La candidature aux prochaines présidentielles, de Saïd Bouteflika était un secret de polichinelle pour tous les initiés du sérail. Autant dire pour tout le monde. Puisque maintenant, le régime algérien est devenu l'un des plus transparents du monde, en ce sens que sa nature s'est propagée à de très larges cercles. Comme se propage une maladie infectieuse. Trop d'argent à subtiliser, à distribuer, trop de clients, de parents, de charognards, trop de complices, de receleurs, trop d'appétits béants, de chiyatines, et de kafzines en tout genre. Il n'était plus possible de garder le moindre secret. Un foire où les larrons sont plus nombreux que les chalands. Le shéma classique de la dictature avec un premier cercle, très restreint, étanche, réservé à un petit groupe d'initiés, entouré d'autres cercles, concentriques, qui disposaient d'autant moins d'informations et de rente qu'ils s'éloignaient du centre, était désormais révolu. On était rentré dans la phase khalouta. En 2005, lorsque j'avais évoqué des discussions sur la candidature de Saïd Bouteflika u sein des « décideurs », j'avais été presque tourné en ridicule. L'Algérie est bien une doulète Mickey, m'avait-on confirmé, mais ce n'est pas n'importe quelle oligarchie loukoum. Une dynastie ? Non mais… L'idée d'une dynastie Bouteflika était tout à fait fait exclue, m'avait-on opposé, y compris par Bouteflika lui-même, puisque lui, mieux que quiconque, connaissait les règles. La meilleure preuve, selon mes contradicteurs, s'exprimait dans la voracité des frères Boutef, et tout particulièrement chez le dauphin, Saïd, qui était passé, en l'espace de quelques mois, du stade de l'obscur enseignant, avant que son frère devienne président, à celui de courtier international dans de très gros marchés financiers en tout genre, y compris ceux de l'armement, de la téléphonie, du pétrole, et autres grosses mannes. S'il avait la moindre ambition présidentielle, me disait-on, il se serait prémuni, il ne se serait pas vautré dans la corruption la plus débridée, comme celle des affaires Khalifa, BRC, Djezzy, et autres. Il n'aurait pas été aussi bête pour donner à ses adversaires le bâton pour le battre, puisque maintenant, à cause de son avidité, il est devenu l'acteur le plus vulnérable du sérail. Si ses adversaires organisaient demain une fuite organisée de « révélations » sur lui, comme ils le font d'habitude, il lui faudrait dix générations pour gommer son nom de l'infamie qui s'abattrait sur lui, parce que les Algériens lambda sont très loin d'imaginer l'ampleur de ses « petites » affaires ». Il est vrai que ces arguments avaient quelque peu ébranlé la confiance que j'avais en mes chers confidents, qui m'avaient assuré que cette option était déjà en discussion au sein du premier cercle. Mais les informations confidentielles allaient devenir une grosse rumeur. Il semble même que cette histoire ait occupé, pendant des mois, l'essentiel des rivalités entre les deux clans principaux. En plus de la lutte pour le partage de la rente, en plus des interférences étrangères, en plus de l'affaire de l'AQMI, du Sahel, de l'AFRICOM, de la base américaine au Sahara, de la crise qui a abouti par le départ du général Mohamed Lamari et tant d'autres affaires qui viendront salir les pages de l'histoire de notre pays. Et donc, nous n'avions pas plus de possibilités que de continuer à spéculer, à fantasmer et à radoter, sur des sujets qui étaient notoires sans être avérés, que n'importe qui connaissait, parfois dans leurs petits détails, sans que cela soit sérieux, de la plus timide façon. Et encore plus tabous pour une presse qui ne réagissait qu'à l'injonction, à un niveau de compromission honteux, pour le moins. Mais ces sujets, dont Monsieur tout le monde parlait librement dans la rue, étaient tout aussi tabous pour ces formations qui ont pour nom « partis politiques », et qui eux-mêmes, aussi opposés, se disent-ils, au pouvoir, n'en fonctionnaient pas moins à la « sollicitation ». Pas question donc, serait-ce pour le plus frondeur d'entre-eux, d'évoquer seulement cette affaire. Il fallait qu'ils attendent que le premier cercle décide de ce qui devait être, pour être autorisé à en parler. Et, soudainement, de la même manière qu'on commet une effraction, voilà que deux représentants de ces deux satellites du