Les partenaires sociaux ont acté mercredi l'échec des négociations sur la réforme de l'Assurance chômage, faute d'accord sur un système de bonus-malus pour les contrats courts, laissant ainsi la possibilité à l'Etat de reprendre la main. Ce constat d'échec a conclu la dixième séance de discussion des organisations patronales et syndicales sur cette réforme censée permettre 3 à 3,9 milliards d'euros d'économies sur trois ans, réviser les règles du cumul emploi-chômage et enrayer l'abus des contrats de travail courts. "Nous faisons le constat aujourd'hui que nous ne pouvons trouver de points de convergence", a déclaré le négociateur du Medef, Hubert Mongon, à l'issue de la rencontre. Selon lui, ce sont les organisations syndicales qui "ont fait part de leur volonté de mettre fin à ces discussions", malgré les propositions du patronat, résolument opposé à la mise en place d'un système de bonus-malus. Il avait fait une ultime proposition pour éviter un tel dispositif selon lui "mortifère pour l'emploi", consistant à moduler les cotisations patronales en fonction du recours aux contrats de travail de courte durée. Il s'agissait d'un "forfait" de cinq euros payé par les entreprises recourant aux contrats courts, pour financer la formation des salariés précaires ou leur mobilité. "Des mesurettes", a dénoncé Denis Gravouil, de la CGT. "Nous n'avons même pas voulu l'analyser", a renchéri Michel Beaugas, de Force ouvrière. "Il n'y a aucune consistance dans la mesure", a ajouté Eric Courpotin, de la CFTC. Les syndicats avaient fait du bonus-malus, une condition sine qua non de leur participation aux négociations. Selon des calculs de FO, le volet malus n'aurait concerné que 18% des entreprises, principalement de grande taille, dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration et de l'hébergement médico-social.
"Fin d'une époque" Eric Courpotin a regretté que "l'intérêt supérieur de certaines entreprises qui abusent des contrats courts (ait) été plus fort que l'intérêt des plus précaires". "Clairement, on ne partage pas la vision qu'ils peuvent avoir de la nécessité de faire des économies", a pour sa part dit Marylise Léon, de la CFDT. Patronat et syndicat s'inquiètent cependant des conséquences de cet échec, qui ouvre toute grande la voie au gouvernement pour reprendre les rênes de l'assurance chômage. "On acte la fin d'une époque", dit-on à la CFE-CGC. "Le paritarisme (...) prend un coup important", a renchéri Patrick Liebus, de l'U2P (syndicat des artisans). La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, s'était dit prête à agir par décret pour réduire le travail précaire. "Je regrette vraiment vivement que cette négociation se soit conclue par un échec", a-t-elle déclaré à Reuters mercredi soir. "La loi a prévu qu'en cas d'échec des négociations des partenaires sociaux c'est à l'Etat de définir les règles", a-t-elle ajouté. "Donc, bien sûr, nous prendrons nos responsabilités et j'annoncerai dans quelques jours quels sont les éléments de méthode, de calendrier et la manière dont on va s'y prendre." Les syndicats craignent que les demandeurs d'emploi ne deviennent une "simple variable comptable".
Rencontre tripartite La CFE-CGC s'inquiète notamment du retour de la dégressivité des allocations chômage consistant à plafonner celles des cadres gagnant un certain revenu, comme proposée par l'exécutif. Le patronat dit pour sa part s'inquiéter pour l'emploi. "Nous serons attentifs à ce que le gouvernement, dans les décisions qu'il aura à prendre, respecte strictement les éléments figurant dans ce document de cadrage", qui ne reprend pas le terme de "bonus-malus", a ainsi dit Hubert Mongon. Les organisations patronales et la CFDT ont demandé une rencontre tripartite avec la ministre du Travail pour être associés aux décisions qui seraient prochainement prises. Une requête à laquelle l'Elysée a répondu en disant qu'en cas de décret, le ministère du Travail avait bien l'intention de concerter l'ensemble des acteurs concernés. Pour l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et président du cabinet de conseil Alixio Raymond Soubie, la négociation avait peu de chance d'aboutir. "Le gouvernement a envoyé un document de cadrage qui fait deux demandes principales : l'une n'a jamais été acceptée par le patronat (...), l'autre pose des problèmes aux syndicats puisqu'il s'agit de faire des économies (...), ce qui veut dire réduire un certain nombre de droits pour les chômeurs", dit-il.
