L‘historien Jean-Luc Einaudi revient, dans un entretien à l‘APS, sur la manifestation réprimée dans le sang des Algériens le 17 octobre 1961 à Paris, qualifiant les massacres de crime contre l‘humanité et posant encore une fois la question du caractère injuste de la guerre menée par l‘Etat français et des crimes innombrables qui l‘ont accompagnée. Une chasse à l‘homme sanglante a été déclenchée contre les Algériens qui avaient bravé le couvre-feu qui leur a été imposé le 5 octobre 1961 à Paris. Le 17 octobre et même les jours d‘après (comme vous le précisez dans vos écrits) des massacres ont eu lieu (un représentant de l‘ancienne Fédération de France du FLN dans un récent entretien à l‘APS parlait de 300 à 400 morts). Dans leurs divers récits et recueils de témoignages, des historiens parlent de pogrom. Peut-on, selon vous, parler de crime contre l‘humanité ? R : A de nombreuses occasions, et notamment à l‘issue du procès que m‘avait intenté Maurice Papon (Préfet de police en 1961), en février 1999, j‘ai déclaré que je considérais que les crimes commis le 17 octobre 1961 et durant cette période par des fonctionnaires de police et de gendarmerie relevaient du crime contre l‘humanité car les personnes qui ont été raflées, tuées, noyées, victimes de violences, l‘ont été en fonction de leur appartenance réelle ou supposée à une communauté humaine, celle des Algériens. Les critères mis en œuvre pour définir cette appartenance réelle ou supposée étaient ceux de l‘apparence physique, c‘est-à-dire des critères racistes, censés être caractéristiques de l‘Algérien. Ont été victimes non seulement des manifestants ou des personnes ayant l‘intention de manifester mais aussi des personnes qui ne manifestaient pas, désignées en fonction de leur apparence physique. Le caractère sauvage qu‘a pris le déchaînement de violence policière s‘explique, à mon avis, par la haine raciale, enracinée dans la domination coloniale et exacerbée par la guerre menée par l‘Etat français contre la lutte d‘indépendance algérienne. En dépit du changement d‘acteurs politiques en France (retour de la gauche aux commandes), les faits coloniaux dont le massacre du 17 octobre 1961, demeurent non reconnus et, du coup, impunis. Qu‘est-ce qui fait, à votre sens, que les plus hautes autorités de la République continuent dans le déni ? R : Le 17 octobre 2011, au Pont de Clichy, le candidat à la présidence de la République française, François Hollande, s‘est publiquement engagé à reconnaître le crime du 17 octobre 1961 s‘il était élu. Il est maintenant président de la République française. J‘attends donc qu‘il tienne parole. Cependant, je n‘ignore pas qu‘il existe des forces qui demeurent hostiles à une telle reconnaissance. Par-delà le 17 octobre 1961 se pose la question du caractère injuste de la guerre menée par l‘Etat français et des crimes innombrables qui l‘ont accompagnée. A cet égard, je rappellerai notamment ces crimes qu‘ont constituées les exécutions capitales de combattants algériens condamnés à mort par des tribunaux français. Le ministre de la Justice de 1956-57, François Mitterrand, porte aux yeux de l‘histoire la responsabilité indélébile d‘avoir fait procéder aux premières exécutions capitales. On croit savoir qu‘une proposition de loi a été déposée au Sénat et qu‘un groupe de parlementaires de gauche à l‘Assemblée aurait fait de même, pour faire reconnaître ce crime colonial. Une loi mémorielle serait-elle à même de réparer le préjudice colonial ? L‘idéal ne serait-t-il pas de confier le dossier aux seuls historiens ? R : En ce qui me concerne, je ne suis favorable ni à une loi mémorielle concernant les crimes du colonialisme français à l‘égard du peuple algérien ni au fait de s‘en remettre aux seuls historiens. Je considère que ce n‘est pas à l‘Etat d‘écrire l‘histoire car elle devient alors histoire officielle, ce qui est contraire à la nécessaire liberté de recherche, d‘expression et de confrontation. Dans le même temps, je considère que comme le disait mon ami, le grand historien Pierre Vidal-Naquet : l‘Histoire est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls historiens. Il est, selon moi, de la responsabilité de tout citoyen de chercher à savoir puis à faire savoir ce qui a été commis en son