pouvoir, un journal et un parti, s'engouffrent sur la place publique pour nous faire savoir, sans plus de façon, que Saïd Bouteflika, ce fameux frère du président, mais néanmoins aussi, sinon plus fort que ce même président, va être candidat aux présidentielles. Et donc, un parti politique bidon, parmi quelques nombreux autres qui ne sont là que pour lécher ce qui tombe de la mangeoire, un certain RCN( Rassemblement pour la Concorde Nationale), qui n'est pas agréé, mais qui a le droit d'activer(sic), annonce qu'il va soutenir la candidature de Saïd Bouteflika pour les prochaines élections présidentielles. Il affirme même qu'il a déjà récolté 800 000 signatures de soutien, avant même que cette candidature soit confirmée, ni même annoncée. Et curieusement, ses propos sont repris, à la Une, par Algéria News, un journal dont le directeur n'est pas tombé de la dernière pluie, et qui connait très bien les arcanes du pouvoir, et ses règles. Puis, dès le lendemain, tout ce beau monde dénonce ce qu'il a lui même annoncé. Le président de ce parti de pacotille déclare lui-même qu'il est un affabulateur, et qu'il a tout inventé, et le journal qu'il a été trompé par un mythomane. Sans autre forme de procès. C'est un vrai film comique. Il n'y a décidément plus de limite à l'enlisement de notre pays, dans des cloaques de plus en plus encombrés, et de plus en plus répugnants. Il n'y a plus de limite, parce que ce régime d'incultes et de bandits est tombé dans la pire des extrémités, celle qui consiste à considerer tout un peuple comme une masse imbécile, sans aucune capacité de réaction, quelle que soit l'humiliation qu'elle puisse subir. Et même plus que cela, ce régime en est arrivé à un point où il ne tente même plus de sauvegarder un tant soit peu de sérieux, serait-ce à l'endroit des puissances occidentales qui le soutiennent. Qui croit-il tromper, avec une telle farce? Qui ne sait pas, en Algérie, et dans toutes les chancelleries étrangères à Alger, que pas un seul journal ne se serait risqué à publier une telle information, s'il n'avait reçu, non seulement le feu vert, mais l »injonction de le faire ? Qui ne sait, en Algérie, et dans n'importe quelle chancellerie installée dans notre pays, ni parmi les journalistes étrangers qui y séjournent, ou qui en suivent l'évènement, qu'un parti d'opportunistes de dernière catégorie, comme ce RCN, ne se risquerait jamais à annoncer une telle information si on ne le lui avait instamment demandé. La rapidité, et la totale déchéance, avec laquelle le président de ce « parti » annonce qu'il a tout inventé, et qu'il est lui-même un parfait mythomane, montre bien comment les choses ont dû se passer, en réalité. En réalité, sans aucun doute, il a été demandé à ce « président » de « parti » d'annoncer l'information, et au dit journal de la publier en première page. Un travail d'apprenti sorcier, pour envoyer un ballon sonde, et tenter de forcer la main aux décideurs militaires qui sont encore réticents, ou qui font semblant de l'être, pour tirer un max de la transaction. Or, le grand problème pour ce monde interlope de marchands de tapis volants, est que de très nombreux officiers de l'armée algérienne, sont à deux doigts de se révolter contre leur commandement, une petite bande qui tient l'armée et le pays. Cette information, couplée aux appels du MAOL, a provoqué un véritable mouvement d'humeur au sein des officiers de l'armée algérienne. Du jamais vu, semble-t-il, puisque les officiers ne se cachaient plus pour marquer leur humeur, et leur profonde désapprobation. Il n'est pas exclu, par ailleurs, que les protecteurs occidentaux du régime lui aient fait savoir que cette lubie risquait de provoquer de graves problèmes. Et tout aussitôt, il a été décidé, du même endroit où il a été décidé d'envoyer le ballon sonde, de nier cette information, et de contraindre les acteurs de sa propagation à se dédire. Ce ne sera pas la première fois que des politiciens et des journalistes sans scrupules tenteront de nous fourguer des bouses aussi grossières. Ce ne sera pas la première fois que nos dirigeants nous feront la preuve de leur courte vue, et de leur incompétence, même à nous manipuler, bien qu'ils disposent de la soumission totale et inconditionnelle, des médias et des « partis politiques ». Nous avons honte pour eux!