Djenane Ezzitoune est un quartier écartelé entre la part de mythe que lui assure la petite histoire et le smig de colère entretenu par les privations en tous genres. Djenane Ezzitoune est un quartier écartelé entre la part de mythe que lui assure la petite histoire et le smig de colère entretenu par les privations en tous genres. De l'aéroport, la route qui mène vers la ville a quelque chose de paradoxal. Vous aurez toujours du mal à comprendre que cet itinéraire si spacieux et éclaté puisse vous plonger au bout de quelques kilomètres dans l'enserrement d'une cité toute dédiée à la promiscuité. Pourtant, en retrait, cette vaste périphérie, champêtre en son temps de gloire, est vite devenue la première verrue sur le visage de la ville. L'espace ne fait pas forcément l'aération et déjà, apparaissent les premiers signes d'une option urbanistique qui a dû avoir ses raisons objectives. Cela n'atténue pas pour autant le malaise du regard. Le vieux building de l'université, s'il est dans l'ordre naturel des choses d'une cité depuis les temps immémoriaux angoissée par le manque d'espace, n'en est pas moins une gâterie architecturale anachronique conçue juste pour prolonger une antique frustration. Dans le temps verger aux contours imprécis et à la vocation évidente de nécessité vitale, Djenane Ezzitoune est un quartier écartelé entre la part de mythe que lui assure la petite histoire et le smig de colère entretenu par les privations en tous genres. Aujourd'hui, une voiture est tombée par-dessus le pont d'El Koues pour se retrouver dans l'Oued. Dans la foulée de l'élan de solidarité des hommes présents sur les lieux, le ton est vite monté pour que le propos, naturellement amer, déborde. D'abord, sur ce pont d'un archaïsme mortel et cette route largement entamée par l'usure, puis sur bien d'autres choses. L'aubaine est toujours bonne à saisir même si ce ne sont pas les raisons de râler qui manquent. A Djenane Ezzitoune comme dans les autres quartiers de Constantine. Le cirque n'est plus là Le conducteur du taxi qui nous ramenait de l'aéroport n'est peut- être pas un râleur de naissance, mais ses insinuations ne laissent pas beaucoup de place au doute. A commencer par son sourire dans la commissure des lèvres qui accompagne le regard vers tout ce qu'il a jugé utile de nous montrer et de nous dire. A tout seigneur tout honneur, c'est par son travail qu'il commencera. Prudent, il «n'accuse personne», mais avoue une certaine anarchie dans la prise en charge du client au niveau de l'aéroport. Il n'accuse personne, mais il prend le soin de se mettre, lui et ses collègues au-dessus de tout soupçons : «Iil y a trop de taxi à Constantine, trop de retraités reconvertis. Avec d'autres sources de revenus, ils choisissent leurs courses pour nous laisser à nous les professionnels, les rebus de l'activités». Si le nombre - impressionnant - de taxis à Constantine n'est pas fait pour déplaire aux clients, notre interlocuteur n'en tire pas une fierté, pour les raisons évidentes que tout le monde peut comprendre. Cela, l'amène à abandonner un sujet qui devenait visiblement embarrassant pour nous montrer quelques luxueux immeubles appartenant à un promoteur fraîchement débarqué dans le royaume de la prospérité. Le sourire entendu, toujours dans la commissure des lèvres, ne s'effacera que quand on lui demandera de nous déposer devant le théâtre. Confondant Masrah et cirque, notre transporteur nous répliquera, un peu désolé qu'un chapiteau a été effectivement installé il y a quelque temps du côté de Sidi Mabrouk, mais qu'il était malheureusement parti. Peu râleur, mais inspiré, il ne croyait peut-être bien si dire. Le cirque est bien parti et, c'est sa vocation de partir. Ce n'est pas celle du théâtre régional dont la bâtisse, corps sans âme au cœur de la ville qui en a fait pendant longtemps le centre de ses palpitations. Restauré, à la manière d'un vulgaire violon de supermarché prenant la place d'un Stradivarius, le théâtre de Constantine ronge son frein avec des artistes fonctionnaires payés un peu plus du Snmg et un manque d'imagination