Garde du corps du Comandante pendant dix-sept ans, Juan Reinaldo Sánchez, aujourd'hui en exil en Floride, évoque dans un livre récent certains aspects stupéfiants de la vie de son ancien patron, qui vient de fêter ses 88 ans, le 13 août dernier. Garde du corps du Comandante pendant dix-sept ans, Juan Reinaldo Sánchez, aujourd'hui en exil en Floride, évoque dans un livre récent certains aspects stupéfiants de la vie de son ancien patron, qui vient de fêter ses 88 ans, le 13 août dernier. La Havane, Palacio de la Révolution, fin 1988. Membre de l'escorte personnelle de Fidel Castro depuis douze ans, Juan Reinaldo Sánchez introduit un visiteur prestigieux dans une pièce contiguë au bureau présidentiel. Il s'agit du général José Abrantes, ministre de l'Intérieur. Contrairement à l'habitude, el Comandante demande à Sánchez de ne pas enregistrer la conversation. Au bout de deux heures, trouvant le temps long et poussé par la curiosité, le garde du corps met un casque et commence à écouter ce qui se dit dans la pièce à côté. Et ce qu'il entend le laisse sans voix, abasourdi, pétrifié par la surprise. Castro est tout bonnement en train de donner à Abrantes son feu vert à une opération liée au narcotrafic. "En quelques secondes, raconte Sánchez, tout mon univers, tous mes idéaux se sont écroulés. Je réalisais que l'homme à qui je sacrifiais ma vie depuis toujours, le Leader que je vénérais comme un dieu, et qui, à mes yeux, comptait davantage que ma propre famille, était mouillé dans le trafic de cocaïne au point de diriger des opérations illégales à la manière d'un parrain. " Un an plus tard, pour détourner de sa personne les soupçons des Américains, Castro n'hésite pas à faire emprisonner son ami Abrantes et à faire fusiller le général Arnaldo Ochoa, son vieux compagnon de lutte tout juste rentré en héros de la guerre en Angola (1975- 1992). "Ochoa était le général le plus respecté, sa condamnation à mort a traumatisé beaucoup de Cubains", se souvient Alejandro González Raga, porte-parole de l'Observatoire cubain des droits humains, à Madrid. La lecture de La Vie cachée de Fidel Castro, le livre que Sánchez a écrit en collaboration avec Axel Gyldén, journaliste à L'Express, et publié au mois de mai en France, réserve bien d'autres surprises. Castro passe depuis toujours pour un homme frugal et austère ? On découvre qu'il vit dans un luxe inouï. Il est admiré pour ses qualités de leader ? Il apparaît comme un personnage "manipulateur et égocentrique", quoique "charismatique et intelligent". L'auteur, qui vit aujourd'hui à Miami, en Floride, a réussi à fuir Cuba en 2008, après dix tentatives infructueuses. Parce qu'il eut un jour l'outrecuidance de faire valoir ses droits à la retraite après dix-sept ans de bons et loyaux services, il passa deux ans en prison (1994-1996). Intervention militaire cubaine en Angola En révélant les secrets petits et grands du Líder Máximo, c'est aussi un pan de l'histoire de Cuba qu'il dévoile. Et notamment l'intervention militaire cubaine en Angola. Tout commence en 1974 avec la"révolution des oeillets" au Portugal. Au pouvoir depuis les années 1930, le salazarisme s'effondre, le nouveau régime décide d'abandonner les colonies. En Angola, trois mouvements indépendantistes s'affrontent pour le contrôle de Luanda, la capitale : le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), d'obédience marxiste, le Front national de libération de l'Angola (FNLA) et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita). Le premier est soutenu par l'Union soviétique, les deux autres par l'Occident. Se sentant vulnérable, Agostinho Neto, le leader du MPLA, appelle Castro à l'aide. Pas de temps à perdre puisque le Portugal a déjà fixé la date de la future indépendance : le 11 novembre 1975. Par avion et par bateau, les Cubains s'empressent d'envoyer de l'autre côté de l'Atlantique 35 000 hommes et du matériel militaire en abondance. Résultat, lors de la proclamation d'indépendance, le MPLA est maître de Luanda. Quelques années plus tard, en 1988, le régime sudafricain ségrégationniste