Il est des évènements qui ne deviennent perceptibles que lorsqu'ils éclatent au grand jour. Peu de gens les voient arriver. Pourtant, en tendant bien sa pensée, si l'on sait déchiffrer les grimoires ésotériques qui racontent les jours de joie et de mort, les combats épiques des purs, nous pourrions entendre un bruit qui se lève, de loin en loin, comme le grondement lointain d'un orage qui s'annonce. Et si nous savons lire les ruisseaux, et écouter le bruit des gouttes de pluie qui se font plus rapprochées, plus insistantes, nous portons alors nos yeux sur l'horizon, lorsque les aurores se teintent de feu, puis….. Je veux chanter ces ruisseaux insignifiants, qui murmurent doucement leur rêve obstiné de rejoindre l'immensité, qui sinuent timidement dans la rocaille, et qui sacrifient de leur propre essence à la terre aride qu'ils caressent de leur prompt passage, et qui les aspire goulûment vers les graines de vie qui végètent en son sein. Puis, subitement, au milieu de la désespérance des jours, sans que rien ne le prédise, si ce n'est la sagesse du sage qui connait l'âme des rus, le vieil oued renaît miraculeusement. Monstrueusement gonflé par une force dévastatrice, il déborde de son propre lit, il franchit la colline pelée où s'amoncelaient les immondices des hommes, les éparpillant au ciel, comme autant d'oiseaux effarouchés, et déferle sur la plaine aride, où ne pousse plus que le chardon cruel. Et c'est alors que les hommes, qui avaient oublié le bruit de la colère, dont les méandres de la pensée s'étaient perdus dans d'indignes cloaques, où rien ne vit si ce n'est la puanteur de leurs propres miasmes, ces hommes se figent dans la stupeur. Une immensité de fureur, surplombée de tonnerre, charriant devant elle jusqu'à la terre qui étreignait le chardon, dévale la colline pelée, l'engloutissant toute entière, et déferle sur la plaine qui s'offrait, frémissante de désir. L'oued était revenu de sa longue absence. Il fond sur les digues qui l'avaient détourné de son cours millénaire, les faisant voler en éclats, fracassant tout sur son passage, sans discernement. Car ce tumulte et cette force ne sont guidés que par sa colère, trop longtemps retenue. C'est la justice en marche, une force irraisonnée dont l'aboutissement sont la dévastation et la mort. Tous les ouvrages des âmes viles s'effondrèrent, les uns après les autres. Pour que renaisse la dignité de vivre. Et soudain, aussi soudainement qu'il était venu, le fleuve se retire, dans une lente aspiration, comme un fouet monstrueux qui s'en retourne après avoir sévi. Il retrouve son lit, et des vaguelettes attardées viennent clapoter doucement sur les rives trop longtemps esseulées. Le fleuve, apaisé, que l'orage et les ruisseaux avaient rendu à sa nature vraie, vogue désormais vers son rêve d »immensité. La seule qui soit digne de lui. La vie est revenue ! Et les voix égayées des enfants, qui seuls connaissent l »allégresse profonde, résonnent de loin en loin, comme une annonce heureuse. Et la pensée des hommes refleurit sur les alluvions nouveaux, en autant de coquelicots écarlates, et qui faisaient songer au sang des purs.