mortel. Signe des temps ou grossière provocation, c'est devant ce temple de la culture que les cambistes ont élu domicile. Noyant sa devanture, de jeunes trafiquants exhibent leur «blé», comptant et recomptant inutilement les billets, avec le geste précis du roublard et le regard arrogant du riche sans mérite. Un peu plus haut, le centre culturel Mohamed-El Aid Al Khalifa est chargé d'entretenir l'illusion. Les velléités sont réelles, la création et le spectacle beaucoup moins. Après plus de vingt ans d'existence, cet espace n'a pas pu créer la dynamique culturelle et l'activité permanente dont il avait la vocation. «A Constantine, comme dans le reste du pays à travers la télé, ce centre évoque plus les meetings politiques qu'il a abrités que les concerts et pièces de théâtres», se désole un habitué des lieux qui s'accroche, faute de mieux, à ce qui y est proposé. C'est-à-dire à peu près rien. Sidi-Rached ne peut rien contre le bazar C'est au détour du théâtre que commence un autre théâtre, celui des ruelles de la vieille ville. Le décor ne doit pas avoir beaucoup changé. Les acteurs si. Rahbat Ledjmal vous happe sans ménagement pour vous plonger dans un autre monde. Ici, Constantine se ramasse un peu plus dans un espace certes, orphelin de ses poètes troubadours, de ses illusionnistes et de ses maisons closes, mais toujours attachant. L'humilité a toujours sa magie dans ces dédales privés de ciel et les senteurs d'herbes et d'épices s'échinent à compenser l'indigence des étals en même temps que le désarroi des hommes. Plus que la nostalgie, ce sont les prix qui attirent ici. Très peu viennent se retremper dans un monde perdu des temps anciens, mais beaucoup vont dans la Souika en quête d'un morceau de viande impossible dans les boucheries de la ville ou une paire de chaussettes dont le prix ne causera pas de gros dégâts sur la fin de mois. Alors, n'essayez pas d'évoquer avec ces gens l'hygiène souvent périlleuse des abats ou la qualité toc du polo. La maison du Gnaoui est toujours là, mais personne en dehors des fidèles de la transe hebdomadaire n'y prête attention. Tout au fond de la Souika, un petit chemin difficile à deviner descend vers le mausolée de Sidi Rached, à travers les rares maisonnettes encore habitées, itinéraire largement préféré à l'escalier métallique du pont du nom du même saint. Sidi Rached veille toujours sur la santé des pauvres, même s'il semble impuissant face au bazar de Triq Edjdida. Cette artère tient son nom d'une opération stratégique de l'administration coloniale qui voulait partager la ville en deux pour un sombre dessein en séparant du reste la rue Clemenceau et la rue de France. Aujourd'hui, cette dernière s'est livrée au bazar le jour et aux camionnettes des fruits et légumes le soir venu. «Jadis célèbre pour ses beaux magasins de tissus, ses chapelleries et ses chaussures de luxe, elle est aujourd'hui envahie par une faune de vendeurs et d'acheteurs avides, sans scrupules et dépourvus de goût», se lamente une vieille constantinoise dépitée. «Vous connaissez la dernière ? De petits voyous ici, vont jusqu'à provoquer d'immenses bousculades pour voler ou pire, promener leurs mains sur quelques corps de femmes apeurées», nous lance un jeune. La vieille constantinoise n'est pas la seule à se lamenter sur le bonheur perdu de sa ville. Farouk est tout fier de tenir «un lieu de convivialité» arraché de haute lutte au désert local, c'est-à-dire l'unique bar du centre ville. Ancien du «milieu», qui s'est rangé sans mourir de remords, il revendique ses années de prison pour proxénétisme et son admiration pour Lyes Soustara qu'il a connu. Il dit recevoir la fine fleur de Constantine dans son établissement qu'il faut vraiment aller chercher en descendant l'escalier d'un immeuble des arcades. «J'aurai pu profiter de ma situation de monopole et doubler les prix, mais il n'y a pas que l'argent dans la vie. Et puis, ce ne sont pas les riches qui viennent chez moi, mais les gens intelligents» dit-il, sûr de son humour. «Qu'est-ce que nous deviendrons sans lui ?» dira Kamel, représentant des