En Algérie sous dictature militaro-policière, rien n'arrive au hasard ! Le procès de l'affaire Matoub, à en croire la presse algérienne, est programmé pour le 18 juillet. Il s'agit à l'évidence d'un procès éminemment politique. Son enrôlement dans la session criminelle en cours est purement politique. Il n'obéit qu'à des considérations politiques, à l'obscur agenda du système, à un schéma opaque préparé dans le bureau d'études clandestin du pouvoir réel. Ce n'est pas le sort injuste réservé à Malik Medjenoun et à Abdelhakim Chenoui, tous deux en détention préventive depuis plus de douze ans et sauvagement torturés par le DRS, et encore moins la vérité sur l'odieux assassinat de Lounes Matoub, qui motivent l'ouverture du procès, le 18 juillet, comme annoncé, plus par la rumeur que par les canaux officiels. Le caractère politique de l'affaire Matoub L'assassinat de Lounes Matoub a été un acte politique, sciemment orchestré par le DRS, contre le tandem Zeroual-Bétchine qui refusait de signer l'accord passé avec l'AIS. En 1994, Lounes a été enlevé – avec le déclenchement du boycott scolaire- pour contraindre Liamine Zeroual alors président de la République à renoncer au dialogue amorcé avec les dirigeants politiques du FIS. En 1998, il a été assassiné pour pousser à la porte de sortie le même Zeroual qui refusait le « dialogue » avec les groupes armés. Bien avant, Lounes avait toujours constitué un enjeu de taille pour les divers centres politiques, notamment au sein du MCB. Beaucoup d'acteurs cherchaient à l'avoir comme allié. De par son aura, il était la cible de toutes les manipulations. Au-delà du chanteur et militant qu'il fut, la symbolique voire le côté magico-mystique qu'il représentait, aiguisait bien des couteaux. Le DRS et ses suppôts locaux savent où appuyer pour faire mal à la Kabylie. L'affaire Matoub est de nouveau au devant de la scène. Tant mieux. Entre d'un côté, sa mère, sa sœur et tous ceux qui cherchent la vérité, et les deux accusés qui espèrent la fin de leur calvaire qui n'a que trop duré, et de l'autre, les manipulateurs machiavéliques du DRS, la question qui se pose est de savoir vers quel camps la balance penchera, qui en récoltera les dividendes politiques. Car, au risque de la répétition, l'affaire de l'assassinat de Matoub est purement politique et son jugement ne peut être que politique. Peut-on évoquer le procès annoncé en faisant abstraction du reste des événements qui ont émaillé ces derniers temps la Kabylie ? La provocation des citoyens d'Azazga est un remake d'un événement qui s'est déjà déroulé en 2001 et qui avait embrasé toute la Kabylie, celui de l'assassinat du jeune Guermah. Une vidéo circule sur Youtube, celle d'un homme armé qui fait des révélations sur un complot anti-kabyle qui soulève bien des interrogations…La ville de Tizi-ouzou n'est pas sécurisée et les autorités wilayales octroient la gare routière à leur homme-lige Hannachi …etc Tels sont les ingrédients d'une situation explosive accentuée par l'ouverture d'un procès politique, celui de l'affaire Matoub. Le procès proprement dit La reconstitution des faits et une enquête balistique, constamment réclamées par la mère et la sœur de Lounes Matoub, sont la clé de l'affaire. D'où la peur, et le refus du régime d'y répondre favorablement. La reconstitution des faits et l'enquête balistique mettraient à nu toutes les contrevérités et mensonges colportés autour de l'assassinat du chanteur. Les derniers en date sont ceux de Maître Hannoun qui, dans des « clarifications » publiées par la presse algérienne, excelle dans le mensonge et pervertit davantage les faits. Maitre Hannoun n'avait pas dit si sa cliente avait révélé ou non au président du tribunal criminel, en février 2010, le nom de l'assassin, assis derrière le siège de Lounes. Car pour le tuer, avec une arme à feu de petit calibre, il eut fallu être assis et adossé au siège arrière et tirer deux balles dans le dos de la victime. Les deux balles fatales. Assassinat qui s'est déroulé bien loin de Talla Bounane, lieu où une scène de crime avait été grossièrement montée et annoncée au journal de TF1 par Nordine Ait Hamouda. Les premiers témoins arrivés sur les lieux et qui avaient fait sortir