Texte adressé par Mr Rouadjia au site LQA le 06 juin 2011 Accordé le 4 juin 2011 au quotidien El Watan El Watan.- Le pouvoir a engagé des «consultations politiques» en vue d'une réforme politique, mais de nombreux acteurs politiques doutent de la sincérité de la démarche. Selon vous, quel est l'objectif qui fait courir le pouvoir à travers ces consultations? ROUADJIA.- C'est la peur des incertitudes qui fait chanceler désormais la confiance habituelle du pouvoir en soi ; en un mot, c'est l'ébranlement de cette confiance de maintenir solidement et indéfiniment les rênes du pouvoir ainsi que la manne pétrolière en sus entre ses mains, qui l'a incité à orchestrer cette consultation aux allures d'une véritable mascarade. Les régimes tunisien et égyptien qui viennent de s'écrouler comme un château de cartes, et que l'on croyait pourtant « sûrs » ou indéboulonnables, y sont pour beaucoup dans l'affolement et la panique qui se sont emparés de nos « décideurs politiques » qui ne savent que dire ni que faire que d'en appeler à « la consultation » dans l'unique but, semble-t-il, n'est pas de se résigner au changement radical de l'ordre politique et social, changement ardemment souhaité par tous-opposition et « populace » confondues-, mais pour reconduire en le perpétuant sous une forme fallacieuse le régime actuel. Les soulèvements en masse en Lybie, au Yémen, en Syrie, puis les manifestations devenues quasi rituelles au Maroc où la Monarchie tremblote de tout son corps face au peuple arborant l'étendard de la révolte jusqu'à désacraliser ou presque l'image traditionnellement sanctifiée du Roi- Commandeur des Croyants-, expliquent en grande partie les raisons de cette « consultation » en trompe-l'œil, et ses motifs sous-jacents. Sauver par tous les moyens licites ou illicites la « peau du régime », rien que le régime crispé, constipé, et raidi dans ses imbéciles « vérités et certitudes », quitte à sacrifier le pays sur l'autel de l'instabilité, de l'anarchie et du chaos, tel est l'objectif premier visé par cette consultation imaginée à la hâte. El Watan.- Des observateurs estiment qu'à travers cette démarche c'est la succession qui est engagée, qu'en pensez-vous? ROUADJIA.-Il y a un peu de cela. Mais là n'est pas l'essentiel. L'Algérie n'est pas une monarchie héréditaire, mais une République bananière où « la succession » des hommes et des Princes n'obéit pas au modèle électif connu dans l'histoire ou consacré par une longue tradition nationale, consensuelle et reconnue de tous, mais par la force brute et la ruse de ceux qui détiennent les leviers de commande du moment. Nos dirigeants ont montré jusqu'ici leur capacité extraordinaire à faire et à défaire les « successions », à substituer à un président un autre, à l'écarter du pouvoir ou à l'éliminer physiquement, sans que cela trouble leur certitudes « en la force » ni leur conscience éthique qui semble être dépourvue de regret ou de remord. Que le président Bouteflika, devenu grabataire sous le poids de l'âge et de la charge venait à mourir, on le remplacerait sans difficulté par un autre, déjà fin prêt pour la relève. Le « terroir » de la succession en est plein à ras-le –bol de ces prétendants au pouvoir dont le profil est toujours choisi en fonction de leur aptitude à jouer le jeu des « décideurs » qui leur font appel. A son arrivée au pouvoir en 1999, le président actuel voulait être un Président au dessus de la mêlée, indépendant, et ayant les coudées franches pour conduire « sainement » les affaires de l'Etat. Il prétendait même pouvoir apprivoiser et dompter ceux qui l'ont extrait prestement des oubliettes de l'Histoire, le réhabiliter, pour en faire un président taillé à la mesure de leur attentes. Il finit finalement par être non le dompteur qu'il se croyait, mais le dompté et l'apprivoisé de ceux qui l'ont fait revenir de son long exil, long certes, mais doré! Il s'est fait au bout du compte le prisonnier, le captif démuni et impuissant d'un « système » dont il connaissait pourtant tous les détails, tous les secrets et les arcanes, pour l'avoir naguère pratiqué lui-même dans les coulisses et les conciliabules des chapelles et des clans régnants…. Ce n'est donc point le problème de « succession » qui pose problème à nos décideurs, fortement angoissés, et agités par la conjoncture internationale, succession qui est déjà résolue en catimini, et à l'insu de tous, mais ce sont les remous internes, les dangers des dérapages de la « populace », et les moyens de conjurer les « menaces » que celle-ci fait planer sur leur tête, qui se trouve au cœur de leurs préoccupations centrales…. El Watan.- Des partis d'opposition ainsi que de nombreuses personnalités nationales ont rejeté la démarche du pouvoir, mais ce «Front de refus» reste éparpillé. L'opposition refuse de dialoguer avec le pouvoir, mais elle refuse le dialogue en son sein. Pourquoi? Y a-t-il des raisons objectives à ce tiraillement qui mine l'opposition? ROUADJIA.