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Histoire d'un manuscrit
La Question d'Henri Alleg
Publié dans Le Midi Libre le 10 - 08 - 2013

Ils se comptaient par milliers ceux qui ont eu à subir le supplice de l'électricité et de la baignoire pendant la Guerre d'Algérie. Beaucoup y ont succombé...
Ils se comptaient par milliers ceux qui ont eu à subir le supplice de l'électricité et de la baignoire pendant la Guerre d'Algérie. Beaucoup y ont succombé...
Comment se fait-il qu'Henri Alleg ait été celui qui a produit La Question (Minuit, 1958), "un témoignage sobre ayant le ton neutre de l'Histoire" comme l'a écrit François Mauriac ? Ils se comptaient pourtant par milliers, ceux qui ont eu à subir le supplice de l'électricité et de la baignoire pendant la Guerre d'Algérie.
Beaucoup y ont succombé et, pour d'autres, les tortures infligées ne restèrent pas sans effet. Les victimes qui n'avaient pas pleinement résisté demeurèrent marquées pour toujours, moralement atteintes, porteuses d'un sentiment de culpabilité.
Dès lors, comment écrire avec l'énergie nécessaire ? Certes, comme je l'ai lu ces derniers jours, Henri Alleg, journaliste militant, était accoutumé à l'usage de la plume, mais je pense qu'il n'a pas été suffisamment souligné que, s'il a pu s'exprimer comme il l'a fait, c'est que ses tortionnaires n'ont rien, absolument rien, pu obtenir de lui. Si Alleg a pu écrire La Question, c'est donc parce qu'il n'avait pas parlé.
Je l'ai compris lors de notre première rencontre à la prison Barberousse à Alger en septembre 1957. Membre, à cette époque, du Parti communiste français, j'étais auprès de lui, comme l'envoyé du collectif d'avocats communistes, assurant la défense de militants emprisonnés pour leur participation aux combats pour l'indépendance de l'Algérie. Je me suis alors trouvé en présence d'un homme exprimant hautement sa fierté d'avoir résisté à ses tortionnaires.
Il m'a fait, non sans exaltation, le récit de ce qu'il avait subi et comment il avait fait front. J'ai été particulièrement impressionné par ce qu'il m'a raconté de l'épreuve du penthotal, utilisé comme sérum de vérité, à laquelle il avait été soumis.
Ceux qui le détenaient étaient à la recherche d'André Moine, l'un des dirigeants du Parti communiste algérien, devenu clandestin. Ils voulaient lui arracher des informations, et Henri Alleg a trompé leur attente en faisant mine de croire qu'il se trouvait avec des amis. Non il ne savait vraiment pas comment entrer en contact avec André Moine, et puis il les trouvait bien imprudents, lesdits amis, "attention, ne parlez pas si fort, on pourrait nous entendre", leur recommandait-il.
A la fin du mois de juin 1957, il a été expédié au camp de Lodi. Il s'agissait d'un camp d'internement placé sous contrôle des autorités militaires. L'interné était privé de tout droit de communication, que ce soit avec sa famille ou avec des avocats. L'internement était d'une durée indéterminée et les militaires pouvaientsoumettre leurs prisonniers à de nouveaux interrogatoires.
Ce n'est donc pas, comme il a été écrit ces derniers jours, pendant qu'il se trouvait au camp de Lodi qu'Henri Alleg a pu remettre à un avocat les feuillets de La Question. Il fallait absolument le soustraire au régime d'internement. Pour y parvenir une décision judiciaire était indispensable. Les efforts entrepris par son épouse, Gilberte, et ses avocats aboutirent fin août 1957 à son transfert à la prison Barberousse.
C'est à ce moment là, alors que plus de deux mois et demi s'étaient écoulés depuis son arrestation, le 12 juin 1957, que Henri a pu connaître les raisons judiciairement exprimées de son emprisonnement, s'entretenir avec son épouse et recevoir la visite de Léo Matarasso, membre du collectif des avocats communistes. C'est au cours de cette rencontre qu'a vu le jour le projet de La Question. Mais le détenu Henri Alleg ne disposait que de brefs moments pour s'y consacrer, plusieurs mois lui furent donc nécessaires.
Il importait aussi que ces écrits parviennent à l'extérieur. Les membres du collectif des avocats communistes furent chargés de cette mission. Je fus de ceux qui, entre les mois de septembre et décembre 1957, se succédèrent auprès d'Henri Alleg, recueillirent les précieuses feuilles du manuscrit et les emportèrent, au dehors, dans leur serviette.
Manuscrit sur papier toilette
La publication de La Question a été considérée au printemps 1958 comme une "participation à une entreprise de démoralisation de l'armée ayant pour objet de nuire à la Défense nationale". Un juge d'instruction du Tribunal permanent des forces armées de Paris, le commandant Giraud, a délivré, au mois de mars 1958, un ordre de saisie des exemplaires du livre au commissaire de Police Mathieu, qui s'en est acquitté avec zèle.