Lounes, juste après que sa voiture eut été arrosée de dizaines de balles de pistolet-mitrailleur, étaient surpris de constater que son corps ne saignait pas. Et pour cause, la victime s'était vidée de son sang auparavant. Et autre fait frappant, les seules preuves de saignement se voyaient sur son dos et non sur sa tête alors qu'il venait de recevoir à cette partie du corps, une balle tirée à bout portant d'un coup de fusil. Lounes était mort bien avant et le virage de la montée de Talla Bounane n'avait servi que de lieu de mise en scène. Il n'est nul besoin de sortir d'une quelconque académie de police pour s'apercevoir que les dizaines de balles de pistolet-mitrailleur, toutes entrantes, n'auraient laissé personne en vie à l'intérieur du véhicule, à moins que ses occupants furent dehors au moment du mitraillage ! Bien d'autres faits non encore révélés montrent que ce qui s'était passé à Talla Bounane n'était qu'une fabrication de scène de crime qui ne peut résister à l'épreuve de la vérité. Les masques tomberont tôt ou tard. Par la résistance d'une mère, d'une sœur et de tous ceux engagés dans la vérité sur l'assassinat de l'artiste. Sans une enquête balistique et une reconstitution des faits, le dossier de l'affaire restera vide. Alors qu'est-ce qui motive les décideurs de l'ombre de mettre sur le tapis l'affaire Matoub ? Chercheraient-ils encore à embraser la région pour éteindre, comme par le passé, le feu qui brûle dans toute la maison Algérie ? Le pouvoir étant habitué à stigmatiser, à isoler la Kabylie du reste de l'Algérie, voire à l'opposer au reste du pays par une série de provocations, avant de la mater et de desserrer l'étau. Ou bien l'enrôlement de l'affaire Matoub n'est autre que l'acte II de la fameuse amnistie générale. Après avoir amnistié les islamistes armés et les services de sécurité, il est temps de blanchir d'autres segments politiques, alliés du système, ainsi que les seigneurs de la guerre qui ont les mains tachés du sang des algériens ! Dans ce cas qui serait sacrifié pour amnistier l'implication de certains politiques ? Medjenoun a symboliquement et médiatiquement gagné son procès même si son martyre, déjà horrible et monstrueux, risque encore de durer. Il reste Abdelhakim Chenoui, tenu jusqu'à maintenant hors des projecteurs. Serait-t-il la victime toute désignée dans les scénarii du DRS ? Abdelhakim Chenoui : le dindon de la farce Je témoigne ici, moi Madjid Laribi, de ce que je connais dans ce qu'il y a lieu d'appeler l'« affaire Chenoui ». « Abdelhakim Chenoui est condamnable pour avoir pris le maquis ». C'est ce que j'avais dis à son frère Amar lorsque j'avais décidé de l'aider. Je l'ai fais parce que j'étais convaincu, depuis la fin de l'après-midi du 25 juin 1998, à l'hôpital de Tizi-Ouzou, à la sortie du bloc opératoire, que l'assassinat avait été ordonné et exécuté par le DRS. Je me suis intéressé au cas Chenoui, à partir de 1999, alors que j'étais Chef de bureau du quotidien La Tribune à Tizi-Ouzou. Un journaliste qui travaillait avec moi, M.B., était venu me voir avec un « scoop » en me lançant : « L'assassin de Lounes Matoub s'est rendu dans le cadre de la concorde civile ».Il parlait bien d'Abdelhakim Chenoui. Je lui demandais alors quelle était sa source d'information et sa réponse fut : « C'est Nordine Ait Hamouda, il est venu voir les journalistes qui couvrent les affaires liées au terrorisme au tribunal criminel de Tizi-Ouzou.» J'ai pris soin de donner moi même l'information pour ne pas participer à la manipulation. Le lendemain, tous les journaux sont sortis avec l'information suivante : « l'assassin/ou l'un des assassins de Matoub, le terroriste Abdelhakim Chenoui, s'est rendu dans le cadre de la concorde civile à Tizi-Ouzou » Dans La Tribune, l'information donnée était : « Un terroriste armé, nommé Abdelhakim Chenoui, s'est rendu, hier à Tizi-Ozou, dans le cadre de la concorde civile ». Cela avait irrité le directeur du journal Bachir Cherif Hacène, mais c'était la vérité, du moins une part de la vérité avant de connaître, par la suite, toute la vérité sur le cas Chenoui. Par la suite, un encart publicitaire d'un huitième de page, acheté par Amar Chenoui et échappant à la censure, a été