Chemin périlleux pour Macron L'échec de la négociation sur l'assurance chômage place Emmanuel Macron et Edouard Philippe dans une situation délicate en les poussant à clarifier leur politique, au risque d'attiser les tensions et de fragiliser leur programme de réformes. Les organisations patronales et syndicales ont interrompu mercredi leurs discussions après une ultime séance, faute d'avoir pu s'entendre sur la mise en place d'un bonus-malus censé pénaliser le recours aux contrats courts. L'Elysée et Matignon leur avaient demandé de résoudre une équation explosive politiquement : réaliser 3 à 3,9 milliards d'euros d'économies sur trois ans, ce qui suppose de réduire certains droits des salariés, et créer un mécanisme anti-contrats courts farouchement rejeté par les entreprises. Les partenaires sociaux ayant jeté l'éponge, l'exécutif devra seul assumer des choix qu'il sait impopulaires mais qu'une partie au moins de ses équipes juge indispensables. "Les trois grandes réformes de cette année - assurance chômage, fonction publique et retraites - sont à faire, les trois seront faites", assure une source au sein de l'exécutif. "Notre problème économique fondamental, c'est ce chômage structurel qui fait qu'on n'a pas assez de croissance, qu'on ne peut pas redistribuer de pouvoir d'achat, qu'on ne peut pas financer suffisamment bien les services publics", ajoutait-elle. Pour y remédier, l'Elysée et Matignon estiment qu'il faudra durcir certaines règles de l'indemnisation du chômage, pour générer des économies et surtout pour accroître les incitations à reprendre un emploi et à travailler davantage. Dans leur ligne de mire en particulier : des modifications des règles d'indemnisation intervenues ces dernières années, qui ont rendu plus attractive la "permittence" - les allers-retours entre périodes d'emploi et de chômage indemnisé. "On a des règles qui favorisent le recours au travail précaire, tant du côté des employeurs, que des demandeurs d'emplois. C'est absurde", a dénoncé la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, mercredi matin, sur BFM TV.
Double risque Alors que la crise des "Gilets jaunes" perdure, l'exécutif s'expose à un double risque : accroître la colère de ceux qui peinent à vivre dignement et marginaliser encore un peu plus les partenaires sociaux, médiateurs des revendications des salariés et des chefs d'entreprise, nombreux dans les manifestations. Muriel Pénicaud, qui s'exprimait quelques heures avant l'échec des négociations, avait confirmé sur BFM TV que le gouvernement reprendrait la main sur la réforme de l'assurance chômage si les discussions étaient interrompues. L'Elysée avait précisé lundi qu'en cas d'échec, l'exécutif tenterait de maintenir les partenaires sociaux dans la boucle. "Le gouvernement ne fera pas seul, les partenaires sociaux auront un rôle à jouer" même si l'exécutif modifie les règles de l'assurance chômage par décret, avait dit une source. "Le ministère du Travail a bien l'intention de concerter l'ensemble des acteurs concernés", avait-elle ajouté. Le patronat et la CFDT ont appelé à une réunion tripartite sur la suite du processus avec le ministère du Travail. Ce dernier n'a pas encore dit quand se tiendraient ces discussions. Selon plusieurs sources, l'exécutif aurait préféré un accord des partenaires sociaux, à condition cependant qu'il soit ambitieux, ce qui explique l'irruption d'Emmanuel Macron dans le processus de négociation pour défendre le bonus-malus. La date des décisions de l'exécutif n'est pas connue, alors que le "grand débat national" lancé par le président pour tenter de sortir de la crise des "Gilets jaunes" s'achèvera mi-mars. "Dans la situation que nous connaissons, éliminer les partenaires sociaux est dangereux", prévenait Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et président du cabinet de conseil Alixio, avant l'échec des négociations. Selon lui, la crise des "Gilets jaunes" reflète notamment "l'affaiblissement des échelons politiques et l'affaiblissement des corps intermédiaires" et l'exécutif doit se méfier de la tentation d'établir partout un rapport direct avec les citoyens. "C'est très difficile pratiquement et ça peut aboutir à une absence de démocratie. Au nom de la démocratie directe, ça peut aboutir à une absence de démocratie", ajoutait-il.