Tabacs Bentchicou, tiré à quatre épingles. Et que deviendra Constantine, la ville des sciences et de la culture sans la Souika, la baraka de Sidi Rached et Farouk ? De l'aéroport, la route qui mène vers la ville a quelque chose de paradoxal. Vous aurez toujours du mal à comprendre que cet itinéraire si spacieux et éclaté puisse vous plonger au bout de quelques kilomètres dans l'enserrement d'une cité toute dédiée à la promiscuité. Pourtant, en retrait, cette vaste périphérie, champêtre en son temps de gloire, est vite devenue la première verrue sur le visage de la ville. L'espace ne fait pas forcément l'aération et déjà, apparaissent les premiers signes d'une option urbanistique qui a dû avoir ses raisons objectives. Cela n'atténue pas pour autant le malaise du regard. Le vieux building de l'université, s'il est dans l'ordre naturel des choses d'une cité depuis les temps immémoriaux angoissée par le manque d'espace, n'en est pas moins une gâterie architecturale anachronique conçue juste pour prolonger une antique frustration. Dans le temps verger aux contours imprécis et à la vocation évidente de nécessité vitale, Djenane Ezzitoune est un quartier écartelé entre la part de mythe que lui assure la petite histoire et le smig de colère entretenu par les privations en tous genres. Aujourd'hui, une voiture est tombée par-dessus le pont d'El Koues pour se retrouver dans l'Oued. Dans la foulée de l'élan de solidarité des hommes présents sur les lieux, le ton est vite monté pour que le propos, naturellement amer, déborde. D'abord, sur ce pont d'un archaïsme mortel et cette route largement entamée par l'usure, puis sur bien d'autres choses. L'aubaine est toujours bonne à saisir même si ce ne sont pas les raisons de râler qui manquent. A Djenane Ezzitoune comme dans les autres quartiers de Constantine. Le cirque n'est plus là Le conducteur du taxi qui nous ramenait de l'aéroport n'est peut- être pas un râleur de naissance, mais ses insinuations ne laissent pas beaucoup de place au doute. A commencer par son sourire dans la commissure des lèvres qui accompagne le regard vers tout ce qu'il a jugé utile de nous montrer et de nous dire. A tout seigneur tout honneur, c'est par son travail qu'il commencera. Prudent, il «n'accuse personne», mais avoue une certaine anarchie dans la prise en charge du client au niveau de l'aéroport. Il n'accuse personne, mais il prend le soin de se mettre, lui et ses collègues au-dessus de tout soupçons : «Iil y a trop de taxi à Constantine, trop de retraités reconvertis. Avec d'autres sources de revenus, ils choisissent leurs courses pour nous laisser à nous les professionnels, les rebus de l'activités». Si le nombre - impressionnant - de taxis à Constantine n'est pas fait pour déplaire aux clients, notre interlocuteur n'en tire pas une fierté, pour les raisons évidentes que tout le monde peut comprendre. Cela, l'amène à abandonner un sujet qui devenait visiblement embarrassant pour nous montrer quelques luxueux immeubles appartenant à un promoteur fraîchement débarqué dans le royaume de la prospérité. Le sourire entendu, toujours dans la commissure des lèvres, ne s'effacera que quand on lui demandera de nous déposer devant le théâtre. Confondant Masrah et cirque, notre transporteur nous répliquera, un peu désolé qu'un chapiteau a été effectivement installé il y a quelque temps du côté de Sidi Mabrouk, mais qu'il était malheureusement parti. Peu râleur, mais inspiré, il ne croyait peut-être bien si dire. Le cirque est bien parti et, c'est sa vocation de partir. Ce n'est pas celle du théâtre régional dont la bâtisse, corps sans âme au cœur de la ville qui en a fait pendant longtemps le centre de ses palpitations. Restauré, à la manière d'un vulgaire violon de supermarché prenant la place d'un Stradivarius, le théâtre de Constantine ronge son frein avec des artistes fonctionnaires payés un peu plus du Snmg et un manque d'imagination mortel. Signe des temps ou grossière provocation, c'est devant ce temple de la culture que les cambistes ont élu domicile. Noyant sa devanture, de jeunes trafiquants