publié dans Le Soir d'Algérie. Dans l'encart publicitaire en question, Amar Chenoui faisait appel à Bouteflika pour intervenir en faveur de son frère Abdelhakim, séquestré par un député de la région. Abdelhakim Chenoui avait été emmené à la maison familiale par Nordine Ait Hamouda en compagnie de deux hommes, très probablement appartenant aux services de sécurité. Abdelhakim était menotté et visiblement torturé. Il avait été emmené chez lui pour l'exemple, terroriser sa famille et la contraindre au silence. C'est sans compter sur un frère, qui avait décidé, contre vents et marées et malgré les incursions soudaines et brutales des services de sécurité chez lui qui s'étaient soldées par la paralysie de son père, de ne pas baisser les bras. Un frère à qui Nordine Aït Hamouda avait déclaré le jour même : « Je suis sur Internet, il ne me reste que ton frère pour m'en sortir ». Il faisait allusion au rapport rendu public par le MAOL qui accusait Ait Hamouda d'être impliqué dans l'assassinat de Matoub. C'est en ma compagnie qu'Amar Chenoui avait déposé auprès du greffier du tribunal de Tizi-Ouzou, une plainte contre Nordine Ait Hamouda pour enlèvement et séquestration de son frère. La plainte a été enregistrée, mais depuis aucune suite ne lui avait été donnée. Comment Abdelhakim Chenoui s'était-il retrouvé entre les mains de Nordine Ait Hamouda ? Abdelhakim Chenoui était enrôlé dans un groupe armé de la région depuis quelques années. Il était en contact avec les populations des villages avoisinants qui le connaissaient. Le maquis était, pour lui comme pour tant d'autres, un refuge contre la hogra et l'humiliation quasi quotidienne des services de sécurité qu'ils ne supportaient plus dans leurs cités et villages. Un refuge plutôt qu'un engagement politique et militaire. C'est pour cette raison d'ailleurs qu'ils rencontraient sans difficultés et n'étaient pas inquiétés par les populations des villages. Avant de déposer les armes, Abdelhakim Chenoui avait été contacté par un certain C. Ali, membre de la FFC (Fédération des fils de Chahid), avec qui il avait l'habitude de s'entretenir tout près de son village. Ali. C. avait proposé à Chenoui de se rendre dans le cadre de la concorde civile et pour ce faire, il lui avait présenté deux personnes : le responsable de la FFC, aujourd'hui décédé des suites d'une maladie qui l'avait obligé à s'adonner à de sales besognes pour bénéficier d'une prise en charge à l'étranger, et un avocat en la personne de maître Meryem. Mis en confiance et convaincu de bénéficier de la loi sur la concorde civile, Abdelhakim Chenoui avait remis son destin entre les mains de son ami C. Ali, O. Rabah et maître Meryem. Ces derniers l'ont tout simplement livré à Nordine Ait Hamouda qui le présenta à la presse comme l'assassin ou l'un des assassins de Lounes Matoub. Voila comment Chenoui s'était retrouvé entre les mains de Nordine Ait Hamouda. C.Ali sera récompensé pour ses services par un logement attribué à la nouvelle ville à Tizi-Ouzou. Chenoui avait été emmené à la caserne de Ben Aknoun, à Alger, où il avait été sauvagement torturé. Sous le supplice de ses tortionnaires, une cassette vidéo avait été enregistrée dans laquelle il avouait avoir assassiné Lounes Matoub. J'avais été informé par Chafaa Bouiche, journaliste, animateur du journal en ligne Algérie Politique de ce qui se tramait au sein du DRS sur l'affaire Matoub. Sans attendre, une réunion du bureau de la fondation Lounes Matoub s'était tenue à Tizi-Ouzou et avec l'aval de Malika Matoub qui était à Paris. Une déclaration avait été rédigée. Pour la rendre public et contourner la censure médiatique, un large tirage avait été fait à Alger, à Souidani Boudjemaa, et distribué dans certaines wilayas du centre. Cette action avait, selon certains camarades, avorté le coup fourré qui était en préparation par le DRS. En 2000, la mère de Lounes, sa sœur et le bureau de la fondation Lounes Matoub, avaient rencontré dans les bureaux du wali de Tizi-Ozou, le colonel Rachid Aissat, à la demande de ce dernier, qui occupait à l'époque le poste de conseiller auprès de Bouteflika. Même si la rencontre avait été organisée en catimini par le wali ou par les services de sécurité, la fondation