Le syndicat de police Vigi a appelé à la grève à partir de ce samedi 8 décembre, jour de la nouvelle mobilisation des Gilets jaunes à Paris et dans tout le pays. Alexandre Langlois, son secrétaire général, s'est confié à Sputnik France. Il nous a livré ses motivations, les conséquences de cet appel et ses craintes face à une police exténuée. "Il est temps de s'organiser légalement et d'être solidaire avec eux, pour l'avantage de tous." Eux, ce sont les Gilets jaunes. Et cet extrait provient du communiqué publié le 5 décembre par le syndicat de police Vigi-Ministère de l'Intérieur. Face à la crainte "d'avoir des morts", l'organisation a appelé à la grève pour aujourd'hui. Cette date symbolique marque celle de la quatrième mobilisation des Gilets jaunes à travers le pays. "Notre hiérarchie va encore nous envoyer prendre les coups à sa place et à la place du gouvernement", affirme le syndicat. Avant de poursuivre: "Nous savons que nous aurons des blessés et nous craignons d'avoir des morts parmi nous." Alors que l'Élysée craint que plusieurs milliers d'individus viennent à Paris "pour casser et pour tuer", Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat Vigi-Ministère de l'Intérieur, s'est confié à Sputnik France. Il en appelle à ses collègues "épuisés" et leur demande de se mettre en arrêt ou d'exercer leur droit de retrait s'ils sont "proches du burn-out" et ce; pour éviter "de commettre l'irréparable"… ou d'en être les victimes. Il demande également des gestes forts de la part du gouvernement pour calmer la colère des Gilets jaunes. Entretien.
Sputnik France: Dans votre communiqué, vous dites qu'il est temps de s'organiser légalement et d'être solidaire avec les Gilets jaunes. Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Alexandre Langlois: Il ne s'agit pas de les rejoindre, mais de montrer notre solidarité. Les Gilets jaunes sont un mouvement apolitique et non syndical. On ne va pas venir avec nos banderoles dans le cortège. Le but est de montrer que l'on soutient leurs revendications pour l'augmentation du pouvoir d'achat. À titre individuel, chacun de nos collègues qui ne sont pas en service est libre de marcher avec eux lors de la manifestation.
Ce préavis de grève ne concerne pas tous les membres de la police, mais le personnel de soutien technique et administratif. Vous dites cependant que "sans les adjoints techniques et ouvriers cuisiniers, les compagnies de CRS peuvent être immobilisées". Quel impact cela aura-t-il sur le terrain? Il y a déjà un premier impact avec le rappel de compagnies de gendarmerie mobile. Après, il est difficile de savoir ce que cela va donner. Nous avons des premiers retours positifs sur le suivi de cet appel à la grève. Beaucoup de nos collègues nous disent que c'est une très bonne idée. Mais c'est toujours la même chose. Est-ce que les actes suivront la parole? Nous aurons la surprise samedi matin.
Comment envisagez-vous la manifestation du 8 décembre à Paris? Il n'y a pas de bonne solution pour samedi. Nombreux sont nos collègues qui sont traités comme des chiens depuis des semaines avec des heures de travail à n'en plus finir, le tout sans relâche. Nous, ce que nous leur disons, c'est de ne pas aller commettre l'irréparable sur la voie publique s'ils sont proches du burn-out et de se retirer. Au lieu de se rendre responsable d'une bavure, qu'ils appellent leurs médecins et qu'ils se mettent en arrêt. Pareil pour ceux qu'on enverra sur des maintiens de l'ordre alors qu'ils n'ont pas la formation adéquate. On se rappelle tous du collègue qui a violemment frappé un lycéen le 24 mars 2016 devant le lycée Bergson durant les manifestations contre la réforme du Code du travail. Il n'était pas formé pour ce type d'événement. Alors pour éviter les drames, il vaut mieux se mettre en arrêt ou exercer son droit de retrait. De plus, les collègues s'exposent à des sanctions. Le week-end dernier, un policier qui est invalide à 20% et qui n'est pas censé se retrouver sur des maintiens de l'ordre a tout de même été envoyé sur l'un d'eux. Résultat, au bout d'un moment, il ne tenait plus et est rentré au commissariat. Maintenant, l'administration veut le sanctionner….
Vous êtes le premier syndicat de police à appeler à une telle grève depuis le début du mouvement. Si ce genre d'initiative venait à se multiplier, l'État n'aurait pas d'autre choix que d'avoir recours à l'armée. Symboliquement cela serait terrible… L'armée peut intervenir si nous sommes en situation de guerre civile, ce qui n'est pas le cas. Elle peut aussi intervenir si nous sommes envahis par une puissance étrangère. Ce n'est pas non plus le cas. Reste une troisième possibilité, qui est celle du basculement dans une dictature. Faire appel à l'armée enverrait un signal terrible.
L'Élysée dit craindre que des milliers d'individus déterminés à casser et tuer déferlent sur la capitale le 8 décembre. Ne craignez-vous pas que votre décision n'affaiblisse le dispositif et que l'on vous rende responsable en cas de drame? On n'a pas la moindre idée de ce qu'il va se passer. Sarkozy a tué le renseignement et on a tout misé sur l'antiterrorisme. Aujourd'hui, la vérité c'est que les services de renseignement sont aveugles sur les Gilets jaunes. Pas parce qu'ils sont mauvais, mais parce qu'on les empêche de faire leur boulot. De plus, à force de dire que des hordes de casseurs et de tueurs vont déferler sur Paris, cela va finir par devenir réalité. Les casseurs qui se disaient "de toute façon la manifestation sera pacifique, cela ne sert à rien d'y aller" vont être motivés par ce genre de déclarations. Et puis si les policiers présents sont exténués, physiquement et psychologiquement, il va y avoir des drames. La hiérarchie pense que nous sommes des Robocop. Mais ce n'est pas le cas.
Vous mettez en cause l'organisation des dispositifs de sécurité des deux dernières manifestations parisiennes des Gilets jaunes… Les maintiens de l'ordre ont été extrêmement mal gérés à Paris les 24 novembre et 1er décembre. Des gens comme Alain Gibelin, le directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC), ont fait preuve d'incompétence. Concernant l'Arc de Triomphe le 1er décembre, on a demandé à une compagnie de CRS de se replier. La coordination était catastrophique pour le résultat que l'on connaît. Si les bons ordres sont donnés, la situation peut être contrôlée. C'est une question de volonté et de compétence. Pour le 8 décembre, la bonne nouvelle est que la manifestation sera en mouvement. Au lieu que les gens se rassemblent dans une zone, se retrouvent coincés, montent des barricades, etc., ils marcheront d'un point A à un point B. Les éléments les plus violents se placent toujours en tête ou en fin de cortège. Cela rend les choses moins difficiles pour les forces de l'ordre. Sputnik France: Que demandez-vous au gouvernement? Alexandre Langlois: Pour éviter un nouveau samedi noir, le plus simple serait qu'il réponde sérieusement à plusieurs revendications des Gilets jaunes. Ils ont encore 48 heures pour apporter de vraies réponses à ces gens qui veulent juste avoir à manger sur la table et finir leurs mois. Ils ont été capables de décider rapidement pour l'annulation de la hausse des taxes sur le carburant. Ils sont donc capables d'aller plus loin. Et vite.