occupe la Namibie et envahit l'Angola. En janvier 1988, Fidel dirige ses troupes à 10.000 km de distance lors de la bataille de Cuito Cuanavale, en territoire angolais. "Il fallait le voir à l'oeuvre, le stratège, dans la War Room du ministère des Forces armées révolutionnaires (MinFar) tapissée de cartes d'état-major et agrémentée de maquettes des champs de bataille !" raconte Sánchez. Cuito Cuanavale est sans doute la plus grande bataille dont l'Afrique ait été le théâtre. Elle mit aux prises plus de 40 000 combattants mais ne déboucha pas sur la victoire incontestable de l'un ou l'autre camp. Elle convainquit pourtant les Sud- Africains de renoncer à renverser le régime de Luanda. "La Havane a joué un rôle décisif et trop peu connu dans la chute de l'apartheid, qui asseyait sa domination sur le mythe de l'invincibilité de l'homme blanc. Or l'armée cubaine était majoritairement composée de Noirs", explique Salim Lamrani, enseignant chargé de cours à Paris- Sorbonne. Les liens entre Cuba et l'Afrique du Sud sont, aujourd'hui encore, très forts. Sánchez n'évoque pas la figure de Nelson Mandela, avec qui Castro entretint une longue amitié (il n'était plus, à l'époque, à son service), mais il consacre plusieurs pages à d'autres chefs d'Etat qu'il surnomme "les tyrans d'opérette". C'est en septembre 1986, lors du VIIIe sommet des pays non alignés à Harare, que le leader cubain rencontre pour la première fois Mouammar Kadhafi. Après avoir prononcé un violent réquisitoire contre le Mouvement des nonalignés, trop tièdes à son goût face à l'"impérialisme américain", le "Guide" libyen quitte la salle et se retire sous sa tente. Castro finit par le convaincre de revenir en séance et d'écouter son discours. Sánchez affirme pourtant que le Comandante ne tenait pas le Guide "en très haute estime". "Je crois, écrit-il, que Kadhafi l'a énormément déçu. Il s'est vite aperçu qu'en dépit des énormes moyens financiers qu'il tirait du pétrole, ce type était incapable de tenir un discours cohérent. Devant nous, Fidel disait de lui : "C'est un excentrique ; il aime l'exhibitionnisme."" Il va de soi que Castro se plaçait très au-dessus de ces "tyrans d'opérette". Et c'est pourquoi il a été amené à soutenir divers mouvements de guérilla à travers le monde. La Havane, Palacio de la Révolution, fin 1988. Membre de l'escorte personnelle de Fidel Castro depuis douze ans, Juan Reinaldo Sánchez introduit un visiteur prestigieux dans une pièce contiguë au bureau présidentiel. Il s'agit du général José Abrantes, ministre de l'Intérieur. Contrairement à l'habitude, el Comandante demande à Sánchez de ne pas enregistrer la conversation. Au bout de deux heures, trouvant le temps long et poussé par la curiosité, le garde du corps met un casque et commence à écouter ce qui se dit dans la pièce à côté. Et ce qu'il entend le laisse sans voix, abasourdi, pétrifié par la surprise. Castro est tout bonnement en train de donner à Abrantes son feu vert à une opération liée au narcotrafic. "En quelques secondes, raconte Sánchez, tout mon univers, tous mes idéaux se sont écroulés. Je réalisais que l'homme à qui je sacrifiais ma vie depuis toujours, le Leader que je vénérais comme un dieu, et qui, à mes yeux, comptait davantage que ma propre famille, était mouillé dans le trafic de cocaïne au point de diriger des opérations illégales à la manière d'un parrain. " Un an plus tard, pour détourner de sa personne les soupçons des Américains, Castro n'hésite pas à faire emprisonner son ami Abrantes et à faire fusiller le général Arnaldo Ochoa, son vieux compagnon de lutte tout juste rentré en héros de la guerre en Angola (1975- 1992). "Ochoa était le général le plus respecté, sa condamnation à mort a traumatisé beaucoup de Cubains", se souvient Alejandro González Raga, porte-parole de l'Observatoire cubain des droits humains, à Madrid. La lecture de La Vie cachée de Fidel Castro, le livre que Sánchez a écrit en collaboration avec Axel Gyldén, journaliste à L'Express, et publié au mois de mai en France, réserve bien d'autres surprises. Castro passe depuis toujours pour un homme frugal et austère ? On découvre qu'il vit dans un luxe inouï. Il est admiré pour ses qualités de leader ? Il apparaît comme un personnage "manipulateur et égocentrique", quoique "charismatique et intelligent". L'auteur, qui vit aujourd'hui à Miami, en Floride, a réussi à fuir Cuba en 2008, après dix tentatives infructueuses. Parce qu'il eut un jour l'outrecuidance de faire valoir ses droits à la retraite après dix-sept ans de bons et loyaux services, il passa deux ans en prison (1994-1996). Intervention militaire cubaine en Angola En révélant les secrets petits et grands du Líder Máximo, c'est aussi un pan de l'histoire de Cuba qu'il dévoile. Et notamment l'intervention militaire cubaine en Angola. Tout commence en 1974 avec la"révolution des oeillets" au Portugal. Au pouvoir depuis les années 1930, le salazarisme s'effondre, le nouveau régime décide d'abandonner les colonies. En Angola, trois mouvements indépendantistes s'affrontent pour le contrôle de Luanda, la capitale : le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), d'obédience marxiste, le Front national de libération de l'Angola (FNLA) et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita). Le premier est soutenu par l'Union soviétique, les deux autres par l'Occident. Se sentant vulnérable, Agostinho Neto, le leader du MPLA, appelle Castro à l'aide. Pas de temps à perdre puisque le Portugal a déjà fixé la date de la future indépendance : le 11 novembre 1975. Par avion et par bateau, les Cubains s'empressent d'envoyer de l'autre côté de l'Atlantique 35 000 hommes et du matériel militaire en abondance. Résultat, lors de la proclamation d'indépendance, le MPLA est maître de Luanda. Quelques années plus tard, en 1988, le régime sudafricain ségrégationniste occupe la Namibie et envahit l'Angola. En janvier 1988, Fidel dirige ses troupes à 10.000 km de distance lors de la bataille de Cuito Cuanavale, en territoire angolais. "Il fallait le voir à l'oeuvre, le stratège, dans la War Room du ministère des Forces armées révolutionnaires (MinFar) tapissée de cartes d'état-major et agrémentée de maquettes des champs de bataille !" raconte Sánchez. Cuito Cuanavale est sans doute la plus grande bataille dont l'Afrique ait été le théâtre. Elle mit aux prises plus de 40 000 combattants mais ne déboucha pas sur la victoire incontestable de l'un ou l'autre camp. Elle convainquit pourtant les Sud- Africains de renoncer à renverser le régime de Luanda. "La Havane a joué un rôle décisif et trop peu connu dans la chute de l'apartheid, qui asseyait sa domination sur le mythe de l'invincibilité de l'homme blanc. Or l'armée cubaine était majoritairement composée de Noirs", explique Salim Lamrani, enseignant chargé de cours à Paris- Sorbonne. Les liens entre Cuba et l'Afrique du Sud sont, aujourd'hui encore, très forts. Sánchez n'évoque pas la figure de Nelson Mandela, avec qui Castro entretint une longue amitié (il n'était plus, à l'époque, à son service), mais il consacre plusieurs pages à d'autres chefs d'Etat qu'il surnomme "les tyrans d'opérette". C'est en septembre 1986, lors du VIIIe sommet des pays non alignés à Harare, que le leader cubain rencontre pour la première fois Mouammar Kadhafi. Après avoir prononcé un violent réquisitoire contre le Mouvement des nonalignés, trop tièdes à son goût face à l'"impérialisme américain", le "Guide" libyen quitte la salle et se retire sous sa tente. Castro finit par le convaincre de revenir en séance et d'écouter son discours. Sánchez affirme pourtant que le Comandante ne tenait pas le Guide "en très haute estime". "Je crois, écrit-il, que Kadhafi l'a énormément déçu. Il s'est vite aperçu qu'en dépit des énormes moyens financiers qu'il tirait du pétrole, ce type était incapable de tenir un discours cohérent. Devant nous, Fidel disait de lui : "C'est un excentrique ; il aime l'exhibitionnisme."" Il va de soi que Castro se plaçait très au-dessus de ces "tyrans d'opérette". Et c'est pourquoi il a été amené à soutenir divers mouvements de guérilla à travers le monde.