Zitouni visite l'Autorité des zones franches du Qatar    PLF 2025: le budget proposé garantit la poursuite des efforts consentis pour concrétiser les engagements fixés    Merad reçoit l'ambassadeur de la République italienne à Alger    La décision de la CJUE, un nouvel acquis pour les sahraouis et une cinglante réponse à la propagande marocaine    Forum syndical international : appel à fédérer les efforts syndicaux en vue de soutenir la cause sahraouie    La Commission nationale de prévention et de lutte contre le cancer présente son programme d'action devant le président de la République    Santé: célébration à Alger de la Journée nationale des donneurs de sang    Attaf et Al-Nafti font les dernières retouches à Alger    «Le Gouvernement toujours engagé à soutenir le marché financier et ses mécanismes de financement»    Pas d'entraves aux importations utiles    Un haut gradé de l'armée d'occupation israélienne abattu dans la ville assiégée de Jabalia    « Israël a été créé par les Nations unies, avant elle n'existait pas »    Annaba : les pouvoirs publics renoncent face au marché noir L'incursion étonnante du marché informel s'installe en ville    Sept personnes blessées dans une collision de voitures à Hmadna    Montrer la richesse et l'authenticité de la culture sahraouie    Pour la mise en place de nouveaux mécanismes pour le financement des productions cinématographiques en Afrique    Un temps de réflexion : Le devenir de l'être humain    Appel aux professionnels du 7e art à participer aux débats de l'espace "Cinéma Market"    Escalade sioniste en Palestine : début de la réunion d'urgence de la Ligue arabe    Tizi-Ouzou: le film "Fouroulou" au festival national du film Amazigh samedi prochain    Conférence-débat à Sétif sur le rôle de la presse dans la renaissance du sport en Algérie    Accidents de la circulation: 46 morts et 1608 blessés en une semaine    Ligue 1 Mobilis (5e j): le CRB, le MCO et l'USB sanctionnés d'un match à huis clos    Clôture de la semaine culturelle sud-coréenne: remise des prix aux lauréats    Journée de la presse: nouveaux rôles pour les médias nationaux dans un arsenal juridique solide    Un BMS annonce des pluies orageuses et des tempêtes de sable    Agrément à la nomination du nouvel ambassadeur d'Algérie auprès du Guatemala    Le ministère de l'Habitat dépose plainte contre les responsables    Handball-Division Excellence : Coup d'envoi de la nouvelle saison    Les attaquants restent encore fébrile, l'arbitrage en conflit avec la VAR    3 médailles d'argent et 1 en bronze pour l'Algérie    Boughali tient une réunion de coordination avec les présidents des groupes parlementaires    Boxe: Imane Khelif dévoile son parcours sportif et se projette sur l'avenir    Une occasion pour l'Algérie de défendre les causes palestinienne et sahraouie    Signature d'un protocole de coopération entre les armées des deux pays    UIP : Des pays arabes boycottent l'allocution du représentant de l'entité sioniste en réponse à l'appel de l'Algérie    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Ces frontieres qui blessent
Eldorado de Laurent Gaudé
Publié dans Le Midi Libre le 21 - 02 - 2008

‘'Eldorado'' est l'histoire de deux destins qui se croisent le temps que s'échangent un regard et quelques paroles sur une place de Ghardaïa. C'est l'histoire de la quête d'eldorado de Soleïman, un jeune Harrag soudanais et du commandant de frégate, Salvatore Piracci qui, à partir de Catane, port sicilien, a passé vingt ans de sa vie à intercepter les embarcations clandestines qui sillonnent la Méditerranée.
‘'Eldorado'' est l'histoire de deux destins qui se croisent le temps que s'échangent un regard et quelques paroles sur une place de Ghardaïa. C'est l'histoire de la quête d'eldorado de Soleïman, un jeune Harrag soudanais et du commandant de frégate, Salvatore Piracci qui, à partir de Catane, port sicilien, a passé vingt ans de sa vie à intercepter les embarcations clandestines qui sillonnent la Méditerranée.
