D'une sobriété déconcertante, Mina Bachir Chouikh, une cinéaste qui est restée une trentaine d'années dernière les machines de montages a été révélée au grand jour par son unique, Rachida, un long- métrage sorti en 2003 et qui a crevé les écrans d'ici et d'ailleurs. Le succès ne lui est guèrr monté à la tête, au contraire la réalisatrice semble plus que jamais animée d'une envie débordante d'explorer d'autres chantiers, d'autres thèmes et d'autres terreaux à travers d'autres productions comme les portraits ou les documentaires. Réalisatrice, productrice, monteuse, Mina Chouikh nous parle dans cet entretien de ces métiers du 7ème art, qui même s'ils ne nourrissent pas souvent leur homme, demeurent leur seule passion. Le Maghreb : Que devient Mina Bachir Chouikh ? Mina Chouikh : Je suis encore là essayant de faire des films. J'ai fini la production de Douar N'ssa de mon époux Mohamed Chouikh, c'est moi qui l'ai monté. Et là je passe à autre chose. Après votre fabuleux Rachida vous avez exploré le terreau des documentaires. J'ai réalisé un documentaire sur une jeune photographe qui allait durant la décennie noire ramener des photographies dans certains endroits qui ont vécu des carnages. J'avais tenté de comprendre le processus par lequel les jeunes se retrouvent entortillés dans le tourbillon de la violence. J'avais également tenté de comprendre comment les jeunes journalistes qui étaient nombreux à cette époque là se confrontaient à cette nouvelle violence. J'ai par ailleurs écrit beaucoup de scénarios tout en préparant une superproduction, L'andalou de Mohamed Chouikh avec ma propre boite, Asima. Vivez vous uniquement de ce travail aussi ingrat que rude qu'est la production des images et du son ? Rares sont les cinéastes qui vivent de leur boite. Pour faire un film, l'investissement doit être colossal. Le travail de postproduction notamment celui de tirage des copies demande à lui seul des quantités énormes d'argent. Et quand le film est bouclé l'on bute sur des problèmes de la distribution puisque celle-ci se fait au niveau de trois salles algéroises qui fonctionnent disons, normalement. Il est évident qu'il devient quasiment impossible de rentabiliser son film. L'on est perdant à 1000% ! Et en plus tout se passe à Alger. Un film ne peut jamais vivre éternellement dans la capitale, d'autant qu'un réalisateur doit partager ses dividendes avec le gérant de salle qui gagne beaucoup plus, ensuite l'œuvre est en proie au phénomène du piratage ….Tenez, on vient juste de me demander Rachida, je dois acheter un DVD qui existe sur le marché sans que j'en touche les bénéfices. Que peut contrôler la structure des droits d'auteur ? Le phénomène du piratage a pris une telle ampleur que parfois l'on se trouve bonne conscience en se disant qu'au moins les femmes qui ne peuvent pas partir au cinéma peuvent voir des films chez elles. A bien y penser, les cinéastes font des films pour qu'ils soient vus, sinon nous n'avons qu'a faire les ramadaniéttes ! Un film coûte des sommes astronomiques. N'est-il pas paradoxal qu'un cinéaste ne puisse pas vivre de son métier ? Je sais que moi je fais partie des gens qui ne peuvent pas vivre de leur métier. Certains font un film tout les cinq ans et puis ils attendent autant d'années pour la distribution. Hormis quelques cinéastes, la plupart ne vivent pas de leur métier. Rachida, votre seul et unique long- métrage a cassé la baraque ici comme ailleurs. Attendiez vous un tel succès ? Non du tout ! je n'y pensais même pas. Si je le savais, je me serais blindée au niveau des contrats. Je ne pensais alors qu'à cette urgence voire cette nécessité de faire des films. Si vous aviez à refaire Rachida, qu'est-ce que vous auriez changé ? Au niveau du contenu, je n'ai sais pas. Parcequ'en fin de compte quand je l'ai écrit je ne me suis pas mise des barrières. C'est un écrit qui m'est sorti des tripes, du cœur, et le moment s'était prêté. Avec du recul je préfère attaquer un autre thème, au lieu de réfléchir aux choses que je pourrais changer dans Rachida. Beaucoup pensent qu'il y a un tas de similitudes entre Douar N'ssa et votre film. Qu'en pensez-vous ? Du tout ! C'est vraiment un film aux antipodes. Douar N'ssa est une autre réflexion. Ce n'est pas la même personne qui a fait le sujet. Je trouve que Douar N'ssa est plus poétique, plus réfléchi, plus mûr, sauf que peut être le noyau thématique est semblable à celui que j'ai exploré. N'empêche que c'est votre Rachida qui a récolté plus d'honneurs partout où il a été vu! C'est peut-être le fait que ça soit le premier film. J'ai abordé mes thèmes de façon humaine, plus émotive. C'est le cri d'une douleur. Avec le temps, on ne se rend pas compte de ce qu'on a vécu. Personne n'est sorti indemne de la décennie noire. On est massacré de l'intérieur. Il est vrai que la mémoire est sélective, mais les séquelles restent et ce n'est surtout pas un décret qui fait abolir la douleur. Comment abordez vous les documentaires par rapport à la fiction ? Quand je travail le sur des interviews, les gens me font confiance donc se confient à moi. Et quand je suis en plein montage je bute sur une partie de l'intimité de la personne que tu interviewes alors tu te poses un tas de questions du genre : je laisse cette phrase plutôt que l'autre, qu'est ce que ça peut apporter ? Est ce que ça dérange et qui ? Mais quand on écrit sa propre histoire c'est différent. Dans un interview il y a des limites, et l'on se dit tout le temps surtout ne pas trahir ! C'est quand même assez bizarre. Vous montez actuellement un autre documentaire sur les femmes ayant participé à la révolution. Au départ, c'était un sujet sur les femmes de La bataille d'Alger que j'ai trouvé assez réducteur d'ailleurs. Les femmes qui s'étaient engagées en 54 étaient très jeunes. Pour comprendre ce phénomène, je suis remontée jusqu'aux années 47 au moment de la création de l'association des femmes musulmanes affiliée au PPA-MTLD. Je me suis intéressée à leurs conditions qui ne sont évidemment pas les mêmes que celles des femmes d'aujourd'hui. Je me suis demandée comment ces femmes pouvaient-elles s'engager à l'âge de 14 ans alors qu'elles évoluaient dans un contexte éminemment conservateur. Et puis j'ai réalisé que l'Histoire a toujours été racontée par des hommes. Où est ce que vous en êtes avec l' Andalou, le film que doit réaliser votre époux et que vous devez produire ? Comme c'est un film historique, qui revient sur la chute de Grenade, il nous faut pour reproduire l'atmosphère et les espaces, les décors, les costumes de l'époque, énormément de moyens. Nous sommes en plein dans le montage financier. Vous situez la fourchette du coût de ce film à combien ? A peu prés 20 milliards de centimes. Qu'espérez-vous pour le cinéma algérien ? Qu'il y ait des films. Propos recueillis