Les avocats qui avaient œuvré à cette publication en emportant à l'extérieur de Barberousse, feuille après feuille, le manuscrit étaient passibles de poursuite comme ayant participé à une entreprise de démoralisation de l'armée, ce qui n'a pas manqué de se produire.
En effet, au printemps 1958, un juge d'instruction d'Alger a été chargé de l'identification des coupables. Henri Alleg a été convoqué et le magistrat l'a sommé de lui faire connaître l'identité de ceux qui lui avaient donné assistance. Il se trouve que j'étais l'avocat assurant sa défense lors de cet interrogatoire.
La situation était singulière, pour ne pas dire cocasse. A la question posée, Henri a simplement répondu "Je ne vous le dirai pas, monsieur le juge" et celui-ci a très vite compris que ses efforts resteraient vains. Ce que je relate ici, je l'ai rappelé l'année dernière lors d'une réunion, à la Bibliothèque de France de l'association Maurice-Audin, qui poursuit sans relâche ses efforts pour que la République reconnaisse que le mathématicien Maurice Audin est mort au mois de juin 1957, victime des sévices subis à la villa Sésiny.
J'étais avec Henri Alleg à la tribune de la réunion, présidée par Henri Tronel. Henri Alleg a confirmé mes souvenirs qu'il a cependant tenu à rectifier sur un point. J'avais dit au public que son manuscrit avait été écrit sur "un genre de papier de toilette". "Pas un genre, Roland, c'était bien du papier de toilette !"
La saisie de La Question, en mars 1958, avait provoqué une vive campagne de protestations. Une adresse solennelle avait été envoyée au président de la République, René Coty, pour demander que "la lumière soit faite dans des conditions d'impartialité et de publicité absolue sur les faits rapportés par Henri Alleg" et aussi que "les pouvoirs publics au nom de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen condamnent sans équivoque l'usage de la torture"...
Cette déclaration portait les signatures de François Mauriac, Roger Martin du Gard, Jean-Paul Sartre. Au rang des signataires figurait aussi André Malraux. Si j'insiste, c'est que j'ai lu avec beaucoup de surprise, dans le journal Libération, la déclaration d'une historienne soutenant que Malraux était demeuré silencieux au moment de la saisie des exemplaires de La Question.
Saisies d'exemplaires
Ces prises de position ne sont pas restées, à l'époque, sans conséquence. Les éditions de Minuit ont certes été victime de la saisie de milliers d'exemplaires de La Question, mais les poursuites engagées contre l'éditeur Jérôme Lindon sont demeurées sans suite. Henri Alleg, lui, est resté en prison et a été condamné le 15 juin 1960, par le TPFA d'Alger, à dix ans de travaux forcés "pour atteinte à la sécurité de l'Etat".
S'il a retrouvé la liberté au printemps 1961, c'est parce qu'il est parvenu à s'évader de la prison de Rennes, où il continuait à exécuter sa peine. Aussitôt libre, il a repris sa vie de militant journaliste politique. Il est retourné en Algérie au lendemain de l'Indépendance, en 1962, pour faire reparaître Alger républicain, dont la publication a été, à nouveau, interdite en 1965, au lendemain de la chute de Ben Bella.
Il est alors revenu en France, où il a poursuivi une vie de journaliste et d'écrivain bien connue. Il importe aussi de savoir qu'Henri Alleg, ce militant de l'indépendance de l'Algérie, s'est exprimé publiquement au sujet du traitement subi en France par ceux des Algériens qui avaient combattu dans les rangs de l'armée française.
C'est ainsi qu'il a tenu à figurer parmi les signataires d'une lettre adressée, le 21 septembre 2005, au président Chirac, à l'initiative du président de la Ligue des droits de l'Homme, Jean-Pierre Dubois. On y lit qu'il est temps de mettre fin au comportement indigne de la France à l'égard des harkis, caractérisé par des discriminations inouies, parcage dans des camps, maintien "en marge de la société", tandis que leurs enfants subissent une scolarité amputée.
Il est précisé dans cette lettre que, parmi les signataires, "certains ont approuvé la lutte du peuple algérien pour son indépendance, d'autres non, mais quelle qu'ait été notre opinion, nous ne pouvons admettre que la République ne reconnaisse pas, au regard des droits de l'Homme, ses torts vis-à-vis des harkis et de leurs familles".
Aujourd'hui encore, La Question demeure une référence. C'est ainsi, qu'en 2007, aux Etats-Unis, lors des débats sur l'usage en Irak de ce qui était désigné comme "des interrogatoires musclés", en réalité de véritables tortures, l'Université du Nebraska a publié, en anglais, La Question. Dans la préface, signée du professeur James D. Le Sueur, on lit "La Question est et demeure, aujourd'hui une question pour nous tous."