Ce quatrième roman du jeune dramaturge-écrivain parisien, Laurent Gaudé, invite à la réflexion sur la relativité de l'eldorado que chacun porte en soi, comme «la part précieuse du désir». Pour Soleïman, l'eldorado est ce pays bien concret, où il pourra travailler, manger à sa faim et jouir des droits humains garantis par les chartes et institutions internationales.
Le voyage initiatique
L'adolescent est prêt à tout, même à mourir, pour atteindre l'Europe de ses rêves ou plutôt de ceux de son frère aîné qui, malade, le pousse à partir. Il quitte sa mère et sa terre pour une aventure incertaine
«La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici, avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C'est certain et nous le savons tous les deux. Elle sait qu'elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu'elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l'ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage.»
Commence alors pour le jeune Soudanais le voyage de tous les dangers qui le mène à travers les déserts de Libye et d'Algérie jusqu'aux frontières hispano-marocaines de Ceuta. L'enjeu pour lui est autant d'accéder à une nouvelle vie que de préserver la dignité et les principes qui faisaient de lui le fils d'une famille respectée dans sa ville natale. Soleïman perd mille fois sa route avant de s'élancer à l'assaut de la haute clôture de fils de fer barbelés, accroché à une échelle de fortune en même temps que 500 pauvres hères, pris entre les tirs de grenades lacrymogènes, les balles réelles et en caoutchouc, les chiens et les matraques des policiers espagnols et marocains. Non seulement, Soleïman réussit à passer, mais il n'abandonne pas son ami Boubakar, infirme d'une jambe. Cette double victoire sur la frontière et sur lui-même fait de son parcours une quête quasi-initiatique.
Un Européen désillusionné
A contrario, la quête du commandant italien est toute dépossession et renoncement.
Car le gardien des côtes européennes qui a sauvé des milliers de vies d'immigrants abandonnés en pleine mer, toujours pour les remettre sagement à la Police, prend un jour conscience de l'inanité de sa tâche. Il décide alors d'abandonner tout ce qui fait sa vie. En 20 ans, il a eu tout le loisir de constater l'invincibilité des migrants et l'irréversibilité des flux migratoires: «Il pensa alors qu'il ne servait à rien. Qu'il repoussait des hommes qui revenaient toujours plus vifs et conquérants. Il repoussait des hommes qu'il enviait chaque jour un peu plus.» Le déclic a lieu le jour où il accepte d'armer une jeune Libanaise, qui, deux ans auparavant, a perdu son bébé au Bord du «Vittoria» , un bateau affrété clandestinement et abandonné en pleine mer sur ordre d'un réseau de passeurs véreux. Lorsque le commandant Piracci le retrouve, une bonne partie des passagers est morte de faim et de soif, dont le bébé de la jeune femme.
Lorsque le commandant donne son arme à la jeune femme pour venger son enfant mort, il franchit à son tour une frontière. A l'intérieur de lui-même. Il ne peut plus supporter de vivre dans cette Europe qui vieillit si mal, indifférente à la misère des autres. «L'eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes», lui dit un inconnu du cimetière de Lampedusa en lui montrant les tombes des clandestins morts en mer.
Massambalo, protecteur
des migrants
A son tour, Piracci n'aspire plus qu'à partir, bien qu'«aucune frontière ne vous laisse passer sereinement, elles blessent toutes», souligne l'auteur. Abandonnant tout ce qu'il possède, l'Italien aborde le continent africain où menant sa quête jusqu'au bout, il va littéralement se dissoudre dans l'air nocturne.
La rencontre entre les deux hommes a lieu à Ghardaïa. Le commandant désillusionné est pris par le jeune Soudanais pour une des ombres de Massambalo, le «dieu» protecteur des émigrés. «Il a des esprits qui voyagent pour lui. On les appelle les ombres de Massambalo. Elles sillonnent le continent. Du Sénégal au Zaïre. De l'Algérie au Bénin. Elles peuvent revêtir différentes formes…» Tout émigré qui rencontre une ombre de Massambalo voit son périple couronné de succès, croient, dur comme fer, les candidats à l'exil. Piracci comprend la méprise du jeune Soudanais mais joue le jeu. «Il repensa alors à sa vie sicilienne. Il avait été tant de fois la malchance pour ceux qu'il croisait. Il se souvenait de ces milliers d'yeux éteints qui se posaient sur lui lorsqu'il interceptait des barques de fortune.(…) Il lui était donné de souffler sur le désir des hommes pour qu'il grandisse. Il avait besoin de cela.» Soleïman est galvanisé par cette rencontre et ses forces décuplées par la foi.
