence, Pedro Sanchez va être le nouveau président du gouvernement", a-t-il déclaré, dans une courte allocution acclamée par ses partisans, félicitant son rival et soulignant son "honneur" d'avoir dirigé le pays. Un chapitre de l'histoire politique espagnole s'est donc refermé vendredi à Madrid. Au pouvoir depuis décembre 2011, M. Rajoy, 63 ans, avait survécu à plusieurs crises majeures, de la récession, dont il est sorti au prix d'une sévère cure d'austérité, aux mois de blocage politique en 2016 jusqu'à la tentative de sécession de la Catalogne l'an dernier. "Aujourd'hui, nous écrivons une nouvelle page de l'histoire de la démocratie dans notre pays", a déclaré M. Sanchez, ancien professeur d'économie surnommé le "beau mec", qui va être nommé officiellement chef du gouvernement dans les heures à venir.
La revanche de Sanchez A 46 ans, M. Sanchez tient enfin sa revanche, lui dont l'investiture à la tête du gouvernement avait été rejetée par les députés en mars 2016 avant qu'il ne réalise en juin de la même année le pire score de l'histoire du PSOE aux élections législatives. Débarqué du poste de numéro de sa formation à la suite de cette déroute électorale, il en a repris les rênes l'an dernier grâce au soutien de la base contre les barons du PSOE. Monté au front contre M. Rajoy dès l'annonce le 24 mai de la condamnation du PP dans le scandale Gürtel, il a tenté cette fois avec succès un coup de poker politique. Mais il a dû former autour des 84 députés socialistes une majorité hétéroclite allant de Podemos aux indépendantistes catalans et aux nationalistes basques du PNV. Ces derniers, qui comptent 5 députés, ont porté le coup fatal à M. Rajoy jeudi après-midi en se ralliant à la motion socialiste après avoir pourtant voté le budget du gouvernement la semaine dernière. Afin de convaincre le PNV, M. Sanchez a dû assurer qu'il ne toucherait pas à ce budget qui prévoit des largesses financières pour le Pays basque. Il a en outre promis aux indépendantistes catalans qu'il essaierait de "jeter des ponts pour dialoguer" avec le gouvernement régional de Quim Torra. Reste à savoir désormais combien de temps M. Sanchez, qui veut faire adopter des mesures sociales et a promis de convoquer par la suite des élections, sera en mesure de gouverner avec une majorité qui apparaît totalement instable. Ses alliés de circonstance ont d'ailleurs tous souligné que leur vote contre Rajoy n'était pas un chèque en blanc. Podemos a déjà réclamé d'entrer au gouvernement. "M. Sanchez veut être chef du gouvernement à n'importe quel prix" mais va "rentrer à la Moncloa (siège de la présidence du gouvernement) par la porte de derrière", a raillé Rafael Hernando, patron des députés conservateurs.
L'affaire de trop La condamnation du PP dans le procès Gürtel pour avoir bénéficié de fonds obtenus illégalement aura donc été l'affaire de trop pour M. Rajoy, dont le PP est empêtré dans plusieurs scandales. Dans cette affaire, les juges ont conclu à l'existence d'un "authentique système de corruption institutionnelle" entre le PP et un groupe privé à travers la "manipulation de marchés publics", ainsi qu'à l'existence d'une "caisse noire" au sein du parti. Ils ont de plus mis en doute la crédibilité de M. Rajoy qui avait nié l'existence de cette comptabilité parallèle devant le tribunal. Le triomphe de l'obstination Battu lors des deux dernières élections puis évincé de son parti avant d'en reprendre les commandes, le socialiste Pedro Sanchez a réussi vendredi son dernier coup de poker pour se hisser au pouvoir en Espagne. "Aujourd'hui, nous écrivons une nouvelle page de l'histoire de la démocratie dans notre pays", a déclaré M. Sanchez vendredi matin, impeccablement cintré comme à son habitude dans un costume sombre, avant que le Parlement n'adopte la motion de censure contre M. Rajoy et lui accorde dans le même temps sa confiance. "Le hasard lui donne l'occasion de pouvoir jouer un rôle central", souligne Fernando Vallespín, politologue à l'Université autonome de Madrid, et il a tenté du coup "un pari risqué". Une "attaque en désespoir de cause", dit-il, car le Parti socialiste, en perte de vitesse, était "tenu à l'écart de la première ligne du débat politique" occupée par le PP, les libéraux de Ciudadanos et la gauche radicale de Podemos. Né le 29 février 1972 à Madrid, Sanchez a grandi dans une famille aisée, auprès d'un père entrepreneur et d'une mère fonctionnaire, et a étudié l'économie dans la capitale espagnole avant de décrocher un master d'économie politique de l'Université libre de Bruxelles. Conseiller municipal à Madrid de 2004 à 2009, il devient député en 2009 à la suite de la démission du titulaire du siège, avant de connaître une ascension fulgurante. Propulsé en 2014 à la tête d'un PSOE affaibli à la faveur des premières primaires de l'histoire du parti, il arrive derrière Mariano Rajoy lors des élections de décembre 2015. Dans le contexte de paralysie politique qui s'en suit, il tente sans succès de former un gouvernement avec l'appui de Ciudadanos et de Podemos. De nouvelles élections sont convoquées en juin 2016 et le PSOE dégringole encore, enregistrant son pire résultat depuis le rétablissement de la démocratie en 1977. Sanchez est alors défenestré du PSOE par la direction du parti, qui le juge responsable. Mais il revient par la grande porte en mai 2017, après avoir fait campagne en voiture dans toute l'Espagne pour rallier les militants qui voteront pour le rétablir à la tête du parti.
"Judas" pour la droite S'étant rapproché de Rajoy ces derniers mois sur la question de l'indépendance de la Catalogne, Sanchez restera désormais pour le PP comme le tombeur d'un chef du gouvernement qui avait survécu à de nombreuses crises. "Pedro Sanchez passera à l'histoire comme le Judas de la politique espagnole", a lancé récemment Fernando Martínez-Maillo, coordinateur de la formation conservatrice tandis que Rajoy l'a accusé d'être "prêt par ambition personnelle (...) à s'allier avec n'importe qui à n'importe quel prix".