Mario Draghi attaque les dernières semaines de son mandat à la tête de la Banque centrale européenne mais son influence sur la politique de la BCE risque de perdurer longtemps après sa petite phrase de mardi préparant le terrain à de nouvelles mesures de soutien monétaire dans la zone euro. Toute nouvelle mesure d'assouplissement, quelle qu'elle soit, engagera la BCE pour au moins l'année qui suit, rendant difficile un changement de cap pour le futur président de l'institution si tel est son souhait. Mario Draghi, dont le mandat prend fin le 31 octobre, a déclaré mardi que la BCE se tenait prête à baisser encore ses taux ou à relancer ses achats d'actifs si l'inflation ne remonte pas - autant de décisions difficiles à défaire rapidement sans nuire à la crédibilité de la banque centrale. Le successeur de l'Italien, non encore désigné, émergera d'un jeu de chaises musicales dont l'Europe a le secret et qui sera d'ailleurs au menu d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement dès ce jeudi à Bruxelles. La succession non encore tranchée a laissé à Mario Draghi un boulevard pour agir, estiment des observateurs. Un nouveau soutien monétaire préserverait un temps son héritage si un "faucon" comme l'Allemand Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, prenait la présidence de la BCE. Cela faciliterait aussi la vie, en lui épargnant des décisions difficiles à ses débuts, à un successeur plus centriste, comme le Français François Villeroy de Galhau ou les Finlandais Olli Rehn et Erkki Liikanen, autres favoris pour le poste. "Il semble soucieux de soigner son héritage et de montrer qu'il part en ayant tout tenté. Il fait aussi en sorte qu'il soit difficile de défaire son legs du 'whatever it takes'", a dit à Reuters un responsable de la BCE sous le sceau de l'anonymat, en faisant référence à la formule utilisée en juillet 2012, au plus fort de la crise de l'euro, quand Mario Draghi avait promis de faire "tout ce qu'il faudra" pour préserver la monnaie unique.
"Pré-engagement" La classe politique allemande, attachée à l'orthodoxie monétaire, a sans surprise été agacée par la sortie de Draghi, qui a peut-être même pris de court ses collègues de la BCE. "Les propos apparemment sans concertation du président de la BCE sur de nouvelles mesures de soutien monétaire constituent un signal alarmant pour l'intégrité de la Banque centrale européenne", a vite réagi Hans Michelbach, porte-parole du bloc conservateur CDU/CSU de la chancelière Angela Merkel. Ulrike Demmer, porte-parole du gouvernement, s'est toutefois abstenue de tout commentaire, rappelant que la banque centrale est indépendante. Les partisans de Mario Draghi font remarquer qu'il avait lui-même tracé un nouveau chemin immédiatement après sa prise de fonction en revenant sur de précédentes hausses de taux malvenues. Mais l'Italien a refondu le cadre de la politique monétaire de la BCE, ce qui rendra impossible ou presque un revirement aussi prompt de la part de son successeur. Les taux d'intérêt directeurs de la BCE sont désormais balisés par sa communication avancée, la "forward guidance", un mécanisme de pilotage des anticipations qui pour l'heure les prévoit inchangés jusqu'à la fin du premier semestre 2020. Une hausse des taux avant cette date risquerait d'invalider le principal outil de communication de la banque centrale et de la décrédibiliser. La BCE a aussi laissé entendre qu'un nouvel assouplissement monétaire pourrait s'accompagner d'une modulation du taux de dépôt visant à protéger les banques des effets indésirables des taux négatifs. Il serait dommageable pour l'institution de renoncer à ce mécanisme complexe sitôt mis en place. L'assouplissement quantitatif, autrement dit un programme d'achat d'obligations souveraines et d'entreprises, a quant à lui besoin de temps pour produire ses effets et la BCE avait par le passé communiqué sur sa durée. Là encore, un changement de pied serait donc difficile à envisager. Même si Mario Draghi n'a pas été jusqu'à faire la promesse concrète de nouvelles mesures de soutien, la formulation employée ne laisse guère de place au doute. "La force du signal ne fait aucun doute: la BCE se tient prête à agir en utilisant tous les instruments à sa disposition, sans autre limite que son mandat", commente Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet. "On ne peut pas être plus près d'un pré-engagement."
Weidmann ne critique plus le programme OMT Jens Weidmann, le président de la Bundesbank pressenti pour briguer la succession de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne, a semblé mercredi avoir remisé son opposition au programme d'achats d'obligations d'Etat annoncé par la BCE pendant la crise de la dette dans la zone euro. Au sein du Conseil des gouverneurs, le jeune banquier central allemand avait été le seul à s'opposer au programme dit d'Opérations monétaires sur titres (OMT), dans lequel il voyait un financement déguisé des Etats par la BCE. En 2013, il avait même témoigné contre la BCE lors d'un procès en Allemagne sur les OMT. Il est aujourd'hui l'un des candidats pour succéder à Mario Draghi à la présidence de la BCE début novembre mais risque de se heurter à l'opposition des pays du sud de la zone euro, qui goûtent peu à sa défense de l'orthodoxie monétaire. "La Cour européenne de justice a examiné les OMT et déterminé qu'elles étaient conformes au droit. De plus, les OMT font partie de notre politique actuelle", déclare Jens Weidmann dans une interview publiée sur le site internet du journal Die Zeit. Il ajoute que son opposition aux achats de dette n'était pas fondée juridiquement. "Elle était motivée par la crainte que la politique monétaire se retrouve happée par la politique budgétaire", explique-t-il. "Bien sûr, une banque centrale doit agir de manière décisive quand le scénario du pire se produit, mais son indépendance fait qu'il ne doit jamais y avoir de doute sur le fait qu'elle agit dans le cadre de son mandat", ajoute-t-il. Mario Draghi avait annoncé le programme OMT au plus fort de la crise de la dette en 2012. Il n'a jamais été mis en œuvre, son annonce ayant suffi à calmer les marchés.