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Il était une fois l'apartheid
«Au plus noir de la nuit» d'André Brink
Publié dans Le Midi Libre le 13 - 11 - 2008

Au moment où le monde perd Miriam Makeba, cette lecture ressuscite les abjections d'un système moribond et féroce qui tentait de broyer les êtres humains. Noirs. Pour ne jamais oublier.
Au moment où le monde perd Miriam Makeba, cette lecture ressuscite les abjections d'un système moribond et féroce qui tentait de broyer les êtres humains. Noirs. Pour ne jamais oublier.
Ce roman de l'écrivain sud-africain André Brink replonge le lecteur dans le système de mise à mort des valeurs humaines, et des humains tout court, créé par les Blancs d'Afrique du Sud et des Etats-Unis et dont le point culminant a été l'officialisation de la ségrégation entre les races par un ensemble de lois iniques, nommé apartheid. Cet arsenal législatif ayant eu comme précédent historique le fameux Code noir du roi Soleil, qui statuait sur la traite des esclaves et le Code de l'indigénat de la France coloniale qui en constituait la suite logique.
Joseph Malan, le héros de ce roman dont le titre original est «Looking on darkness», est jeune, beau, brillant et doué. Comédien de grand talent et amoureux de Shakespeare, il a un magnifique teint de miel, issu de plusieurs générations d'esclaves noires violées par des Blancs, fermiers afrikaners ou étrangers de passage. Ayant quitté son pays après des études artistiques à Johannesburg, il passe de longues années en Angleterre où il devient célèbre. Las de jouer devant un public européen blasé, il décide de rentrer au pays pour y stigmatiser sur scène un système pourrissant. Il rencontre Jessica Thomson, une jeune intellectuelle anglaise de bonne famille. Le coup de foudre entre les deux jeunes gens est réciproque et cette rencontre, banale sous d'autres cieux, ne peut que mener à la mort quand elle a lieu en Afrique du Sud. En attendant d'être pendu dans sa cellule, Joseph Malan, après avoir subi des tortures inimaginables avant son procès, écrit l'histoire de sa famille sur plusieurs générations. Il revit les épisodes souvent brefs et tragiques d'une saga familiale africaine des plus classiques. Esclaves révoltés, battus, lynchés ou chair à canon dans des guerres de Blancs, la chaîne de ses ancêtres se déroule, infiniment brisée. Il retrace également son combat artistique, jouant sur les pauvres places de villages, un Shakespeare régénéré par les souffrances du peuple noir. Enfin, il revit jusqu'à la dernière seconde sa lumineuse relation avec Jessica qu'il a tuée de ses propres mains. Ce choix s'est imposé aux deux jeunes gens traqués par des lois cruelles, conscients tous deux que l'exil n'est jamais une alternative à la répression. Choisissant de mourir, pour mettre un terme à une lignée d'êtres sacrifiés au service des Blancs, Joseph et Jessica choisissent également d'empêcher leur enfant de naître dans un monde insensé. «It's a tale told by an idiot , full of sound and fury , signifying nothing: c'est un conte narré par un débile, plein de bruit et de fureur et sans aucun sens», semble conclure l'auteur très féru de Shakespeare. A l'heure où la planète pleure la disparition de Miriam Makeba dont la vie s'est complètement confondue avec la lutte contre l'atroce système discriminatoire aboli dans les années 1990, il est bon que les jeunes générations redécouvrent ce roman bouleversant de l'écrivain sud-africain, publié en 1974 et traduit de l'anglais par Roberts Fouques- Duparc. A cette même époque, des anecdotes édifiantes circulaient en Algérie, sur les Noirs assassinés en Afrique du Sud de plusieurs coups de poignards dans le dos et que les policiers blancs considéraient comme des cas de suicide et sur ce Noir qui, percuté par la voiture d'un blanc, en traverse le pare-brise, et qui, ensanglanté, est jugé pour effraction et délit de fuite ! C'est ainsi que la vox populi s'offrait un zoom sur un système d'autant plus féroce qu'il était moribond.