- Qu'elle soit fabriquée de toutes pièces par le pouvoir en guise de façade « démocratique » à l'usage du monde extérieur, qui n'est d'ailleurs ni dupe ni sot pour croire en de telles balivernes, ou qu'elle soit plus ou moins « indépendante », cette opposition s'avère être à l'examen des faits une coquille vide, une substance neutre au sens négatif du mot. Car elle se complaît autant dans la critique ou le dénigrement du régime que dans l'approfondissement de ses propres divisions internes et de défense au nom des « identités » politiques propres à chacune de ses composantes constitutives. Le RCD contre le FFS, et celui-ci ne partage pas les valeurs portées par son concurrent le RCD. Ces deux partis dits d'opposition se vouent mutuellement une haine rentrée. Ils se tournent mutuellement le dos et se dénigrent au lieu de dialoguer et de débattre. Ce qu'ils reprochent au pouvoir, à savoir : le manque de dialogue, d'écoute et de concertation, ils le reproduisent entre eux dans leur rapport mutuel. A l'intérieur même de leurs structures, la parole libre est soit surveillée, soit traquée par des censeurs attitrés. On requiert, comme dans le Parti unique de jadis, l'unité « de pensé » et le renforcement des « rangs ». Lorsque des Partis comme cela se qualifient de « démocrates » tout en pratiquant en leur sein les méthodes de l'oligarchie féodale, ils ne peuvent dans ce cas donner une image crédible ni à la masse ni au régime qu'ils tentent de disqualifier en faisant valoir une démocratie dont ils se refusent d'appliquer les réquisits. C'est que la culture du dialogue, de l'écoute, du respect de la différence et de l'identité de l'Autre ne trouve pas de prise chez ces partis qui demeurent tributaire de l'idée patriarcale de l'autorité, toute chose qu'ils reprochent au pouvoir, mais qu'ils reproduisent et appliquent eux-mêmes sans état d'âme dans la sphère de leur activité publique, et peut-être même privée. Tel est le drame ou l'aporie dans lesquels se trouve confrontée cette opposition face au pouvoir. Restent les personnalités politiques opposées à l'inertie du pouvoir. Celles-ci comprennent d'anciens politiques démissionnaires ( Ahmed Ben Bitour… ) ou congédiés poliment ( ?) par le pouvoir ( Sid Ahmed Ghozali, Mokdad Sifi…), puis des « intellectuels » non « organiques » qui tentent chacun à sa façon, et souvent dans un ordre dispersé, d'insuffler du courage à toutes les âmes qui brûlent du feu du changement radical du système politique et social. Ces intellectuels « inorganiques » sont atomisés ou dispersés à travers certains réseaux syndicaux, associatifs, journalistiques, etc., mais leurs actions ne sont ni reliés entre elles ni concertées pour aboutir à l'élaboration d'une stratégie commune susceptible de jouer un rôle de substitution aux partis politiques sclérosés. Quant aux personnalités politiques « consultées » ou invitées à la consultation, elles ne réunissent pas les qualités de l'orateur distingué ou de meneur d'hommes capables de rassembler autour d'elles les masses mobilisables pour le changement. Bien qu'elles se fassent pour la plupart critique, et que les idées qu'elles formulent et tentent de plébisciter sont théoriquement justes et rejoignent tout à fait celles de l'homme de la rue algérienne, ces personnalités déchues n'ont aucune aura auprès de la population ni prise sur le réel compliqué et complexe de la société algérienne, politique et civile. Talonnés par leur passé de « harkis du système », elles ne peuvent prétendre à la crédibilité auprès du peuple. Leur image est écornée, ébréchée, et affectée de signes négatifs irrémédiables. Telle est la triste réalité de nôtre opposition, toutes étiquettes par ailleurs confondues… El. Watan.- La société gronde de partout sans que la classe politique ne lui ouvre des perspectives à un mouvement sociale qui réclame un changement de régime, v a-t-on assister à une irruption violente comme en Tunisie et on Egypte ou bien le pouvoir réussira à ce maintenir ? ROUADJIA.-Cette irruption violente est inévitable. Ce n'est pas « l'opposition » qui la provoquera, mais ça sera le fait du pouvoir lui-même. Il la suscitera par son refus obstiné d'admettre que les temps et les hommes ont changé, et que l'environnement régional et international ne sont plus ceux des décennies écoulées, mais ceux du présent fait d'ébullition d'idées, de moyens de communication formidables et d'images satellitaires qui diffusent des informations instantanées à travers les quatre coins du globe. Les Algériens en sont devenus les gros consommateurs, y compris le porno, la drogue, et la fuite vers l' imaginaire radieux ? D'où le phénomène haraga. Mais ils captent aussi les effets des soubresauts politiques dans le monde. La démographie algérienne elle-même a changé de manière qualitative par rapport aux générations vieillissantes, et dont la docilité leur faisait accepter l'inacceptable. Aujourd'hui, la jeunesse n'accepte plus de plier courber l'échine. Elle relève la tête haute, sans crainte d'affronter les épaules nues les dangers qui pourraient poindre. Par son entêtement, son autisme congénital, ses certitudes absolues de détenir la raison, la vérité et la « force des armes » pour se prémunir des dangers qui le guettent et qui guettent la société tout entière, ce régime favorise tous les ingrédients de la violence. Il est producteur de violence, et les lieux propices en sont : l'administration, le droit, la justice, l'économie de « marché », plutôt de bazar qui, avec leur pratiques délictueuses, hors la loi, tels l'arbitraire, la corruption, les commissions, les- dessous de table, sans parler du blocage politique quasi délibéré qui achève d'aggraver les tensions et les tentations de la révolte généralisée, spontanée et aveugle…