nom. L‘historien Jean-Luc Einaudi revient, dans un entretien à l‘APS, sur la manifestation réprimée dans le sang des Algériens le 17 octobre 1961 à Paris, qualifiant les massacres de crime contre l‘humanité et posant encore une fois la question du caractère injuste de la guerre menée par l‘Etat français et des crimes innombrables qui l‘ont accompagnée. Une chasse à l‘homme sanglante a été déclenchée contre les Algériens qui avaient bravé le couvre-feu qui leur a été imposé le 5 octobre 1961 à Paris. Le 17 octobre et même les jours d‘après (comme vous le précisez dans vos écrits) des massacres ont eu lieu (un représentant de l‘ancienne Fédération de France du FLN dans un récent entretien à l‘APS parlait de 300 à 400 morts). Dans leurs divers récits et recueils de témoignages, des historiens parlent de pogrom. Peut-on, selon vous, parler de crime contre l‘humanité ? R : A de nombreuses occasions, et notamment à l‘issue du procès que m‘avait intenté Maurice Papon (Préfet de police en 1961), en février 1999, j‘ai déclaré que je considérais que les crimes commis le 17 octobre 1961 et durant cette période par des fonctionnaires de police et de gendarmerie relevaient du crime contre l‘humanité car les personnes qui ont été raflées, tuées, noyées, victimes de violences, l‘ont été en fonction de leur appartenance réelle ou supposée à une communauté humaine, celle des Algériens. Les critères mis en œuvre pour définir cette appartenance réelle ou supposée étaient ceux de l‘apparence physique, c‘est-à-dire des critères racistes, censés être caractéristiques de l‘Algérien. Ont été victimes non seulement des manifestants ou des personnes ayant l‘intention de manifester mais aussi des personnes qui ne manifestaient pas, désignées en fonction de leur apparence physique. Le caractère sauvage qu‘a pris le déchaînement de violence policière s‘explique, à mon avis, par la haine raciale, enracinée dans la domination coloniale et exacerbée par la guerre menée par l‘Etat français contre la lutte d‘indépendance algérienne. En dépit du changement d‘acteurs politiques en France (retour de la gauche aux commandes), les faits coloniaux dont le massacre du 17 octobre 1961, demeurent non reconnus et, du coup, impunis. Qu‘est-ce qui fait, à votre sens, que les plus hautes autorités de la République continuent dans le déni ? R : Le 17 octobre 2011, au Pont de Clichy, le candidat à la présidence de la République française, François Hollande, s‘est publiquement engagé à reconnaître le crime du 17 octobre 1961 s‘il était élu. Il est maintenant président de la République française. J‘attends donc qu‘il tienne parole. Cependant, je n‘ignore pas qu‘il existe des forces qui demeurent hostiles à une telle reconnaissance. Par-delà le 17 octobre 1961 se pose la question du caractère injuste de la guerre menée par l‘Etat français et des crimes innombrables qui l‘ont accompagnée. A cet égard, je rappellerai notamment ces crimes qu‘ont constituées les exécutions capitales de combattants algériens condamnés à mort par des tribunaux français. Le ministre de la Justice de 1956-57, François Mitterrand, porte aux yeux de l‘histoire la responsabilité indélébile d‘avoir fait procéder aux premières exécutions capitales. On croit savoir qu‘une proposition de loi a été déposée au Sénat et qu‘un groupe de parlementaires de gauche à l‘Assemblée aurait fait de même, pour faire reconnaître ce crime colonial. Une loi mémorielle serait-elle à même de réparer le préjudice colonial ? L‘idéal ne serait-t-il pas de confier le dossier aux seuls historiens ? R : En ce qui me concerne, je ne suis favorable ni à une loi mémorielle concernant les crimes du colonialisme français à l‘égard du peuple algérien ni au fait de s‘en remettre aux seuls historiens. Je considère que ce n‘est pas à l‘Etat d‘écrire l‘histoire car elle devient alors histoire officielle, ce qui est contraire à la nécessaire liberté de recherche, d‘expression et de confrontation. Dans le même temps, je considère que comme le disait mon ami, le grand historien Pierre Vidal-Naquet : l‘Histoire est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls historiens. Il est, selon moi, de la responsabilité de tout citoyen de chercher à savoir puis à faire savoir ce qui a été commis en son nom.