Une Algérie où toutes les élites se trouvent dans le même repère a plus de chances de vivre en paix et d'aller de l'avant qu'une Algérie où deux fractions antagoniques se combattent mutuellement et se déchirent à l'infini, chacune considérant l'autre comme un ennemi irréductible à éliminer, les uns étant pour les autres soit des kuffar, soit des talibans en puissance coupables de vouloir ramener le pays au moyen âge. Ce repère commun peut-il être celui de la culture occidentale? Là est la question que l'on doit se poser en toute honnêteté. Pour beaucoup d'Algériens qui ont des rapports assez lâches avec la pratique de l'islam (prière et fréquentation de la mosquée, notamment), un retour au tout-islam est perçu comme une terrible régression. La perte, même temporaire, de l'apport de la culture occidentale leur semble être un événement dramatique, difficile à supporter. Il voient tout discours parsemé de versets coraniques ou de Hadiths comme un discours archaïque, totalement inutile et improductif. Mais il se trouve que la société algérienne, malgré 132 ans de colonisation française, est restée dans ses tréfonds plus réceptive à ce type de discours qu'au discours «moderniste», qu'il soit d'orientation libérale ou marxiste. Depuis les années 80, le courant «moderniste» qui a mené une politique socialiste marxisante sous Boumédiène est, du fait de son échec économique, de plus en plus contesté et débordé par le courant «islamiste». Ce dernier a été jusqu'à présent perçu par ses adversaires comme un bloc homogène (les «intégristes») alors qu'il est constitué de plusieurs tendances. Est-il si difficile d'imaginer des Algériens sincèrement attachés à l'islam, ce dernier constituant le centre de leur vie et l'ultime référence, et aussi sincèrement attachés à la démocratie, à la liberté d'expression, au respect des droits de l'homme, etc. La haute culture islamique classique est pourtant riche en controverses et en écoles de pensée ayant divergé sur beaucoup de questions, qu'elles soient d'ordre théologique, juridique ou politique. Les musulmans seraient-ils aujourd'hui sommés d'être tous coulés dans le même moule ou de ne pas être? Il n'est pas ici question de sciences ou de techniques. Ces dernières sont effectivement universelles et il n'y a pas de science ou de technique islamique. Il est plutôt question de culture dans ce que cette dernière a de plus humain et de plus fondamental, la partie irréductible qu'il y a en chaque individu attaché à sa communauté, ce qui fait qu'un musulman est différent d'un hindou, par exemple. Ceux qui n'ont que des attaches lointaines avec l'islam rêvent d'une Algérie laïque où la religion deviendrait une affaire privée. Mais cette idée est fortement contestée par des pans de plus en plus larges de la jeunesse instruite, ceux et celles qui considèrent l'islam comme la seule référence pour tout ce qui a trait aux relations entre individus dans la société. La colonisation française et l'occidentalisation forcée d'une partie de la population qui en a résulté n'aura-t-elle été qu'une parenthèse qui finira par se refermer ou bien l'impact sera-t-il durable et indélébile? La question mérite d'être posée et débattue. Pour ma part, je suis favorable à une démocratie musulmane, c'est-à-dire un Etat et une société ancrés dans la culture islamique et dans lesquels la séparation des pouvoirs, l'alternance, la liberté d'expression et d'opinion sont garantis par la Constitution. Je suis convaincu que dans un Etat de ce type, l'Algérien moyen – celui d'en-bas – se sentirait plus apaisé et en sécurité. Mais est-ce si difficile à concevoir? Lectures: