Le Soir d'Algérie, 23 mai 2010 Le ministre de l'Energie et des Mines a nié être au courant des malversations qui ont provoqué la série de scandales à la Sonatrach. Pourtant, au regard de la législation et de la réglementation algériennes, le ministre de l'Energie et des Mines est considéré comme le principal gestionnaire et administrateur de la compagnie pétrolière. Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – Depuis l'éclatement de ce qui est communément appelé le scandale Sonatrach, le ministre de l'Energie et des Mines n'a pas cessé de rejeter toute responsabilité. «En tant que ministre, je gère tout le secteur de l'énergie et des mines et je m'occupe de sa politique et de son application ainsi que du contrôle. Je ne gère pas Sonatrach, ni Sonelgaz ou les autres entreprises relevant du secteur, qui en compte plus d'une cinquantaine. Je suis le ministre du secteur de l'énergie et des mines», avait lancé Chakib Khelil aux journalistes, quelques jours après la présentation devant le juge d'instruction près le tribunal de Sidi- M'hamed du P-dg de la Sonatrach et de certains membres du staff dirigeant de la compagnie pétrolière. À travers les propos de Khelil, l'opinion publique est censée comprendre qu'il n'est au courant de rien et, par conséquent, qu'il ne saurait être responsable vis-à-vis de la loi. Mais si l'on s'en tient à la législation en vigueur, on constate que le ministre de l'Energie et des Mines gère et contrôle activement les activités de cette société. Pour mieux comprendre cette situation, il est nécessaire de revenir sur les statuts de la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures, Sonatrach. Créée le 31 décembre 1963, la Sonatrach a vu ses statuts modifiés à trois reprises par décrets présidentiels. Celui en cours actuellement a été pris le 11 février 1998 par le président Liamine Zeroual. Il est important de préciser que cette modification visait à mettre en adéquation les statuts de la Sonatrach suite à la création, en avril 1995, du Conseil national de l'énergie. La preuve par décret Le chapitre III du décret du 11 février 1998 est consacré à «l'organisation et au fonctionnement des organes». Ainsi, la Sonatrach a été doté de trois organes : l'assemblée générale, le conseil d'administration et le président-directeur général. «L'assemblée générale est composée des représentants de l'Etat, à savoir : le ministre chargé des hydrocarbures, le ministre des Finances, le responsable de l'autorité en charge de la planification, le gouverneur de la Banque d'Algérie, un représentant de la présidence de la République. Elle est présidée par le ministre chargé des hydrocarbures», stipule l'article 9.1 de ce décret. L'article suivant définit clairement les missions de cette instance : «L'assemblée générale statue sur les matières suivantes : les programmes généraux d'activités, les rapports des commissaires aux comptes, le bilan social et les comptes de résultats, l'affectation des résultats, l'augmentation et la réduction du capital social, les créations de sociétés en Algérie et à l'étranger, la désignation des commissaires aux comptes, les propositions de modifications de statuts.» Ces deux articles suffiraient à battre en brèche les arguments avancés par Chakib Khelil face aux médias. Ce n'est pas tout. L'article 9.3 précise que l'assemblée générale est tenue de se réunir «au moins deux fois par an en session ordinaire» et en «session extraordinaire à l'initiative de son président ou à la demande d'au moins trois de ses membres, du ou des commissaires aux comptes ou du présidentdirecteur général (de la Sonatrach)». Au terme de chaque session, l'assemblée générale est tenue d'adresser son rapport au président du Conseil national de l'énergie. Et c'est justement là que les choses se compliquent. Ce conseil — qui est l'instance suprême en matière d'élaboration, de mise en œuvre et de contrôle de la politique énergétique de l'Algérie — ne s'est pas réuni depuis l'arrivée au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika (voir Le Soir d'Algérie du 9 février 2010). Accumulation de pouvoirs Sans contrôle, Chakib Khelil a eu les coudées franches pour gérer, comme il le souhaitait, le secteur des hydrocarbures en général et la Sonatrach en particulier. Et son pouvoir sera illimité entre le 27 février 2001 et le 7 mai 2003. Durant cette longue période, Abdelaziz Bouteflika avait nommé le ministre de l'Energie et des Mines en qualité de… président-directeur général par intérim de la Sonatrach. Une accumulation de pouvoirs qui lui a permis de contrôler les trois organes de la compagnie pétrolière : l'assemblée générale (en qualité de ministre de l'Energie) et, de fait, le conseil d'administration et le président-directeur général. On pourrait également rajouter le poste de secrétaire général du Conseil national de l'énergie, bien que celui-ci ait été gelé. Mais Chakib Khelil était-il seul à savoir ? Assurément non. Il suffit de revenir à l'article 9.1 du décret présidentiel portant statuts de la Sonatrach pour constater que le ministre des Finances, le responsable de la planification, le gouverneur de la Banque d'Algérie, les commissaires aux comptes et le président de la République, à travers son représentant, sont censés être au courant avec précision des préjudices subis par la compagnie pétrolière. Aussi est-il important de rappeler que le président de la République avait apporté, le 13 septembre 2000, une «légère» modification au décret portant statuts de la Sonatrach. L'amendement, qui concerne exclusivement les aliénas 2 et 5 de l'article 11, stipule que «les vice-présidents et les directeurs généraux adjoints sont nommés par décret présidentiel» au même titre que le président-directeur général de la compagnie. Mais en 2010, ce sont justement les hommes nommés par le chef de l'Etat qui sont impliqués dans le scandale de la Sonatrach.