avait, à la sortie du siège de la wilaya, rendu publique une déclaration de l'entretien qu'elle avait eu avec le conseiller du chef de l'Etat. Seulement deux quotidiens avaient donné l'information : 24 Heures et La Tribune. Les autres journaux, surpris de la rapidité de la réaction de la Fondation n'avaient pu utiliser l'information comme ils le voulaient, ils n'avaient pas jugé utile ( ?) de traiter la déclaration de la Fondation. Le colonel Rachid Aissat nous avait déclaré, si ma mémoire est bonne, que quatre des terroristes qui avaient assassiné Lounes Matoub avaient été abattus. Quelques mois plus tard, de bon matin, Amar Chenoui était venu me voir, tremblant et effaré. « Mon frère Hakim est à la prison de Tizi-Ozou », m'avait-il annoncé. Pour moi, c'était une bonne nouvelle qu'il soit transféré à la maison d'arrêt de Tizi-Ouzou. Il échappait ainsi aux tortures qu'il subissait à Ben Aknoun et sa famille pouvait lui rendre visite. J'ai appris de la bouche de son frère qu'il était à Tizi-Ouzou depuis une quinzaine de jours. Il avait été informé grâce à un détenu qui venait de purger sa peine et chargé secrètement par Abdelhakim de contacter son frère. La veille de notre rencontre, il lui avait déjà rendu visite. Mais ce dont avait le plus peur Amar Chenoui et il avait raison, c'était d'apprendre qu'un avocat avait été désigné d'office à son frère Abdelhakim et que cet avocat n'était autre que maître Meryem. La nouvelle situation, ou le nouveau rebondissement, sentait de nouveau la manipulation et il fallait réagir. Après des échanges avec Amar Chenoui, nous avions décidé de nous rendre dans le cabinet de maître Meryem, à la cité du 5 juillet. L'avocat ne s'attendait pas visiblement à une telle « incursion », mais il s'était forcé à rester cordial l'espace d'un moment. Amar Chenoui m'avait présenté à l'avocat comme étant un membre de la famille, un cousin du côté de sa mère, ce qui n'est pas vrai. Maître Meryem s'était empressé d'aborder le sujet, probablement pour vite en finir, en lançant au frère de l'accusé : « c'est terminé, Hakim est maintenant à Tizi-Ouzou, il passera rapidement devant le juge et il sera libre vite fait. » Et d'ajouter : « j'allais justement informer votre famille de sa présence [celle de Abdelhakim Chenoui, ndlr] à la maison d'arrêt et on m'a appris que vous avez pris un billet au niveau du tribunal pour lui rendre visite.» C'est alors que j'avais pris la parole en demandant à maître Meryem qui l'avait constitué et comment il savait que « son client » avait été transféré depuis Alger ? Il m'avait répondu que c'était Hakim qui l'avait contacté dès son arrivée à la prison de Tizi-Ouzou et avait demandé à ce qu'il soit son avocat. Ce qui était faux puisque Abdelhakim ne pouvait avoir aucun contact avec l'extérieur. L'avocat avait été, visiblement, chargé de terminer le travail pour lequel le DRS l'avait chargé. L'avocat avait changé de ton dès que je lui avais annoncé, crûment, sans détours et à brûle-pourpoint qu'il n'était plus constitué à partir de cet instant. Sa réaction ne fut pas longue. Il était hors de lui et commençait à crier à l'adresse de Amar Chenoui en lui disant : « comment osez-vous me faire ça à moi, qui avait accepté de mettre ma crédibilité en jeu en défendant celui qui est accusé d'avoir assassiné Lounes Matoub ». Laissant l'avocat dans tous ses états, je suis parti à Alger, et je me suis rendu au siège national du FFS, où j'avais eu un entretien avec feu Seddik Debailli. De son côté, il avait pris attache avec le regretté Maître Khellili, qu'on avait rencontré deux heures plus tard. Après lui avoir expliqué les tenants et les aboutissants de l'affaire, l'avocat avait accepté de prendre en charge le dossier et deux jours plus tard, il s'était rendu à Tizi-Ouzou et s'était constitué avocat de Abdelhakim Chenoui. Après cela, j'ai quitté l'Algérie tout en suivant de près ce qui se passe au pays. Et aujourd'hui, je me sens, au vu de ce qui se prépare que se soit dans l'affaire Matoub ou dans toute la Kabylie, interpellé pour apporter un témoignage, même partiel, et participer à éclairer un temps soit peu mes concitoyens. C'est une dette que j'ai envers eux, pour la vérité et la justice. Lectures: