Préoccupé depuis des mois par les conséquences sur l'offre de l'accord d'encadrement de la production de l'Opep+ et des sanctions imposées par les Etats-Unis à l'Iran et au Venezuela, le marché mondial du pétrole s'inquiète désormais des effets sur la demande d'un ralentissement de la croissance mondiale et des craintes de récession. Les cours du brut, qui avaient rebondi de 45% sur les quatre premiers mois de l'année par rapport à leur point bas de janvier, sont retombés de plus de 15% depuis la fin avril. Goldman Sachs a estimé mercredi que le ralentissement de la croissance mondiale et les anticipations de baisse de la demande de pétrole constituaient "les principaux facteurs de la baisse (des cours du pétrole) le mois dernier." Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux, Chine en tête, pèsent sur les perspectives d'activité, ce qui a conduit de nombreux analystes à revoir en baisse leurs prévisions de demande de pétrole. Fereidun Feshraraki, président du cabinet de consultants sur l'énergie FGE, note que le ralentissement de l'activité intervient dans un contexte "de crainte généralisée de retournement économique" et il prévient que si les tensions commerciales entre Washington et Pékin continuent, "il faut s'attendre à voir de réels signaux de récession". Au vu des incertitudes économiques, FGE a abaissé cette semaine sa prévision de croissance de la demande mondiale de pétrole à un million de baril par jour (bpj) contre 1,3 million précédemment, conformément aux révisions déjà annoncées par d'autres prévisionnistes. Barclays a abaissé cette semaine ses prévisions de croissance pour les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et le Brésil, quatre pays à l'origine de plus des trois quarts de la croissance de la demande mondiale de pétrole. La banque britannique a elle aussi réduit de 300.000 bpj sa prévision de croissance de la demande mondiale de brut, à un million de bpj. "Il y a encore un potentiel de baisse de la demande, ce qui signifie que cette année sera sans doute la pire en termes de croissance de la demande depuis 2011", prévient-elle. Bank of America Merrill Lynch souligne de son côté que "le rythme de croissance de la demande mondiale de pétrole est au plus bas depuis 2012, tout en continuant de prévoir une hausse de la demande de l'ordre de 1,2 million de bpj en 2019. Les participants les plus optimistes à l'enquête Reuters du mois de mai sur le marché pétrolier s'attendaient à une croissance de la demande de 1,4 million de bpj contre 1,7 million de bpj en janvier. Dans son rapport mensuel publié mardi, l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA) a réduit de 160.000 bpj sa prévision de hausse de la demande cette année, à 1,22 million de bpj. Les ratés de la demande s'expliquent principalement par le ralentissement de l'économie mondiale. Le cabinet de recherche économique TS Lombard a prévenu cette semaine que "les économies dépendantes de l'export dans le Bassin Pacifique et en Europe sont durement affectées et proches de la récession" tandis que les Etats-Unis "se dirigent aussi vers une croissance plus faible." TS Lombard ajoute que le conflit commercial sino-américain, s'il n'est pas résolu, "peut déclencher une récession en 2020 voire avant." Le différend entre les deux premières économies mondiales a d'ores et déjà entrainé un ralentissement des échanges commerciaux internationaux et commence à se traduire par un ralentissement de la consommation d'essence. Les importations chinoises de pétrole ont chuté de 8% en mai par rapport au mois précédent à 40,23 millions de tonnes (9,47 millions de bpj) sous l'effet du ralentissement de l'économie mais aussi des sanctions imposées par les Etats-Unis à l'Iran, l'in des principaux fournisseurs de brut de la Chine. Les ventes de voitures neuves ont baissé à un rythme record en Chine en mai, le premier marché automobile mondial se contractant de 16,4% sur un an et enregistrant un onzième mois consécutif de recul. Le ralentissement de la croissance de la demande de pétrole se télescope avec l'envolée de la production de brut aux Etats-Unis dont l'Agence d'information sur l'énergie (EIA) s'attend à ce qu'elle atteigne 13,5 millions de bpj d'ici la fin 2020. Les Etats-Unis sont déjà le premier producteur mondial de pétrole avec 12,4 millions de bpj, devant la Russie et l'Arabie saoudite. Tous les prévisionnistes ne souscrivent toutefois pas au scénario du pire. "La 'fin de la croissance de la demande' est très exagérée, malgré les défis auxquels l'économie mondiale est confrontée", estime ainsi Phil Flynn, analyste de Price Futures Group. Le soutien attendu des banques centrales à la croissance et la récente baisse des cours du brut elle-même peuvent servir de déclencheur à un rebond de la demande, a-t-il dit. "Bien que l'activité économique se soit récemment révélée inférieure aux attentes de nos économistes, elle demeure résistante et ils ne s'attendent pas à une nouvelle décélération marquée", dit aussi Goldman Sachs.