Roland Rappaport (Avocat) Lemonde.fr
Comment se fait-il qu'Henri Alleg ait été celui qui a produit La Question (Minuit, 1958), "un témoignage sobre ayant le ton neutre de l'Histoire" comme l'a écrit François Mauriac ? Ils se comptaient pourtant par milliers, ceux qui ont eu à subir le supplice de l'électricité et de la baignoire pendant la Guerre d'Algérie.
Beaucoup y ont succombé et, pour d'autres, les tortures infligées ne restèrent pas sans effet. Les victimes qui n'avaient pas pleinement résisté demeurèrent marquées pour toujours, moralement atteintes, porteuses d'un sentiment de culpabilité.
Dès lors, comment écrire avec l'énergie nécessaire ? Certes, comme je l'ai lu ces derniers jours, Henri Alleg, journaliste militant, était accoutumé à l'usage de la plume, mais je pense qu'il n'a pas été suffisamment souligné que, s'il a pu s'exprimer comme il l'a fait, c'est que ses tortionnaires n'ont rien, absolument rien, pu obtenir de lui. Si Alleg a pu écrire La Question, c'est donc parce qu'il n'avait pas parlé.
Je l'ai compris lors de notre première rencontre à la prison Barberousse à Alger en septembre 1957. Membre, à cette époque, du Parti communiste français, j'étais auprès de lui, comme l'envoyé du collectif d'avocats communistes, assurant la défense de militants emprisonnés pour leur participation aux combats pour l'indépendance de l'Algérie. Je me suis alors trouvé en présence d'un homme exprimant hautement sa fierté d'avoir résisté à ses tortionnaires.
Il m'a fait, non sans exaltation, le récit de ce qu'il avait subi et comment il avait fait front. J'ai été particulièrement impressionné par ce qu'il m'a raconté de l'épreuve du penthotal, utilisé comme sérum de vérité, à laquelle il avait été soumis.
Ceux qui le détenaient étaient à la recherche d'André Moine, l'un des dirigeants du Parti communiste algérien, devenu clandestin. Ils voulaient lui arracher des informations, et Henri Alleg a trompé leur attente en faisant mine de croire qu'il se trouvait avec des amis. Non il ne savait vraiment pas comment entrer en contact avec André Moine, et puis il les trouvait bien imprudents, lesdits amis, "attention, ne parlez pas si fort, on pourrait nous entendre", leur recommandait-il.
A la fin du mois de juin 1957, il a été expédié au camp de Lodi. Il s'agissait d'un camp d'internement placé sous contrôle des autorités militaires. L'interné était privé de tout droit de communication, que ce soit avec sa famille ou avec des avocats. L'internement était d'une durée indéterminée et les militaires pouvaientsoumettre leurs prisonniers à de nouveaux interrogatoires.
Ce n'est donc pas, comme il a été écrit ces derniers jours, pendant qu'il se trouvait au camp de Lodi qu'Henri Alleg a pu remettre à un avocat les feuillets de La Question. Il fallait absolument le soustraire au régime d'internement. Pour y parvenir une décision judiciaire était indispensable. Les efforts entrepris par son épouse, Gilberte, et ses avocats aboutirent fin août 1957 à son transfert à la prison Barberousse.
C'est à ce moment là, alors que plus de deux mois et demi s'étaient écoulés depuis son arrestation, le 12 juin 1957, que Henri a pu connaître les raisons judiciairement exprimées de son emprisonnement, s'entretenir avec son épouse et recevoir la visite de Léo Matarasso, membre du collectif des avocats communistes. C'est au cours de cette rencontre qu'a vu le jour le projet de La Question. Mais le détenu Henri Alleg ne disposait que de brefs moments pour s'y consacrer, plusieurs mois lui furent donc nécessaires.
Il importait aussi que ces écrits parviennent à l'extérieur. Les membres du collectif des avocats communistes furent chargés de cette mission. Je fus de ceux qui, entre les mois de septembre et décembre 1957, se succédèrent auprès d'Henri Alleg, recueillirent les précieuses feuilles du manuscrit et les emportèrent, au dehors, dans leur serviette.
Manuscrit sur papier toilette
La publication de La Question a été considérée au printemps 1958 comme une "participation à une entreprise de démoralisation de l'armée ayant pour objet de nuire à la Défense nationale". Un juge d'instruction du Tribunal permanent des forces armées de Paris, le commandant Giraud, a délivré, au mois de mars 1958, un ordre de saisie des exemplaires du livre au commissaire de Police Mathieu, qui s'en est acquitté avec zèle.