Ecrire la fraternité
Avec une tonalité à la fois distanciée et tendre, le roman de Laurent Gaudé est plein de mouvements, d'images, de sonorités et de senteurs. L'auteur fait saisir à bras le corps la réalité de l'immigration clandestine, mais aussi celle du vieux continent européen, où les êtres semblent vivre d'une vie machinale où plus rien d'imprévu n'arrive.
Les deux destins qui sont décrits en parallèle, légèrement décalés dans le temps, font ressentir l'unité de la condition humaine grâce à l'utilisation identique du «je» pour les deux personnages. L'auteur qui a travaillé son thème à partir de coupures de journaux, livre bien plus qu'un simple reportage.
«La méditation de l'écrivain oscille entre une inquiétude actuelle et des questions atemporelles», déclare l'auteur, né en 1972, qui a déjà à son actif Huit pièces de théâtre et quatre romans. Ayant remporté le prix Goncourt pour «Le soleil des Scorta» en 2004, l'auteur renoue avec une approche des grandes tragédies humaines par le biais d'une plume colorée et vigoureusement fraternelle. «Pour moi, écrire c'est prêter sa voix à l'Afghanistan, à l'Algérie. Je vais au devant des choses qui ne sont pas miennes. C'est évidemment quelque chose qui est plus fort dans le théâtre : ce mouvement d'effacement face à une parole qui est autre», ajoute-t-il au cours d'une interview. Le roman a été édité aux éditions Barzakh en décembre 2007 après avoir été publié par Actes Sud en 2006 en France.
Ce quatrième roman du jeune dramaturge-écrivain parisien, Laurent Gaudé, invite à la réflexion sur la relativité de l'eldorado que chacun porte en soi, comme «la part précieuse du désir». Pour Soleïman, l'eldorado est ce pays bien concret, où il pourra travailler, manger à sa faim et jouir des droits humains garantis par les chartes et institutions internationales.
Le voyage initiatique
L'adolescent est prêt à tout, même à mourir, pour atteindre l'Europe de ses rêves ou plutôt de ceux de son frère aîné qui, malade, le pousse à partir. Il quitte sa mère et sa terre pour une aventure incertaine
«La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici, avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C'est certain et nous le savons tous les deux. Elle sait qu'elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu'elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l'ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage.»
Commence alors pour le jeune Soudanais le voyage de tous les dangers qui le mène à travers les déserts de Libye et d'Algérie jusqu'aux frontières hispano-marocaines de Ceuta. L'enjeu pour lui est autant d'accéder à une nouvelle vie que de préserver la dignité et les principes qui faisaient de lui le fils d'une famille respectée dans sa ville natale. Soleïman perd mille fois sa route avant de s'élancer à l'assaut de la haute clôture de fils de fer barbelés, accroché à une échelle de fortune en même temps que 500 pauvres hères, pris entre les tirs de grenades lacrymogènes, les balles réelles et en caoutchouc, les chiens et les matraques des policiers espagnols et marocains. Non seulement, Soleïman réussit à passer, mais il n'abandonne pas son ami Boubakar, infirme d'une jambe. Cette double victoire sur la frontière et sur lui-même fait de son parcours une quête quasi-initiatique.
Un Européen désillusionné
A contrario, la quête du commandant italien est toute dépossession et renoncement.
