La fin de la seconde guerre mondiale fut le début d'une nouvelle ère, celle de la décolonisation. Les peuples d'Afrique et d'Asie, contrairement à ceux d'Amérique latine, et à l'exception de l'Afrique du Sud, se séparèrent définitivement de leurs anciens colonisateurs sans que persiste une population d'origine européenne, et se lancèrent, l'un après l'autre, dans l'édification de l'Etat national. Dans le monde arabe, l'Algérie fut le pays qui paya le plus lourd tribut afin de restaurer la souveraineté nationale. Dans la plupart de ces pays, les années 60 et 70 furent celles de la mise en place et du renforcement de dictatures militaires qui, sous couvert de modernisation, aboutirent à la mainmise sur tous les rouages de l'Etat d'une caste militaro-bureaucratique issue de l'armée et de l'appareil du parti unique. L'Algérie, la Libye, l'Egypte, le Soudan, la Syrie et l'Irak se transformèrent ainsi en immenses prisons gardées par une police politique féroce. Partout, les leaders civils du combat pour l'indépendance furent progressivement marginalisés ou liquidés physiquement et le cercle du pouvoir réel se rétrécit comme une peau de chagrin. Partout, un colonel ou un général, za3im autoproclamé idéologue en chef et père de la nation, se fit acclamer par des foules tétanisées et infantilisées et ses portraits, statues et écrits envahirent les moindres recoins de l'espace public. Son bras tendu montrait des horizons de progrès et de prospérité. Il veillait sur tout. Tant qu'il était vivant, nul n'avait le droit de se préoccuper de quoi que ce soit. Caricature hideuse ayant pour noms «démocratie populaire» et «socialisme spécifique». L'échec de ces régimes policiers aux prétentions modernistes ou socialistes fut partout le même. La répression aussi. Qui ne se souvient des dizaines de milliers de morts de Hama dans la Syrie de Hafez el Assad et des milliers de gazés kurdes dans l'Irak de Saddam Hussein. Partout, l'adversaire de gauche ou de droite fut taxé de traitre à la nation et son sang devint licite pour ses bourreaux. Dans le reste des Etats arabes, des familles royales et des émirs coupés de la réalité du monde moderne continuèrent à gérer leurs pays comme une propriété privée, demandant à leurs sujets une soumission absolue au nom d'un islam soigneusement expurgé de tous ses commandements en faveur de la justice sociale et travesti dans le sens de leurs intérêts étroits. La dictature mise en place dans notre pays par le couple Ben-Bella Boumedienne en 1962 ne fut pas en reste. Après une phase ascendante caractérisée par l'absence totale de démocratie, la peur, la soumission des masses à une caste bureaucratique, le mépris, le mensonge, le manque de discernement face aux réalités économiques et sociales, la crise de 1985 révéla toutes les limites du système militaro-bureaucratique qui, sous couvert de socialisme, permit l'émergence d'une classe pseudo-bourgeoise dont la seule ambition était de jouir de la vie sans limites en puisant dans les caisses de l'Etat. Cette classe parasitaire fut incapable de construire la République démocratique et sociale dans le cadre des principes islamiques voulue par les combattants de la guerre de libération. Elle ne réussit pas à fédérer tous les Algériens autour du projet de modernisation dont elle se voulait le chef de file. Cette évolution ayant abouti à l'échec total se retrouve dans tous les pays arabes cités auparavant avec, dans le cas de l'Irak, une guerre meurtrière contre l'Iran, un embargo qui a mis le pays à genoux et, finalement, l'occupation du pays par des puissances étrangères. L'Algérie a également connu une guerre civile dévastatrice et meurtrière dont les effets se font encore sentir. Les dictatures militaires ont partout mené à la ruine économique et à la mise en place au sein de la société de fractures difficiles à combler. L'échec du projet moderniste mené par les dictatures ayant pris en main les destinées des pays arabes dans les années 50 et 60 est donc patent. Quelles sont les alternatives aujourd'hui? La réaction à la duplicité des classes pseudo-bourgeoises parasitaires qui dirigent ces pays s'est exprimée dans une adhésion massive des couches défavorisées aux thèses du courant islamiste, dont les précurseurs furent les Egyptiens Hassan el Banna et Sayyid Qotb. Ce courant, qui préconise la solution islamique – mise en place d'un Etat islamique et application immédiate de la chariaa – représente indéniablement une force au Maroc, en Algérie, en Egypte et au Soudan. Dans les autres pays – Tunisie, Libye, Syrie, entre autres – seule la répression brutale de toute forme d'expression de ce courant le maintient à l'état d'idéologie diffuse mais non moins présente. Le courant moderniste démocrate qui s'oppose aux régimes militaires dictatoriaux, effrayé par la montée fulgurante et les succès électoraux du courant islamiste, a choisi dans sa majorité de soutenir l'armée et ses dirigeants corrompus, dans l'espoir de garder un pied à l'étrier et de ne pas disparaître totalement du paysage politique. Un face-à-face violent pouvoir-islamistes est-il inévitable en l'état actuel des choses? N'y a-t-il pas une autre voie, celle du compromis? Les positions des uns et des autres ne peuvent-elles pas évoluer vers un consensus qui préserverait la paix sociale et permettrait aux Algériennes et aux Algériens de participer à la construction de leur pays dans la sérénité? Le régime issu du coup de force de 1962 est à l'agonie. Il est condamné car il n'a rien à proposer aux Algériens, si ce n'est la médiocrité et la corruption. Qu'ils soient militaires ou civils, ceux qui tiennent les rênes du pouvoir, en plus d'être âgés et malades, sont en fin de course. Ils ont épuisé tous les moyens légaux et illégaux afin de maintenir le peuple sous leur tutelle. La fin est proche et inévitable. C'est à eux de savoir s'ils veulent céder la place pacifiquement ou être emportés par une tempête. Il y a cependant des hommes et des femmes compétents et honnêtes dans les rouages de l'Etat ou qui ont participé à la vie politique au plus haut niveau à un moment donné mais qui se complaisent dans l'expectative. Ces hommes et ces femmes portent une lourde responsabilité devant l'histoire car le peuple algérien ne leur pardonnera jamais d'avoir laissé la situation pourrir sans lever le petit doigt. A nous qui avons opté pour le changement pacifique à travers l'éveil des consciences, échoit également la responsabilité de trouver un terrain d'entente entre modernistes et islamistes, afin d'aboutir à un consensus qui soit une synthèse des deux. La décennie rouge, avec son cortège de massacres et de disparitions, nous a montré que la solution n'est pas dans l'affrontement. La seule solution qui soit en mesure de préserver la souveraineté et l'intégrité de notre pays tout en assurant une vie digne à la majorité des Algériennes et Algériens est celle de la négociation et du compromis. Ce compromis ne peut se faire qu'entre ceux qui aiment sincèrement le peuple algérien dans sa diversité. En sont exclus d'office ceux qui s'accrochent au pouvoir et refusent de s'en aller malgré leur faillite ainsi que tous les bourreaux.