Donald Trump a décidé de lever les exceptions au régime de sanctions frappant les consommateurs de pétrole iranien. Désormais, l'Inde, la Chine, la Turquie, le Japon et la Corée du Sud devront chercher de nouvelles sources d'approvisionnement en pétrole, et que le marché mondial perdra entre 1 et 2 millions de barils par jour. On s'attend donc à une nouvelle hausse des cours pétroliers, déjà élevés, à moins que l'Opep n'intervienne, écrit le quotidien Izvestia. Quel sera l'impact de la décision de Donald Trump pour la communauté internationale?
Zone interdite Les sanctions américaines ont été décrétées en novembre 2018, quand Washington n'a pas réussi à forcer l'Iran à collaborer sur son programme nucléaire et balistique de la manière dont les USA l'entendaient. La Maison-Blanche avait alors décidé de durcir la pression économique sur Téhéran, avec pour objectif proclamé de réduire à zéro les exportations pétrolières iraniennes - principal produit d'exportation du pays. L'Iran avait rapidement augmenté sa production pétrolière après la précédente levée des sanctions par l'administration Obama et fin 2018, ses exportations pétrolières s'élevaient à 2,5 millions de barils par jour. La demande en hydrocarbures iraniens étant particulièrement élevée sur les marchés asiatiques, plusieurs pays, y compris certains alliés des États-Unis, se sont retrouvés dans une position inconfortable après le retour des sanctions car il était impossible de remplacer rapidement les fournitures iraniennes. Washington avait alors mis au point un système d'exceptions permettant aux consommateurs de pétrole iranien de gagner du temps afin de trouver de nouveaux partenaires. Ce programme concernait huit pays: l'Inde, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Turquie, Taïwan, l'Italie et la Grèce. Les trois derniers ont rapidement cessé d'acheter du pétrole à l'Iran, mais les autres espéraient que l'exemption de six mois serait en réalité illimitée dans le temps. Les actions brusques de la Maison-Blanche ont donc constitué une surprise désagréable pour eux. La Chine, qui importe près de la moitié du pétrole qu'elle consomme, estime que ses relations commerciales avec l'Iran sont parfaitement légitimes et ne veut pas en souffrir. De son côté, la Turquie a déploré cette décision qui menace la "stabilité régionale". L'Inde s'est également retrouvée dans une situation compliquée parce qu'elle dépend également des fournitures pétrolières du Venezuela, frappé lui aussi par les sanctions américaines. Ainsi, plusieurs grandes économies se sont retrouvées en difficulté - et n'étaient manifestement pas préparées au durcissement de la politique américaine. A présent, ces pays devront trouver d'autres fournisseurs. Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo s'est empressé d'apaiser les éventuelles ardeurs en déclarant que l'Amérique avait mené un travail avec les plus grands fournisseurs du Golfe, notamment avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU). Si ces pays augmentaient leurs exportations, le problème serait réglé - selon les Américains.
Le jeu arabe Cependant, aucun détail n'a été révélé pour le moment sur d'éventuels accords entre Washington et Riyad. Officiellement, les représentants du royaume répètent les formulations traditionnelles. D'après le ministre saoudien de l'Énergie Khaled al-Faleh, l'État travaillera avec d'autres producteurs afin de "garantir aux consommateurs des volumes adaptés et faire en sorte que le marché pétrolier global ne perde pas son équilibre". Dans le même temps, d'autres avis sont exprimés officieusement. Le Financial Times écrit ainsi que même si, dans les couloirs, les Saoudiens disent que Riyad est prêt à compenser les volumes manquants sur le marché (notamment tant que les risques avec le Venezuela et la Libye resteront d'actualité), leur décision sera prise seulement après l'évaluation de toutes les conséquences de la suppression des exceptions pour l'Iran. Le fait est que l'an dernier, faire le jeu des États-Unis en politique étrangère ne s'est pas avéré favorable pour les Saoudiens. Avant l'adoption des sanctions anti-iraniennes, Riyad avait considérablement augmenté sa production. Or le royaume ignorait que les plus grands clients de la république islamique seraient exemptés de l'interdiction. Résultat des courses: le baril a chuté de plus d'un quart durant tout l'hiver, ce qui a affecté les producteurs pour qui le bon tarif est largement supérieur à 50 dollars. Depuis, les Saoudiens ont réduit continuellement leur production. En mars, elle a chuté de 440.000 barils par jour en-dessous du volume prévu par l'accord Opep+. Cette action a permis de redresser le cours pétrolier après son fléchissement en hiver. Même trop, s'avère-t-il: de nombreux membres de l'Opep ont volontairement réduit leur production, alors que d'autres ont été contraints de le faire. Le Venezuela reste aux prises avec une crise politique et économique, tandis que la guerre civile en Libye est loin d'être terminée. A cela s'ajoute désormais le facteur iranien. Immédiatement après l'annonce de l'annulation du système d'exceptions par la Maison-Blanche, le baril de Brent est monté en flèche jusqu'à pratiquement 75 dollars. Ces dernières années, son prix n'avait grimpé au-dessus de cette barre qu'en automne 2018, et pendant très peu de temps. Aujourd'hui, la situation pourrait bien perdurer.
A qui la situation va-t-elle profiter? Tout dépendra de deux facteurs. Le premier sera de voir dans quelle mesure les sanctions seront respectées. Il est fort probable que les fournitures pétrolières iraniennes ne pourront pas être réduites à zéro. Néanmoins, une réduction des exportations jusqu'à 1 million de barils par jour est tout à fait plausible: autrement dit, cette quantité disparaîtra du marché. Le deuxième découlera de la volonté des Saoudiens de compenser cette quantité manquante, et si oui à quel niveau. Formellement, ils disposent des ressources nécessaires. L'Arabie saoudite règne en maître sur le marché pétrolier, disposant de capacités colossales pour réguler la production et les tarifs. Encore récemment, elle produisait plus de 11 millions de barils par jour: cela ne serait donc pas un problème pour ce pays d'augmenter la production d'un ou deux millions de barils. La question est seulement de savoir quel prix sera jugé convenable par les représentants de Riyad. D'un côté, les indicateurs actuels sont bénéfiques pour le royaume. Pour la première fois en quatre ans, le budget du pays a affiché un excédent au premier trimestre. Il est évident que si le baril vaut plus de 70 dollars, l'État n'a pas besoin de se plier en quatre pour réaliser les programmes sociaux et d'infrastructure. De l'autre côté, il existe toujours un risque que les prix, attisés par les spéculateurs même dans le contexte d'un léger excédent, puissent échapper à tout contrôle et dépasser la barre des 100 dollars. D'une part, cela soumettrait le marché pétrolier au risque d'un effondrement comme en 2014, d'autre part cela profiterait aux concurrents de Riyad, pour qui le baril élevé est une condition vitale pour le développement de l'industrie des hydrocarbures. Tout cela, l'Arabie saoudite préférerait l'éviter. Quoi qu'il en soit, la tendance au pétrole cher (au-dessus de 70 dollars le baril, ce qui est important à l'époque actuelle) devrait se maintenir au moins jusqu'à la prochaine réunion au format Opep+ en juin. Dans l'ensemble, c'est une bonne nouvelle pour la Russie. Bien que l'état du Trésor ne dépende plus depuis longtemps des prix concrets à cause de la règle budgétaire - qui impose que le budget soit défini sur la base d'un baril de pétrole estimé à 40 dollars - l'industrie pétrolière et gazière du pays pourrait recevoir une bonne impulsion de développement, qui amortirait partiellement l'effet des sanctions sectorielles. Actuellement, les compagnies russes produisent même plus que ce que préconise l'accord Opep+. Vu l'évolution actuelle de la situation, personne ne va blâmer Moscou pour cela. C'est plutôt une bonne occasion d'accroître la production sans susciter le mécontentement d'autres producteurs pétroliers.