Les avocats qui avaient œuvré à cette publication en emportant à l'extérieur de Barberousse, feuille après feuille, le manuscrit étaient passibles de poursuite comme ayant participé à une entreprise de démoralisation de l'armée, ce qui n'a pas manqué de se produire.
En effet, au printemps 1958, un juge d'instruction d'Alger a été chargé de l'identification des coupables. Henri Alleg a été convoqué et le magistrat l'a sommé de lui faire connaître l'identité de ceux qui lui avaient donné assistance. Il se trouve que j'étais l'avocat assurant sa défense lors de cet interrogatoire.
La situation était singulière, pour ne pas dire cocasse. A la question posée, Henri a simplement répondu "Je ne vous le dirai pas, monsieur le juge" et celui-ci a très vite compris que ses efforts resteraient vains. Ce que je relate ici, je l'ai rappelé l'année dernière lors d'une réunion, à la Bibliothèque de France de l'association Maurice-Audin, qui poursuit sans relâche ses efforts pour que la République reconnaisse que le mathématicien Maurice Audin est mort au mois de juin 1957, victime des sévices subis à la villa Sésiny.
J'étais avec Henri Alleg à la tribune de la réunion, présidée par Henri Tronel. Henri Alleg a confirmé mes souvenirs qu'il a cependant tenu à rectifier sur un point. J'avais dit au public que son manuscrit avait été écrit sur "un genre de papier de toilette". "Pas un genre, Roland, c'était bien du papier de toilette !"
La saisie de La Question, en mars 1958, avait provoqué une vive campagne de protestations. Une adresse solennelle avait été envoyée au président de la République, René Coty, pour demander que "la lumière soit faite dans des conditions d'impartialité et de publicité absolue sur les faits rapportés par Henri Alleg" et aussi que "les pouvoirs publics au nom de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen condamnent sans équivoque l'usage de la torture"...
Cette déclaration portait les signatures de François Mauriac, Roger Martin du Gard, Jean-Paul Sartre. Au rang des signataires figurait aussi André Malraux. Si j'insiste, c'est que j'ai lu avec beaucoup de surprise, dans le journal Libération, la déclaration d'une historienne soutenant que Malraux était demeuré silencieux au moment de la saisie des exemplaires de La Question.
Saisies d'exemplaires
Ces prises de position ne sont pas restées, à l'époque, sans conséquence. Les éditions de Minuit ont certes été victime de la saisie de milliers d'exemplaires de La Question, mais les poursuites engagées contre l'éditeur Jérôme Lindon sont demeurées sans suite. Henri Alleg, lui, est resté en prison et a été condamné le 15 juin 1960, par le TPFA d'Alger, à dix ans de travaux forcés "pour atteinte à la sécurité de l'Etat".
S'il a retrouvé la liberté au printemps 1961, c'est parce qu'il est parvenu à s'évader de la prison de Rennes, où il continuait à exécuter sa peine. Aussitôt libre, il a repris sa vie de militant journaliste politique. Il est retourné en Algérie au lendemain de l'Indépendance, en 1962, pour faire reparaître Alger républicain, dont la publication a été, à nouveau, interdite en 1965, au lendemain de la chute de Ben Bella.
Il est alors revenu en France, où il a poursuivi une vie de journaliste et d'écrivain bien connue. Il importe aussi de savoir qu'Henri Alleg, ce militant de l'indépendance de l'Algérie, s'est exprimé publiquement au sujet du traitement subi en France par ceux des Algériens qui avaient combattu dans les rangs de l'armée française.
C'est ainsi qu'il a tenu à figurer parmi les signataires d'une lettre adressée, le 21 septembre 2005, au président Chirac, à l'initiative du président de la Ligue des droits de l'Homme, Jean-Pierre Dubois. On y lit qu'il est temps de mettre fin au comportement indigne de la France à l'égard des harkis, caractérisé par des discriminations inouies, parcage dans des camps, maintien "en marge de la société", tandis que leurs enfants subissent une scolarité amputée.
Il est précisé dans cette lettre que, parmi les signataires, "certains ont approuvé la lutte du peuple algérien pour son indépendance, d'autres non, mais quelle qu'ait été notre opinion, nous ne pouvons admettre que la République ne reconnaisse pas, au regard des droits de l'Homme, ses torts vis-à-vis des harkis et de leurs familles".
Aujourd'hui encore, La Question demeure une référence. C'est ainsi, qu'en 2007, aux Etats-Unis, lors des débats sur l'usage en Irak de ce qui était désigné comme "des interrogatoires musclés", en réalité de véritables tortures, l'Université du Nebraska a publié, en anglais, La Question. Dans la préface, signée du professeur James D. Le Sueur, on lit "La Question est et demeure, aujourd'hui une question pour nous tous."
Roland Rappaport (Avocat) Lemonde.fr


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