Dans une interview, le président de la Buba, Jens Weidmann prend la défense de Mario Draghi contre ses opposants allemands. Mais cette réconciliation s'accompagne d'une pression nouvelle sur les Etats du sud de la zone euro... Dans une interview, le président de la Buba, Jens Weidmann prend la défense de Mario Draghi contre ses opposants allemands. Mais cette réconciliation s'accompagne d'une pression nouvelle sur les Etats du sud de la zone euro... Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, adopte un ton conciliant envers la BCE. Alors que les attaques se multiplient en Allemagne contre l'institution européenne et qu'une nouvelle plainte a été déposée à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe contre la politique monétaire européenne, le banquier central allemand joue la solidarité avec Mario Draghi dans une interview accordée à plusieurs journaux européens et publiée ce mardi 17 mai par Die Welt en Allemagne. Ne pas toucher à l'indépendance de la Bundesbank Il a ainsi mis en garde contre toute attaque à l'encontre de la BCE qui conduirait à remettre en cause son indépendance. «Il est naturellement légitime de discuter de la politique monétaire dans l'espace public. (...) Mais cela ne doit pas aller jusqu'à mettre en cause l'indépendance de la BCE», a indiqué Jens Weidmann qui invite la banque centrale à «ne pas prendre en compte» les critiques de Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, pour ne pas «politiser» la politique monétaire et donc «l'affaiblir». De même, il rejette catégoriquement toute discussion sur la nationalité du successeur de Mario Draghi, alors que plusieurs élus allemands avaient demandé qu'il s'agisse d'un Allemand. «Ce débat ne mène nulle part», a jugé Jens Weidmann qui prétend que la question n'est pas la nationalité de la politique monétaire, mais son «orientation vers la stabilité». Défense du QE, par la Bundesbank Jens Weidmann appuie même sur sa solidarité avec l'action de Mario Draghi, minimisant des divergences sur lesquelles il avait, durant les précédentes discussions, insisté. «Nous avons pu partiellement parvenir à des conclusions différentes» avec Mario Draghi, explique-t-il, mais «en ce qui concerne la signification de la stabilité des prix et les conditions économiques de cette dernière, nous sommes unis». Il défend ainsi le respect de l'objectif d'inflation de 2% qui, selon lui, engage la «crédibilité» de la BCE. Or, cette défense de l'objectif est le facteur déterminant qui justifie l'ensemble de la politique de la BCE. Du reste, le président de la Buba veut rassurer ceux qui s'inquiètent des engagements pour les Etats des achats de la BCE : «Le partage des responsabilités est très limité», a-t-il souligné. Il montre, par ailleurs, que si les épargnants sont pénalisés, les taux bas sont une invitation à consommer. Diviser les opposants allemands à la BCE Avec cette interview, Jens Weidmann tente donc de se distinguer des opposants à la politique de la BCE en Allemagne. Ceci s'explique en grande partie par l'existence désormais d'une critique «ordolibérale» politisée de la politique de la BCE : celle d'Alternative für Deutschland (AfD). Cette critique politisée était auparavant ou inexistante (jusqu'en 2013) ou réduite. Mais avec une AfD donnée à 15% des intentions de vote et une partie des cercles conservateurs et libéraux de la CDU et de la CSU en opposition avec la BCE, il y avait urgence à éteindre l'incendie. En défendant Mario Draghi, Jens Weidmann tente donc de circonscrire l'opposition à la BCE à des milieux «extrémistes». C'est une mauvaise nouvelle pour Wolfgang Schäuble qui, s'il persiste à poursuivre sa critique contre la BCE, ne pourra plus se prévaloir de la Bundesbank. C'est, en revanche, une excellente nouvelle pour Mario Draghi qui voit Jens Weidmann s'efforcer de faire taire ses critiques les plus virulentes en Allemagne même. Déplacer le problème vers les Etats Comme souvent, pour apaiser le débat, Jens