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L'heure est au bilan
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 21 - 12 - 2010


Mohamed Djaâfar
La crise actuelle n'est pas une crise financière (au fait, elle ne l'a jamais été) mais plutôt institutionnelle et revêt essentiellement deux formes ; une crise de confiance dans les institutions et les gouvernants du pays, et une crise identitaire qui se traduit par une totale absence de repères pour la génération post-indépendance, en proie à un malaise profond dû au sentiment d'impuissance à influer sur le cours de l'histoire en tant qu'acteur dans le processus de définition du projet de construction d'un pays démocratique.
L'arrivée du président Bouteflika avait suscité en son temps beaucoup d'espoir chez nos concitoyens, en proie à une crise multidimensionnelle qui a plongé le pays dans un marasme indescriptible qui a failli l'entraîner vers le chaos. Cet espoir était mû par le désir profond des Algériens de dépasser enfin la crise pour s'engager définitivement dans la voie du renouveau politique et économique que décrivait le candidat président dans son programme.Les réalisations sont certes nombreuses, mais force est de reconnaître qu'elles ne sont pas à la hauteur des espoirs qu'elles ont suscités,peut-être parce que les aspirations sont aujourd'hui importantes et pressantes. Aussi, notre propos ici n'est pas de disserter sur les réalisations économiques, mais plutôt de revenir sur le volet le plus important du projet, à savoir la chose politique, notamment dans ses aspects liés au respect de la Constitution, à l'alternance au pouvoir, à la protection des valeurs qui fondent cette nation, autant de points inscrits dans le projet du candidat président, mais qui demeurent cependant des vœux pieux, éloignant d'autant l'échéance de la véritable réconciliation des
Algériens avec leur histoire et leurs aspirations.
A travers ce papier, l'idée est de proposer une grille de lecture de la crise actuelle telle que beaucoup de gens la perçoivent, en finissant notre modeste contribution en émettant un certain nombre de réflexions qui pourraient participer au débat toujours d'actualité relatif au projet de société que nous voulons instaurer dans ce pays.Beaucoup a été dit et écrit sur les causes et les conséquences de cette crise, dont les effets se font ressentir jusqu'à nos jours, tant sur le quotidien du citoyen que sur l'ensemble des institutions du pays qui peinent à trouver leurs marques en continuant à véhiculer un projet que la plupart des Algériens ont massivement rejeté. En fait, la crise ne date pas des derniers événements connus par le pays, mais remonte à l'indépendance du pays, voire avant, et est née de la conjugaison de nombreux facteurs liés d'une part à la résurgence à partir de 1962 de la diversité (des contradictions) du mouvement politique national, et des choix politico-économiques imposés au lendemain de l'indépendance, des facteurs dont la combinaison a eu des conséquences incalculables, quoique prévisibles, sur la stabilité politique du pays, et sur son développement économique.
La révolution a réussi à réunir tout le monde sous la même bannière, mais cet élan-accord ne pouvait s'éterniser. Il était illusoire de croire d'ailleurs que le mouvement politique allait disparaître pour se fondre dans le parti FLN-ALN, dont les animateurs ont fait preuve d'un myopie politique en occultant des siècles d'histoire, en foulant aux pieds le combat mené par les partis politiques depuis la création de l'Etoile nord-africaine et de tourner le dos aux sacrifices immenses consentis au fil de l'histoire par le peuple algérien pour se réapproprier un pays, unehistoire et un devenir que nos valeureux chouhada ont rêvé beau et foncièrement tourné vers les valeurs de l'Islam, de progrès et de modernité.
Le résultat de ces années d'atermoiements et d'immaturité a été que le peuple algérien se détourne de la politique, cédant dangereusement la voie à des personnes qui ne sont pas forcément désintéressées (opportunistes de tous bords, aventuriers prônant l'islamisation de la société, etc.). Les événements des années 80/90 ne sont d'ailleurs que la preuve tangible, malheureusement dramatique, de ce que le système politique a produit d'abject et de monstrueux en envoyant à la mort (en les laissant s'entretuer) des centaines de milliers de jeunes pour la plupart, dont le seul tort a été pour beaucoup de rêver d'un pays différent de celui qui leur était proposé, dévoilant ainsi aux yeux du monde entier la fragilité du pays.
Aujourd'hui, les attentes sont immenses, et les modèles politico-économiques adoptés ont montré leurs limites en étant incapables d'assurer au pays le décollage souhaité, alors que, paradoxalement, les caisses de l'Etat sont pleines.
Cela nous amène à penser que la crise actuelle n'est pas une crise financière (au fait, elle ne l'a jamais été) mais plutôt institutionnelle et revêt essentiellement deux formes ; une crise de confiance dans les institutions et les gouvernants du pays, et une crise identitaire qui se traduit par une totale absence de repères pour la génération post-indépendance, en proie à un malaise profond dû au sentiment d'impuissance à influer sur le cours de l'histoire en tant qu'acteur dans le processus de définition du projet de construction d'un pays démocratique.
Précisément, ce sont les réponses apportées à ces deux crises qui détermineront le sens qui sera donné à notre avenir, et qui fondent en grande partie le système politico-économique qui permettra aux institutions de ce pays d'avancer en sortant de la logique actuelle, et de l'immobilisme qui les caractérise. Je lisais dernièrement une citation du président Clinton qui disait en substance : «A chaque génération, les Américains doivent définir ce que veut dire ‘‘être Américain''.» J'ai trouvé cette formule très intéressante, en faisant le parallèle avec ce qui se passe chez nous entre la génération de la Révolution et la génération post-indépendance.