André Brink a également écrit : Un instant dans le vent, Rumeurs de pluie, Une saison blanche et sèche (prix Médicis, 1980), Un turbulent silence et Sur un banc du Luxembourg.
K. T.
«Au plus noir de la nuit» d'André Brink
Editions Le cabinet cosmopolite /Stock, 2001, 427 pages.
Ce roman de l'écrivain sud-africain André Brink replonge le lecteur dans le système de mise à mort des valeurs humaines, et des humains tout court, créé par les Blancs d'Afrique du Sud et des Etats-Unis et dont le point culminant a été l'officialisation de la ségrégation entre les races par un ensemble de lois iniques, nommé apartheid. Cet arsenal législatif ayant eu comme précédent historique le fameux Code noir du roi Soleil, qui statuait sur la traite des esclaves et le Code de l'indigénat de la France coloniale qui en constituait la suite logique.
Joseph Malan, le héros de ce roman dont le titre original est «Looking on darkness», est jeune, beau, brillant et doué. Comédien de grand talent et amoureux de Shakespeare, il a un magnifique teint de miel, issu de plusieurs générations d'esclaves noires violées par des Blancs, fermiers afrikaners ou étrangers de passage. Ayant quitté son pays après des études artistiques à Johannesburg, il passe de longues années en Angleterre où il devient célèbre. Las de jouer devant un public européen blasé, il décide de rentrer au pays pour y stigmatiser sur scène un système pourrissant. Il rencontre Jessica Thomson, une jeune intellectuelle anglaise de bonne famille. Le coup de foudre entre les deux jeunes gens est réciproque et cette rencontre, banale sous d'autres cieux, ne peut que mener à la mort quand elle a lieu en Afrique du Sud. En attendant d'être pendu dans sa cellule, Joseph Malan, après avoir subi des tortures inimaginables avant son procès, écrit l'histoire de sa famille sur plusieurs générations. Il revit les épisodes souvent brefs et tragiques d'une saga familiale africaine des plus classiques. Esclaves révoltés, battus, lynchés ou chair à canon dans des guerres de Blancs, la chaîne de ses ancêtres se déroule, infiniment brisée. Il retrace également son combat artistique, jouant sur les pauvres places de villages, un Shakespeare régénéré par les souffrances du peuple noir. Enfin, il revit jusqu'à la dernière seconde sa lumineuse relation avec Jessica qu'il a tuée de ses propres mains. Ce choix s'est imposé aux deux jeunes gens traqués par des lois cruelles, conscients tous deux que l'exil n'est jamais une alternative à la répression. Choisissant de mourir, pour mettre un terme à une lignée d'êtres sacrifiés au service des Blancs, Joseph et Jessica choisissent également d'empêcher leur enfant de naître dans un monde insensé. «It's a tale told by an idiot , full of sound and fury , signifying nothing: c'est un conte narré par un débile, plein de bruit et de fureur et sans aucun sens», semble conclure l'auteur très féru de Shakespeare. A l'heure où la planète pleure la disparition de Miriam Makeba dont la vie s'est complètement confondue avec la lutte contre l'atroce système discriminatoire aboli dans les années 1990, il est bon que les jeunes générations redécouvrent ce roman bouleversant de l'écrivain sud-africain, publié en 1974 et traduit de l'anglais par Roberts Fouques- Duparc. A cette même époque, des anecdotes édifiantes circulaient en Algérie, sur les Noirs assassinés en Afrique du Sud de plusieurs coups de poignards dans le dos et que les policiers blancs considéraient comme des cas de suicide et sur ce Noir qui, percuté par la voiture d'un blanc, en traverse le pare-brise, et qui, ensanglanté, est jugé pour effraction et délit de fuite ! C'est ainsi que la vox populi s'offrait un zoom sur un système d'autant plus féroce qu'il était moribond.
André Brink a également écrit : Un instant dans le vent, Rumeurs de pluie, Une saison blanche et sèche (prix Médicis, 1980), Un turbulent silence et Sur un banc du Luxembourg.
K. T.
«Au plus noir de la nuit» d'André Brink
Editions Le cabinet cosmopolite /Stock, 2001, 427 pages.


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