Car le gardien des côtes européennes qui a sauvé des milliers de vies d'immigrants abandonnés en pleine mer, toujours pour les remettre sagement à la Police, prend un jour conscience de l'inanité de sa tâche. Il décide alors d'abandonner tout ce qui fait sa vie. En 20 ans, il a eu tout le loisir de constater l'invincibilité des migrants et l'irréversibilité des flux migratoires: «Il pensa alors qu'il ne servait à rien. Qu'il repoussait des hommes qui revenaient toujours plus vifs et conquérants. Il repoussait des hommes qu'il enviait chaque jour un peu plus.» Le déclic a lieu le jour où il accepte d'armer une jeune Libanaise, qui, deux ans auparavant, a perdu son bébé au Bord du «Vittoria» , un bateau affrété clandestinement et abandonné en pleine mer sur ordre d'un réseau de passeurs véreux. Lorsque le commandant Piracci le retrouve, une bonne partie des passagers est morte de faim et de soif, dont le bébé de la jeune femme.
Lorsque le commandant donne son arme à la jeune femme pour venger son enfant mort, il franchit à son tour une frontière. A l'intérieur de lui-même. Il ne peut plus supporter de vivre dans cette Europe qui vieillit si mal, indifférente à la misère des autres. «L'eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes», lui dit un inconnu du cimetière de Lampedusa en lui montrant les tombes des clandestins morts en mer.
Massambalo, protecteur
des migrants
A son tour, Piracci n'aspire plus qu'à partir, bien qu'«aucune frontière ne vous laisse passer sereinement, elles blessent toutes», souligne l'auteur. Abandonnant tout ce qu'il possède, l'Italien aborde le continent africain où menant sa quête jusqu'au bout, il va littéralement se dissoudre dans l'air nocturne.
La rencontre entre les deux hommes a lieu à Ghardaïa. Le commandant désillusionné est pris par le jeune Soudanais pour une des ombres de Massambalo, le «dieu» protecteur des émigrés. «Il a des esprits qui voyagent pour lui. On les appelle les ombres de Massambalo. Elles sillonnent le continent. Du Sénégal au Zaïre. De l'Algérie au Bénin. Elles peuvent revêtir différentes formes…» Tout émigré qui rencontre une ombre de Massambalo voit son périple couronné de succès, croient, dur comme fer, les candidats à l'exil. Piracci comprend la méprise du jeune Soudanais mais joue le jeu. «Il repensa alors à sa vie sicilienne. Il avait été tant de fois la malchance pour ceux qu'il croisait. Il se souvenait de ces milliers d'yeux éteints qui se posaient sur lui lorsqu'il interceptait des barques de fortune.(…) Il lui était donné de souffler sur le désir des hommes pour qu'il grandisse. Il avait besoin de cela.» Soleïman est galvanisé par cette rencontre et ses forces décuplées par la foi.
Ecrire la fraternité
Avec une tonalité à la fois distanciée et tendre, le roman de Laurent Gaudé est plein de mouvements, d'images, de sonorités et de senteurs. L'auteur fait saisir à bras le corps la réalité de l'immigration clandestine, mais aussi celle du vieux continent européen, où les êtres semblent vivre d'une vie machinale où plus rien d'imprévu n'arrive.
Les deux destins qui sont décrits en parallèle, légèrement décalés dans le temps, font ressentir l'unité de la condition humaine grâce à l'utilisation identique du «je» pour les deux personnages. L'auteur qui a travaillé son thème à partir de coupures de journaux, livre bien plus qu'un simple reportage.
«La méditation de l'écrivain oscille entre une inquiétude actuelle et des questions atemporelles», déclare l'auteur, né en 1972, qui a déjà à son actif Huit pièces de théâtre et quatre romans. Ayant remporté le prix Goncourt pour «Le soleil des Scorta» en 2004, l'auteur renoue avec une approche des grandes tragédies humaines par le biais d'une plume colorée et vigoureusement fraternelle. «Pour moi, écrire c'est prêter sa voix à l'Afghanistan, à l'Algérie. Je vais au devant des choses qui ne sont pas miennes. C'est évidemment quelque chose qui est plus fort dans le théâtre : ce mouvement d'effacement face à une parole qui est autre», ajoute-t-il au cours d'une interview. Le roman a été édité aux éditions Barzakh en décembre 2007 après avoir été publié par Actes Sud en 2006 en France.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.