exhibent leur «blé», comptant et recomptant inutilement les billets, avec le geste précis du roublard et le regard arrogant du riche sans mérite. Un peu plus haut, le centre culturel Mohamed-El Aid Al Khalifa est chargé d'entretenir l'illusion. Les velléités sont réelles, la création et le spectacle beaucoup moins. Après plus de vingt ans d'existence, cet espace n'a pas pu créer la dynamique culturelle et l'activité permanente dont il avait la vocation. «A Constantine, comme dans le reste du pays à travers la télé, ce centre évoque plus les meetings politiques qu'il a abrités que les concerts et pièces de théâtres», se désole un habitué des lieux qui s'accroche, faute de mieux, à ce qui y est proposé. C'est-à-dire à peu près rien. Sidi-Rached ne peut rien contre le bazar C'est au détour du théâtre que commence un autre théâtre, celui des ruelles de la vieille ville. Le décor ne doit pas avoir beaucoup changé. Les acteurs si. Rahbat Ledjmal vous happe sans ménagement pour vous plonger dans un autre monde. Ici, Constantine se ramasse un peu plus dans un espace certes, orphelin de ses poètes troubadours, de ses illusionnistes et de ses maisons closes, mais toujours attachant. L'humilité a toujours sa magie dans ces dédales privés de ciel et les senteurs d'herbes et d'épices s'échinent à compenser l'indigence des étals en même temps que le désarroi des hommes. Plus que la nostalgie, ce sont les prix qui attirent ici. Très peu viennent se retremper dans un monde perdu des temps anciens, mais beaucoup vont dans la Souika en quête d'un morceau de viande impossible dans les boucheries de la ville ou une paire de chaussettes dont le prix ne causera pas de gros dégâts sur la fin de mois. Alors, n'essayez pas d'évoquer avec ces gens l'hygiène souvent périlleuse des abats ou la qualité toc du polo. La maison du Gnaoui est toujours là, mais personne en dehors des fidèles de la transe hebdomadaire n'y prête attention. Tout au fond de la Souika, un petit chemin difficile à deviner descend vers le mausolée de Sidi Rached, à travers les rares maisonnettes encore habitées, itinéraire largement préféré à l'escalier métallique du pont du nom du même saint. Sidi Rached veille toujours sur la santé des pauvres, même s'il semble impuissant face au bazar de Triq Edjdida. Cette artère tient son nom d'une opération stratégique de l'administration coloniale qui voulait partager la ville en deux pour un sombre dessein en séparant du reste la rue Clemenceau et la rue de France. Aujourd'hui, cette dernière s'est livrée au bazar le jour et aux camionnettes des fruits et légumes le soir venu. «Jadis célèbre pour ses beaux magasins de tissus, ses chapelleries et ses chaussures de luxe, elle est aujourd'hui envahie par une faune de vendeurs et d'acheteurs avides, sans scrupules et dépourvus de goût», se lamente une vieille constantinoise dépitée. «Vous connaissez la dernière ? De petits voyous ici, vont jusqu'à provoquer d'immenses bousculades pour voler ou pire, promener leurs mains sur quelques corps de femmes apeurées», nous lance un jeune. La vieille constantinoise n'est pas la seule à se lamenter sur le bonheur perdu de sa ville. Farouk est tout fier de tenir «un lieu de convivialité» arraché de haute lutte au désert local, c'est-à-dire l'unique bar du centre ville. Ancien du «milieu», qui s'est rangé sans mourir de remords, il revendique ses années de prison pour proxénétisme et son admiration pour Lyes Soustara qu'il a connu. Il dit recevoir la fine fleur de Constantine dans son établissement qu'il faut vraiment aller chercher en descendant l'escalier d'un immeuble des arcades. «J'aurai pu profiter de ma situation de monopole et doubler les prix, mais il n'y a pas que l'argent dans la vie. Et puis, ce ne sont pas les riches qui viennent chez moi, mais les gens intelligents» dit-il, sûr de son humour. «Qu'est-ce que nous deviendrons sans lui ?» dira Kamel, représentant des Tabacs Bentchicou, tiré à quatre épingles. Et que deviendra Constantine, la ville des sciences et de la culture sans la Souika, la baraka de Sidi Rached et Farouk ?