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Ces frontieres qui blessent
Eldorado de Laurent Gaudé
Publié dans Le Midi Libre le 21 - 02 - 2008

‘'Eldorado'' est l'histoire de deux destins qui se croisent le temps que s'échangent un regard et quelques paroles sur une place de Ghardaïa. C'est l'histoire de la quête d'eldorado de Soleïman, un jeune Harrag soudanais et du commandant de frégate, Salvatore Piracci qui, à partir de Catane, port sicilien, a passé vingt ans de sa vie à intercepter les embarcations clandestines qui sillonnent la Méditerranée.
‘'Eldorado'' est l'histoire de deux destins qui se croisent le temps que s'échangent un regard et quelques paroles sur une place de Ghardaïa. C'est l'histoire de la quête d'eldorado de Soleïman, un jeune Harrag soudanais et du commandant de frégate, Salvatore Piracci qui, à partir de Catane, port sicilien, a passé vingt ans de sa vie à intercepter les embarcations clandestines qui sillonnent la Méditerranée.
Ce quatrième roman du jeune dramaturge-écrivain parisien, Laurent Gaudé, invite à la réflexion sur la relativité de l'eldorado que chacun porte en soi, comme «la part précieuse du désir». Pour Soleïman, l'eldorado est ce pays bien concret, où il pourra travailler, manger à sa faim et jouir des droits humains garantis par les chartes et institutions internationales.
Le voyage initiatique
L'adolescent est prêt à tout, même à mourir, pour atteindre l'Europe de ses rêves ou plutôt de ceux de son frère aîné qui, malade, le pousse à partir. Il quitte sa mère et sa terre pour une aventure incertaine
«La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici, avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C'est certain et nous le savons tous les deux. Elle sait qu'elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu'elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l'ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage.»
Commence alors pour le jeune Soudanais le voyage de tous les dangers qui le mène à travers les déserts de Libye et d'Algérie jusqu'aux frontières hispano-marocaines de Ceuta. L'enjeu pour lui est autant d'accéder à une nouvelle vie que de préserver la dignité et les principes qui faisaient de lui le fils d'une famille respectée dans sa ville natale. Soleïman perd mille fois sa route avant de s'élancer à l'assaut de la haute clôture de fils de fer barbelés, accroché à une échelle de fortune en même temps que 500 pauvres hères, pris entre les tirs de grenades lacrymogènes, les balles réelles et en caoutchouc, les chiens et les matraques des policiers espagnols et marocains. Non seulement, Soleïman réussit à passer, mais il n'abandonne pas son ami Boubakar, infirme d'une jambe. Cette double victoire sur la frontière et sur lui-même fait de son parcours une quête quasi-initiatique.
Un Européen désillusionné
A contrario, la quête du commandant italien est toute dépossession et renoncement.
Car le gardien des côtes européennes qui a sauvé des milliers de vies d'immigrants abandonnés en pleine mer, toujours pour les remettre sagement à la Police, prend un jour conscience de l'inanité de sa tâche. Il décide alors d'abandonner tout ce qui fait sa vie. En 20 ans, il a eu tout le loisir de constater l'invincibilité des migrants et l'irréversibilité des flux migratoires: «Il pensa alors qu'il ne servait à rien. Qu'il repoussait des hommes qui revenaient toujours plus vifs et conquérants. Il repoussait des hommes qu'il enviait chaque jour un peu plus.» Le déclic a lieu le jour où il accepte d'armer une jeune Libanaise, qui, deux ans auparavant, a perdu son bébé au Bord du «Vittoria» , un bateau affrété clandestinement et abandonné en pleine mer sur ordre d'un réseau de passeurs véreux. Lorsque le commandant Piracci le retrouve, une bonne partie des passagers est morte de faim et de soif, dont le bébé de la jeune femme.
Lorsque le commandant donne son arme à la jeune femme pour venger son enfant mort, il franchit à son tour une frontière. A l'intérieur de lui-même. Il ne peut plus supporter de vivre dans cette Europe qui vieillit si mal, indifférente à la misère des autres. «L'eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes», lui dit un inconnu du cimetière de Lampedusa en lui montrant les tombes des clandestins morts en mer.
Massambalo, protecteur
des migrants
A son tour, Piracci n'aspire plus qu'à partir, bien qu'«aucune frontière ne vous laisse passer sereinement, elles blessent toutes», souligne l'auteur. Abandonnant tout ce qu'il possède, l'Italien aborde le continent africain où menant sa quête jusqu'au bout, il va littéralement se dissoudre dans l'air nocturne.
