La Commission européenne a demandé à Rome des "clarifications" sur son budget 2019, considéré comme "hors des clous". Selon Matthieu Grouès, responsable de la stratégie et de l'allocation d'actifs chez Lazard Frères Gestion, trouver un compromis s'annonce très complexe. Question: Vous attendez-vous à un bras de fer entre Rome et Bruxelles?
Réponse: "Nous pensons qu'il sera très compliqué de parvenir à une entente. Entre ce que ce gouvernement a +vendu+ aux électeurs et ce que la Commission avait négocié avec le gouvernement précédent, il y a un écart colossal. Si la coalition avait mis en œuvre immédiatement tout son programme, le déficit serait aux alentours de 6%. Avec un déficit à 2,4%, elle a déjà le sentiment de faire un effort énorme. A l'inverse, la Commission avait négocié avec le gouvernement précédent un déficit à 0,8% en 2019 et à 0 en 2020, et surtout une réduction du déficit structurel de l'ordre de 0,6 point par an. Or 2,4%, c'est une hausse de 0,8 point du déficit structurel et pour elle c'est inadmissible. La donnée supplémentaire est que le fonds de commerce de Matteo Salvini est le conflit avec les instances européennes, qui pour lui représentent +l'ennemi+. L'idée même d'arriver à un accord avec la Commission est déjà quelque part contraire à sa marque de fabrique. Dans ces conditions, il paraît très compliqué de parvenir à un accord".
Q: Quels sont les scénarios possibles?
R: "Certains défendent l'idée que la Commission, à l'approche des élections européennes, va être particulièrement conciliante. De mon côté, je suis très sceptique, je ne vois pas pourquoi elle accepterait l'inacceptable et cèderait à un gouvernement qu'elle considère comme populiste, parce que cela serait la meilleure façon d'encourager le populisme. L'hypothèse peut-être la plus réaliste est qu'on passe par une tension assez violente sur les marchés, tension qui, à un moment, finirait par créer un mouvement de défiance au sein de la population italienne qui obligerait le gouvernement à céder. Mais c'est très difficile à mesurer. Une alternative qu'on ne peut pas totalement exclure est que Salvini prenne à témoin la population, en disant +on a un programme voté démocratiquement par le peuple mais des technocrates à Bruxelles nous empêchent de l'appliquer", et qu'il décide de sortir de la coalition pour provoquer un retour aux urnes. Le dernier scénario est celui d'un certain statu quo: la Commission rejette le budget mais les Italiens s'en moquent, en estimant qu'un spread (le très surveillé écart entre les taux allemand et italien à dix ans, NDRL) qui reste entre 300 et 400 points est compensé par sa politique accommodante.
Q: Les agences de notation doivent se prononcer d'ici la fin octobre sur la situation de l'Italie. Quelles seraient les conséquences d'une dégradation de sa note?
R: "Si la baisse est d'un cran, les marchés ne bougeront pas, car ils l'ont totalement anticipée. Si la baisse est accompagnée d'une perspective négative (ce qui laisse entendre qu'une nouvelle dégradation pourra intervenir dans six mois à un an, NDLR), la situation se dégradera un peu sur les marchés. En revanche, si la baisse est de deux crans, faisant passer l'Italie de catégorie investissement à catégorie spéculative, cela compliquerait violemment la situation, comme on l'avait vu en 2011-2012 avec le Portugal. A chaque fois qu'une agence de notation avait fait passer ce pays en catégorie spéculative, le spread avait gagné autour de 200 points. Mais personne n'imagine pour le moment une baisse de deux crans. Le taux italien est aujourd'hui autour de 3,6%, c'est toujours mieux d'avoir un taux plus bas, mais l'Italie a eu des taux bien supérieurs, autour de 4% entre 2000 et 2010. Les Etats-Unis ont aussi un taux autour de 3%, alors même qu'ils n'ont aucun problème de crédit. Le gouvernement peut décider de continuer à payer un tel taux, qui n'est pas impossible, en estimant qu'appliquer sa politique en vaut la peine".
Pas de risque de contagion Les tensions sur la dette italienne, qui inquiètent les marchés, ne présentent pas de risque de contagion, a déclaré vendredi à Rome le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici. Interrogé sur ce risque, alors que le spread, l'écart très surveillé entre les taux d'intérêt allemand et italien, s'est envolé, M. Moscovici a répondu par la négative. Mais, a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse, "tout cela signifie qu'on attend de l'Italie qu'elle soit un pays totalement engagé dans la zone euro". Interrogé sur les craintes exprimées par certains analystes d'un "italexit", une sortie de l'Italie de la zone euro, M. Moscovici a jugé que celle-ci n'aurait "pas de sens". "Ne parlons pas de ce qui risque de démanteler la zone euro", a-t-il affirmé. Le commissaire européen s'exprimait à l'issue d'une visite de deux jours à Rome au cours de laquelle il a remis une lettre au ministre italien des Finances Giovanni Tria, demandant des "explications" après l'annonce d'un projet de budget jugé "hors des clous" européens. M. Moscovici a réitéré qu'il attendait des réponses de la part de M. Tria "avant lundi midi". "Les choses sont claires, nous ne sommes pas venus pour annoncer une décision, ou donner des leçons", a insisté le commissaire, soulignant que l'Italie devait répondre aux préoccupations de la Commission mais aussi à celles exprimées par les pays européens "liés à l'Italie par l'euro". Ces questions, a-t-il rappelé, portent sur le niveau du déficit, essentiellement structurel, sur l'endettement global et sur la capacité à soutenir la croissance. "On a bien noté l'engagement de M. Tria pour relancer la croissance et réduire la dette, ce sont des objectifs que nous partageons", a encore dit M. Moscovici. Le projet de budget italien pour 2019 prévoit un déficit à 2,4% du Produit intérieur brut (PIB), très éloigné des 0,8% promis par le précédent gouvernement de centre gauche. Le dérapage italien est "sans précédent dans l'histoire du Pacte de stabilité et de croissance", a écrit la Commission dans un courrier où elle demande à l'Italie de lui présenter ses observations avant "le lundi 22 octobre à midi". Bruxelles pointe un risque de "non-conformité grave" avec les règles européennes, qui pourrait l'amener à rejeter ce budget, ce qui ne s'est encore jamais produit dans l'histoire de l'UE. Pour autant, M. Moscovici a souligné vouloir maintenir avec le gouvernement populiste italien un dialogue "constructif". Il a insisté sur la nécessité d'un dialogue serein afin d'éviter les tensions. La Commission "prendra ses décisions et maintiendra un esprit de dialogue avec la volonté de trouver une solution même quand on n'est pas d'accord", a-t-il noté. L'Italie est traitée "comme tous les autres Etats membres, il n'y a pas d'arrière-pensée", a-t-il souligné. "La Commission n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais contre l'Italie", a martelé M. Moscovici.