Elle pourrait constituer, en effet, un début de réponse aux interrogations sus-visées.
La réponse à ces interrogations requiert cependant une dose de courage politique qui transcende les clivages conjoncturels et momentanés, les égoïsmes ataviques du personnel politique actuel pour définir un projet suffisamment large dans sa vision pour être rassembleur autour de la réalisation d'objectifs communs, un projet qui met les valeurs et l'intérêt du pays au-dessus de tout autre considération et capable de mettre le pays à l'abri de crises politiques majeures susceptibles de mettre sa sécurité et sa pérennité en danger.
Ce projet ne peut être à toutes les compétences nationales ou étrangères intègres, passées ou présentes, où qu'elles existent, et quelle que soit leur couleur politique ou leur appartenance géographique, ou confessionnelle, défini qu'en Algérie et entre Algériens, en faisant appel et qui acceptent volontiers de travailler ensemble pour proposer une charte ou un pacte politique commun, ou une nouvelle Constitution qui s'inspire des valeurs de patriotisme, de démocratie, des droits de l'homme, de solidarité dans lesquelles la nation reconnaît le socle commun qui fonde son identité et sa civilisation, et pour lequel elle adhère. Cette charte doit définir clairement le projet à bâtir, les valeurs à préserver et les lignes rouges à ne pas approcher, en un mot, un projet qui tire sa substance de l'histoire millénaire de ce pays et des nombreux défis qui l'attendent (modernisation, progrès).
Ce document doit également définir le rôle et les missions de l'ensemble des institutions du pays et des mécanismes de contrôle qui s'appliquent. Ces règles du jeu, une fois définies, seront traduites dans des textes de loi et s'appliqueront avec toute la rigueur nécessaire, et le jeu politique sera en définitive la traduction de la capacité de la classe politique algérienne à proposer au choix des électeurs le meilleur modèle socio-économique et culturel dans lequel les Algériens pourront s'épanouir et prospérer, un modèle socio-économique fondé sur le génie créateur de ce peuple à mettre en mouvement ses connaissances et son savoir-faire avec les ressources dont il dispose.
Une Algérie forte ne peut négliger les aspirations de ces concitoyens : l'amélioration de la condition des démunis, les soins et la prise en charge matérielle des personnes âgées, l'éducation de la jeunesse, l'enseignement de l'histoire et des sciences au sens large, y compris les sciences religieuses, autant d'éléments qui permettront à cette nation de se développer économiquement tout en préservant et enrichissant son patrimoine scientifique et culturel. La richesse n'est qu'un moyen, dont la population est une fin, car cette richesse doit justement servir à augmenter les chances offertes à cette population, notamment à la frange constituée des jeunes universitaires qui doivent avoir la possibilité d'exercer leurs talents.
C'est en protégeant son capital intellectuel que le pays augmente sa puissance et ses capacités de défense. S'il est vrai que la nation est née dans la douleur, au terme d'un long combat libérateur mené par l'ensemble du peuple, sans exclusion aucune, un combat fondateur d'une nation et porteur de messages très forts empreints de liberté et de grandeur, cette même nation est capable aujourd'hui de se prendre en charge pour mener un combat fédérateur autour de la construction d'un pays digne des rêves fous des combattants de la liberté. Dans notre histoire récente, des exemples existent concernant la rupture avec le mode de gestion ancien (constitution du groupe des 22), Révolution de 54 et les sacrifices consentis depuis l'indépendance par les hommes et les femmes de ce pays dans leur œuvre d'édification.
Les Algériens sont fiers de leur pays et sont en mesure d'assumer le bilan des 50 dernières années, en acceptant les succès comme les échecs, comme le résultat des expériences passées et autant de repères dans la construction de leur jeune nation. Aujourd'hui, l'heure est au bilan, où tout ce qui a été fait et entrepris doit être analysé, disséqué à l'effet de comprendre les motivations profondes derrière les choix politico- économiques adoptés et d'identifier les facteurs réels ou supposés de la faillite du système qui les sous-tend. Aussi, notre propos n'est pas de vouloir porter un jugement de valeur, car nous sommes profondément convaincus que quelles que soient les réalisations effectuées, elles sont immenses dans un pays libre.
Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger si nous avons assez fait pour mériter ce pays, pour lui donner le rang qu'il mérite et surtout si le legs qui sera laissé aux générations futures est assez fort pour leur permettre de vivre en paix et en harmonie, et de nous poser la question, au fond de nous-mêmes, si nous nous considérons les dignes successeurs de la génération de Novembre, et les gardiens de l'héritage qu'elle nous a légué. Il nous arrive souvent de penser que l'Algérie n'est pas à l'abri d'une implosion sociale, car les changements tant attendus tardent à venir, tant sur le plan politique où le système actuel a montré ses limites en réussissant à provoquer des fissures dans la maison Algérie, que sur le plan économique où le décollage n'est pas encore au rendez-vous. Il est peut-être temps pour la génération actuelle de réfléchir à la meilleure façon «d'être Algérien».
Mohamed Djaâfar (financier)


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