La rencontre entre les deux hommes a lieu à Ghardaïa. Le commandant désillusionné est pris par le jeune Soudanais pour une des ombres de Massambalo, le «dieu» protecteur des émigrés. «Il a des esprits qui voyagent pour lui. On les appelle les ombres de Massambalo. Elles sillonnent le continent. Du Sénégal au Zaïre. De l'Algérie au Bénin. Elles peuvent revêtir différentes formes…» Tout émigré qui rencontre une ombre de Massambalo voit son périple couronné de succès, croient, dur comme fer, les candidats à l'exil. Piracci comprend la méprise du jeune Soudanais mais joue le jeu. «Il repensa alors à sa vie sicilienne. Il avait été tant de fois la malchance pour ceux qu'il croisait. Il se souvenait de ces milliers d'yeux éteints qui se posaient sur lui lorsqu'il interceptait des barques de fortune.(…) Il lui était donné de souffler sur le désir des hommes pour qu'il grandisse. Il avait besoin de cela.» Soleïman est galvanisé par cette rencontre et ses forces décuplées par la foi.
Ecrire la fraternité
Avec une tonalité à la fois distanciée et tendre, le roman de Laurent Gaudé est plein de mouvements, d'images, de sonorités et de senteurs. L'auteur fait saisir à bras le corps la réalité de l'immigration clandestine, mais aussi celle du vieux continent européen, où les êtres semblent vivre d'une vie machinale où plus rien d'imprévu n'arrive.
Les deux destins qui sont décrits en parallèle, légèrement décalés dans le temps, font ressentir l'unité de la condition humaine grâce à l'utilisation identique du «je» pour les deux personnages. L'auteur qui a travaillé son thème à partir de coupures de journaux, livre bien plus qu'un simple reportage.
«La méditation de l'écrivain oscille entre une inquiétude actuelle et des questions atemporelles», déclare l'auteur, né en 1972, qui a déjà à son actif Huit pièces de théâtre et quatre romans. Ayant remporté le prix Goncourt pour «Le soleil des Scorta» en 2004, l'auteur renoue avec une approche des grandes tragédies humaines par le biais d'une plume colorée et vigoureusement fraternelle. «Pour moi, écrire c'est prêter sa voix à l'Afghanistan, à l'Algérie. Je vais au devant des choses qui ne sont pas miennes. C'est évidemment quelque chose qui est plus fort dans le théâtre : ce mouvement d'effacement face à une parole qui est autre», ajoute-t-il au cours d'une interview. Le roman a été édité aux éditions Barzakh en décembre 2007 après avoir été publié par Actes Sud en 2006 en France.
Ce quatrième roman du jeune dramaturge-écrivain parisien, Laurent Gaudé, invite à la réflexion sur la relativité de l'eldorado que chacun porte en soi, comme «la part précieuse du désir». Pour Soleïman, l'eldorado est ce pays bien concret, où il pourra travailler, manger à sa faim et jouir des droits humains garantis par les chartes et institutions internationales.
Le voyage initiatique
L'adolescent est prêt à tout, même à mourir, pour atteindre l'Europe de ses rêves ou plutôt de ceux de son frère aîné qui, malade, le pousse à partir. Il quitte sa mère et sa terre pour une aventure incertaine
«La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici, avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C'est certain et nous le savons tous les deux. Elle sait qu'elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu'elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l'ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage.»
Commence alors pour le jeune Soudanais le voyage de tous les dangers qui le mène à travers les déserts de Libye et d'Algérie jusqu'aux frontières hispano-marocaines de Ceuta. L'enjeu pour lui est autant d'accéder à une nouvelle vie que de préserver la dignité et les principes qui faisaient de lui le fils d'une famille respectée dans sa ville natale. Soleïman perd mille fois sa route avant de s'élancer à l'assaut de la haute clôture de fils de fer barbelés, accroché à une échelle de fortune en même temps que 500 pauvres hères, pris entre les tirs de grenades lacrymogènes, les balles réelles et en caoutchouc, les chiens et les matraques des policiers espagnols et marocains. Non seulement, Soleïman réussit à passer, mais il n'abandonne pas son ami Boubakar, infirme d'une jambe. Cette double victoire sur la frontière et sur lui-même fait de son parcours une quête quasi-initiatique.
Un Européen désillusionné
A contrario, la quête du commandant italien est toute dépossession et renoncement.
