Par : DJAZIA SAFTA, Liberté, 5 août 2010 Une chaleur étouffante, une odeur nauséabonde et permanente, une promiscuité insupportable et l'eau des sanitaires qui coule de partout, c'est la triste réalité à laquelle sont confrontées, au quotidien, les familles non relogées de Fontaine fraîche, à Bab El-Oued (Alger). Cela fait 20 jours que ces malheureux sont livrés à eux-mêmes, après que les autorités locales eurent démoli leurs maisons, dans le cadre d'une opération de relogement dont ils devaient bénéficier. Hier, lors d'une virée sur les lieux, ces familles, qui se sont retrouvées à la rue après avoir reçu les félicitations des responsables en leur qualité d'“heureux bénéficiaires” de logements sociaux, étaient encore dans les caves de la nouvelle cité Boucheraye, à Oued Koriche. Des draps et des couvertures font office de murs et de portes, seul moyen de s'assurer un semblant d'intimité. Des meubles traînaient partout, dans les caves et devant les entrées des immeubles. Il est 11h à notre arrivée. Tout le monde est dehors : hommes, femmes, jeunes et vieux sont éparpillés un peu partout, à la recherche de fraîcheur. Les enfants jouaient à la dînette ou à la poupée et semblaient trouver de la joie sur les bords de la route. Ces personnes manquent du minimum de confort, à savoir les sanitaires. Informés de notre présence, tous accourent, chacun cherchant à extérioriser sa colère et sa frustration. Une fois le calme revenu, l'un des habitants prend la parole et raconte : “L'opération de relogement qui nous touche est une opération de tiroir, elle remonte à la fin des années 80. Nous sommes les sinistrés de La Casbah et nous habitons les lieux depuis 1955. Nous habitions des maisons coloniales et non des bidonvilles. Au départ, notre dossier de relogement était géré à part, et celui des bidonvilles était un autre dossier. Nous ne savons toujours pas comment nous avons été tous mis ensemble.” Il ajoute : “Ce que je ne comprends pas est que certaines familles ont eu plus d'un logement et d'autres rien.” Un autre se dit “indigné” de la façon dont les autorités locales les ont traités. “Ne sommes-nous pas des Algériens pour qu'on nous traite de la sorte ? Je suis un retraité de l'armée et je suis le seul de mes frères qui n'a rien. Comment expliquez-vous cela ?” interroge-t-il. La doyenne des “habitants des caves”, âgée de 90 ans, affaiblie par l'âge et la maladie, assise sur la peau d'un mouton, dira : “Je suis née à Fontaine fraîche et, aujourd'hui, on vient me mettre à la porte sous prétexte que je ne suis pas de la région. Nous avons des documents qui prouvent que nous sommes d'ici.” Intervenant à son tour, un autre répond aux autorités qui affirment que les familles non relogées ont des biens immobiliers ailleurs. “Où sont ces maisons ?” s'écrie-t-il. “Si nous avions un toit où nous abriter, croyez-vous vraiment que nous resterions dans cette misère ?” interroge-t-il encore, avant de revenir sur leur mésaventure d'il y a vingt jours : “Nous avons été délogés de nuit, après que nous eûmes reçu l'heureuse nouvelle de notre relogement imminent, mais à notre arrivée aux Eucalyptus, nous eûmes la mauvaise surprise de constater que nos noms ne figuraient plus dans les liste des bénéficiaires.” Cette version est répétée par tous les habitants qui disent mettre au défi l'administration de leur fournir les preuves qu'ils ont des biens ailleurs. Ce qui s'est passé après ? L'un des jeunes témoigne qu'“après avoir appris la triste nouvelle, un de nos voisins s'est mutilé avec du verre. Voyant la scène, les policiers présents sur place lui ont tiré dessus. Se rendant compte de leur bourde et pour étouffer l'affaire, les autorités ont accordé un logement à sa mère”. Afin de connaître les raisons qui ont fait que ses familles se trouvent exclues des listes des bénéficiaires de logements sociaux, nous nous sommes rendus à la daïra de Bab El-Oued pour rencontrer le wali délégué. Sur place, l'on apprendra qu'il est en congé et que son adjoint est absent. Nos tentatives de joindre les responsables au téléphone n'ont pas abouti. Le dossier reste ouvert et les habitants de Fontaine fraîche risquent de devoir passer le Ramadhan dans leurs logis de fortune.