Le débat sur les contreparties aux aides sociales agite la majorité Le débat "explosif" lancé par le Premier ministre Edouard Philippe sur d'éventuelles contreparties au versement d'aides sociales a continué mercredi d'agiter la majorité, à la veille d'une rencontre à l'Elysée partiellement consacrée à ce dossier. "Ce à quoi je ne crois pas et avec quoi je ne suis pas d'accord", ce sont des "contreparties punitives", a souligné la ministre du Travail Muriel Pénicaud sur BFM TV-RMC. "Quand on n'est pas en travail depuis longtemps, retrouver une situation de travail, se remettre dans un cadre de travail, ce n'est pas évident." "Qu'il y ait une première étape qui soit proposée, qu'on puisse faire du travail bénévole pendant quelques heures, pourquoi pas, mais aussi sous d'autres formes", a-elle ajouté. "Il faut une activité un peu tremplin quand on a été au chômage pendant longtemps". "Beaucoup sont preneurs (...) la logique ce n'est pas de l'imposer", a-t-elle poursuivi. "On ne peut pas dire aux gens simplement 'on vous donne une indemnité pour vivre, parfois pour survivre et puis c'est tout, la société ne s'occupe plus de vous'". Même son de cloche chez la secrétaire d'État auprès de la ministre de la Santé, Christelle Dubos. "Je veux que ce soient des contreparties qui permettent aux personnes bénéficiant des minima sociaux de pouvoir sortir et aller vers de l'insertion sociale et professionnelle", a-t-elle dit sur Radio Classique. "La question est posée dans le cadre du grand débat, la contrepartie elle existe déjà depuis 30 ans avec le RMI puis le RSA, c'est le droit et l'obligation d'un accompagnement", a-t-elle ajouté. "Le constat qui est fait aujourd'hui, c'est que 700.000 bénéficiaires en France n'ont pas d'accompagnement." "Je crois que la contrepartie, c'est aussi une contrepartie de politique publique: c'est être présent, les accompagner vers de l'emploi et vers une activité", a-t-elle poursuivi.
Déjeuner de travail La question de contreparties, qualifiée de sujet "explosif" par Edouard Philippe lui-même, suscite des remous depuis vendredi notamment au sein de l'aile gauche de la majorité présidentielle. La présidente de la commission des Affaires sociales, Brigitte Bourguignon (LaREM), a appelé à arrêter "de stigmatiser nos concitoyens les plus fragiles en reprenant les propositions de Laurent Wauquiez et des tenants du 'cancer de l'assistanat'", estimant que cela ajoutait de la "division inutile entre les Français". Au MoDem, la députée Isabelle Florennes a appelé à faire "attention à ne pas stigmatiser" tandis qu'au Parti socialiste, le porte-parole Boris Vallaud a estimé que "les minima sociaux" constituaient "déjà une contrepartie aux injustices de la vie". Face aux critiques, Edouard Philippe a défendu sa position mardi à l'Assemblée nationale, jugeant qu'il n'était "pas scandaleux, je le dis comme je le pense, de poser la question des droits et des devoirs". Selon Muriel Pénicaud, la question sera à l'ordre du jour du déjeuner de travail organisé jeudi à l'Elysée entre Emmanuel Macron, Edouard Philippe et les présidents des conseils départementaux.
Les partenaires sociaux invités à agir sur la santé au travail Edouard Philippe a proposé mercredi aux partenaires sociaux de réfléchir pendant trois mois à la santé au travail et au maintien en emploi pour décider des sujets devant faire l'objet de négociations ou de concertations. Cette "réflexion partagée" serait structurée autour de deux grands axes : accompagner les entreprises pour faire émerger une culture de prévention ; mieux protéger la santé des travailleurs et favoriser leur maintien en emploi, précisent les services du Premier ministre dans un communiqué. "La négociation éventuelle comme la concertation seront précédées d'un document d'orientation", ajoutent-ils. Edouard Philippe a reçu mercredi un rapport sur les arrêts de travail, un sujet sur lequel le diagnostic de l'exécutif est tranché. "La situation actuelle, caractérisée par un système d'indemnisation peu équitable et le dynamisme important de la dépense associée, est doublement préoccupante : le dispositif en place ne facilite pas le retour rapide à l'emploi et la progression des dépenses d'indemnités journalières pèse significativement sur l'Assurance maladie", estime Matignon. Le rapport de Jean-Luc Bérard (Safran), Stéphane Oustric (médecin) et Stéphane Seiller (Cour des comptes) prône en particulier d'encourager la prévention, prévenir la désinsertion professionnelle, aider les médecins pour une prescription "pertinente", offrir des alternatives comme le télétravail, rénover les règles de contrôle et améliorer l'équité du système d'indemnisation, poursuit le communiqué.