Car le gardien des côtes européennes qui a sauvé des milliers de vies d'immigrants abandonnés en pleine mer, toujours pour les remettre sagement à la Police, prend un jour conscience de l'inanité de sa tâche. Il décide alors d'abandonner tout ce qui fait sa vie. En 20 ans, il a eu tout le loisir de constater l'invincibilité des migrants et l'irréversibilité des flux migratoires: «Il pensa alors qu'il ne servait à rien. Qu'il repoussait des hommes qui revenaient toujours plus vifs et conquérants. Il repoussait des hommes qu'il enviait chaque jour un peu plus.» Le déclic a lieu le jour où il accepte d'armer une jeune Libanaise, qui, deux ans auparavant, a perdu son bébé au Bord du «Vittoria» , un bateau affrété clandestinement et abandonné en pleine mer sur ordre d'un réseau de passeurs véreux. Lorsque le commandant Piracci le retrouve, une bonne partie des passagers est morte de faim et de soif, dont le bébé de la jeune femme.
Lorsque le commandant donne son arme à la jeune femme pour venger son enfant mort, il franchit à son tour une frontière. A l'intérieur de lui-même. Il ne peut plus supporter de vivre dans cette Europe qui vieillit si mal, indifférente à la misère des autres. «L'eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes», lui dit un inconnu du cimetière de Lampedusa en lui montrant les tombes des clandestins morts en mer.
Massambalo, protecteur
des migrants
A son tour, Piracci n'aspire plus qu'à partir, bien qu'«aucune frontière ne vous laisse passer sereinement, elles blessent toutes», souligne l'auteur. Abandonnant tout ce qu'il possède, l'Italien aborde le continent africain où menant sa quête jusqu'au bout, il va littéralement se dissoudre dans l'air nocturne.
La rencontre entre les deux hommes a lieu à Ghardaïa. Le commandant désillusionné est pris par le jeune Soudanais pour une des ombres de Massambalo, le «dieu» protecteur des émigrés. «Il a des esprits qui voyagent pour lui. On les appelle les ombres de Massambalo. Elles sillonnent le continent. Du Sénégal au Zaïre. De l'Algérie au Bénin. Elles peuvent revêtir différentes formes…» Tout émigré qui rencontre une ombre de Massambalo voit son périple couronné de succès, croient, dur comme fer, les candidats à l'exil. Piracci comprend la méprise du jeune Soudanais mais joue le jeu. «Il repensa alors à sa vie sicilienne. Il avait été tant de fois la malchance pour ceux qu'il croisait. Il se souvenait de ces milliers d'yeux éteints qui se posaient sur lui lorsqu'il interceptait des barques de fortune.(…) Il lui était donné de souffler sur le désir des hommes pour qu'il grandisse. Il avait besoin de cela.» Soleïman est galvanisé par cette rencontre et ses forces décuplées par la foi.
Ecrire la fraternité
Avec une tonalité à la fois distanciée et tendre, le roman de Laurent Gaudé est plein de mouvements, d'images, de sonorités et de senteurs. L'auteur fait saisir à bras le corps la réalité de l'immigration clandestine, mais aussi celle du vieux continent européen, où les êtres semblent vivre d'une vie machinale où plus rien d'imprévu n'arrive.
Les deux destins qui sont décrits en parallèle, légèrement décalés dans le temps, font ressentir l'unité de la condition humaine grâce à l'utilisation identique du «je» pour les deux personnages. L'auteur qui a travaillé son thème à partir de coupures de journaux, livre bien plus qu'un simple reportage.
«La méditation de l'écrivain oscille entre une inquiétude actuelle et des questions atemporelles», déclare l'auteur, né en 1972, qui a déjà à son actif Huit pièces de théâtre et quatre romans. Ayant remporté le prix Goncourt pour «Le soleil des Scorta» en 2004, l'auteur renoue avec une approche des grandes tragédies humaines par le biais d'une plume colorée et vigoureusement fraternelle. «Pour moi, écrire c'est prêter sa voix à l'Afghanistan, à l'Algérie. Je vais au devant des choses qui ne sont pas miennes. C'est évidemment quelque chose qui est plus fort dans le théâtre : ce mouvement d'effacement face à une parole qui est autre», ajoute-t-il au cours d'une interview. Le roman a été édité aux éditions Barzakh en décembre 2007 après avoir été publié par Actes Sud en 2006 en France.


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