Weidmann tente de le déplacer. Il reprend ainsi l'habituel discours, partagé par la BCE, que les «réformes structurelles» sont le nécessaire complément de la politique de la BCE pour les pays du sud. Alors qu'il rejette toute critique du trop élevé excédent courant allemand (tout en reconnaissant que l'Allemagne doit se réformer...) comme une façon «de montrer du doigt l'autre, ce qui est trop courant en Europe», il en fait de même. Il juge ainsi que «la politique budgétaire italienne à moyen terme n'est pas un modèle pour l'Europe», que l'Espagne doit retrouver un gouvernement après les élections du 26 juin pour reprendre la politique de réformes qui poursuivent les «réformes» entamées. Jens Weidmann regrette ainsi qu'en Europe, «la volonté de réformer et la discipline budgétaire ont été délaissées» et que «les pays qui ont eu un service de la dette élevé n'ont pas assez utilisé les taux bas pour consolider» leurs budgets. Bref, si la politique de la BCE ne fonctionne pas, la faute en revient aux Etats membres qui refusent la poursuite de l'austérité qui, de 2011 à 2013, avait plongé la zone euro en récession. C'est la reprise par la Bundesbank d'un discours largement utilisé par Mario Draghi ces derniers mois. Les deux institutions de Francfort sont donc sur la même longueur d'ondes. Ôter à la Commission le contrôle du pacte de stabilité Et pour s'assurer qu'un tel laxisme ne soit plus possible, Jens Weidmann rejoint la proposition de Wolfgang Schäuble (ce qui lui permet de l'inviter à nouveau à rejoindre son «camp») d'ôter à la Commission européenne la surveillance du respect du pacte de stabilité et de croissance. «Comme Wolfgang Schäuble, je considère qu'il est raisonnable de construire une institution indépendante qui évaluera si les règles sont tenues ou non», estime-t-il. C'est la grande peur de l'exécutif européen et ce qui a sans doute décidé Bruxelles à hausser le ton contre l'Espagne et le Portugal. Jens Weidmann le sait bien et il enfonce donc le clou. Il plaide pour une application stricte des règles : «Des mesures qui contraindraient les membres de l'Union monétaire à tenir les règles plus strictement seraient un progrès.» Plus de pression sur les Etats Au final, le ralliement clair de Jens Weidmann à la politique de Mario Draghi apparaît avoir comme contrepoids une pression plus forte sur les Etats membres de la zone euro pour qu'ils accélèrent leurs consolidation budgétaire et leurs politiques de «réformes.» C'est une garantie pour le public allemand que la baisse des taux de refinancement des Etats initiée par la BCE ne conduise pas à plus d'endettement et de déficits. Mais, en réalité, cette politique est d'un autre ordre. Dans les cas espagnols ou portugais, il s'agit non pas d'augmenter le déficit, mais plutôt de définir le rythme de la consolidation. Dans le cas italien, la partie budgétaire du pacte est respectée et il s'agit de définir la priorité entre le désendettement et la croissance dans un pays où la croissance est structurellement affaiblie et freine donc le désendettement. Le prix de la réconciliation Tout se passe comme si ces nouvelles noces Weidmann-Draghi se feront au prix d'une nouvelle cure d'austérité dans les pays du sud. La demande d'une relance de l'activité, notamment en Allemagne, est enterrée. Dans sa critique modérée de l'excédent allemand, Jens Weidmann ne parle pas de dépenses supplémentaires. Mais c'est oublier qu'une telle politique, fondée sur les seules «réformes structurelles» et sur le désendettement des Etats conduit en réalité à rendre la politique de la BCE moins efficace puisqu'il s'agit d'une politique largement déflationniste. Pour s'assurer la paix du côté de l'Allemagne, Mario Draghi accepte donc de voir l'efficacité de sa politique se réduire précisément dans les pays qui en auraient le plus besoin. Le risque est de voir se former une «bulle allemande» au sein de la zone euro et d'alimenter la divergence au sein de l'union monétaire. R. G.