Hadj Nacer décortique la politique économique Quand le baril s'emballe les réformes patinent Liberté 13 août 2011 L'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie estime que nos dirigeants oublient vite “la cohérence”. Et, paradoxalement, les dirigeants successifs de l'Algérie ont fait de même, jusqu'à aujourd'hui. Le pétrole est-il une bénédiction ou une malédiction ? À cette question classique, Abderahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, auteur de La Martingale algérienne, réflexions sur une crise, tente de répondre à partir de son expérience. Une réponse, “une réflexion et une vision personnelles”, dit-il lors de la rencontre, jeudi soir, aux “mille et une news” du quotidien Algérie News. Conjugué à l'absence de vision des dirigeants du pays, le pétrole constitue un frein au développement, a-t-il déclaré en substance. Il a expliqué comment la planification a été sacrifiée à chaque fois que les prix du baril de pétrole connaissent un boom. Avant, nous avions les moyens, les compétences pour dépasser de dix ans les pays de l'Est, mais dès que les prix du pétrole se raffermissent, les plans, triennal, quadriennal…, 1973, 1986… Le premier, a-t-il considéré, “est un chef-d'œuvre de la pensée sur le moyen et le long terme”, on a dévié des objectifs. “Nous avions de bons objectifs jusqu'en 1973, on a basculé lorsque les prix du pétrole ont augmenté”, dit-il. Les dirigeants du moment, comme il aime à désigner les détenteurs du pouvoir réel, oublient vite “la cohérence”. Et, paradoxalement, les dirigeants successifs de l'Algérie ont fait de même, jusqu'à aujourd'hui. Et toutes les réformes préconisées ont été enterrées dans l'option pour “la rente qui a tué l'organisation et la capacité d'accumulation”. Ainsi donc, selon lui, c'est la rente qui vient à chaque fois perturber la mise en œuvre des éléments de réflexion qui produit une grande rigueur. D'où sa sentence : “La rente a fait qu'on est devenu des compradors.” Face à cet échec reproduit, demeure cependant, estime Hadj Nacer, un espoir sur lequel se fondent son essai et ses motivations. Car, a expliqué l'ancien gouverneur de la BA, le contexte actuel offre les éléments, ce qu'il désigne par “un cycle positif”, pour se relancer. Il ne s'agit plus, selon lui, de revenir à la base et recommencer par la réforme des systèmes, notamment l'éducation, qui demande du temps. Le temps ne s'achetant pas. Des ressources, de la terre et de la compétence, les trois éléments fondamentaux pour le développement. Sur l'actualité économico-financière et les choix des responsables algériens, le constat de Hadj Nacer est sans appel. Il s'agit notamment des placements des réserves de changes, 170 milliards de dollars, aux Etats-Unis. Non seulement cette somme ne rapporte rien mais pèse aussi sur elle le risque de perte. Le bon sens voudrait que cette réserve soit utilisée pour l'achat d'actifs réels. Il citera d'ailleurs un exemple frappant pour illustrer les mauvais choix des responsables algériens. L'Algérie négocie avec le constructeur Renault pour une usine d'emboutissage, l'Algérie paraissant dans une posture de demandeur, alors que Volvo était en vente. L'acquisition d'actifs à l'étranger permet de gagner du temps, acquérir la technologie. “Nous avons 170 milliards de dollars, il faut que ça nous serve”, dit-il. Quant au risque de perte de cette réserve placée, il renvoie au “chef de la décision” qui est ailleurs et qui peut utiliser la pression ou alors jouer, comme c'est le cas aujourd'hui, sur une inflation fabriquée pour “pomper” plus d'argent. Partant de son expérience, il donnera l'exemple sur la tentative algérienne de placer de l'or en Europe à la place de celui placé au Etats-Unis pour sortir de la crise. À peine a-t-il quitté ses fonctions, le projet a été bloqué par et sur injonction, paraît-il, du FMI. Idem pour le marché de la devise dont le projet a été maturé, et qui a subi le même sort. Et qui dit FMI voit derrière évidemment les Etats-Unis. Abondant dans le même sens, il évoquera la crise actuelle qui n'est, selon lui, ni économique ni financière, mais fabriquée. Il explique que c'est le déséquilibre entre les trois principaux pouvoirs, pétrolier, militaro-industriel et financier (des pouvoirs légalement inexistants), le pouvoir réel ou apparent n'étant qu'un arbitre, donne la crise. On crée l'hyperinflation “pour continuer à voler l'argent”, dit-il. Pour preuve, la décision du gouvernement US de ramener le crédit à taux 0 sur trois ans. Il ne s'agit ni plus ni moins, selon Hadj Nacer, que d'une inflation programmée. Revenant à l'Algérie, il a dressé, comme dans La Martingale algérienne…, un tableau noir de ce qui a été fait ou ce qu'il y a de bon et défait depuis 1963. Il remontera même loin dans l'histoire, la sociologie et l'anthropologie de la société algérienne pour mettre à jour les ratages, les lacunes et les “fausses pistes” qui ont amené le pays à son actuelle situation. Il remarquera que tout a été détruit, à commencer par les médersiens, terreau de l'élite, les institutions et bien avant “l'assassinat symbolique du père” ; Messali El-Hadj et dans une certaine limite, a-t-il ajouté, “Ferhat Abbas”. Aucune des structures séculaires n'a été laissée. Seule l'institution militaire est restée debout et est devenue la colonne vertébrale parce qu'elle est une armée populaire. Pire, à l'indépendance, on a hérité d'un modèle culturel concocté par l'ancienne puissance coloniale, la France et l'Egypte. Un modèle étranger qui fonctionne par le reniement du “capital” accumulé pendant des siècles. Le système éducatif avec son contenu a produit des tares, selon un programme voulu, l'exclusion, la stigmatisation et le rejet de l'autre. Il citera deux exemples éloquents. Beni M'zab et son modèle social et la Kabylie. Deux cas qui font encore l'objet d'isolement, de marginalisation et de stigmatisation, alors qu'ils représentent des modèles “civilisationnels” avec des référents à même de structurer la société. L'ancien gouverneur de la BA propose de revenir à cet ancien modèle non pas dans son ancienne forme, mais comme référence d'organisation et de stratification. Acr, a-t-il estimé, la démocratie telle que présentée dans sa version occidentale est “une idéologie”. Il met en garde, par ailleurs, sur les trois dangers qui guettent l'Algérie, à savoir le wahhabisme, la drogue et l'évangélisme. Avec son alliance au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le wahhabisme a donné Al-Qaïda. L'Algérie est devenue depuis un certain temps une zone de transit de la drogue. “Il n'y a qu'à se demander où vont les avions qui disparaissent au Mali”, dit-il. Et, bien entendu, les évangélistes. Tous les trois se rejoignent et remontent dans la même direction : “Le chef du moment qui organise la manipulation.” Et au sujet de la lutte contre le terrorisme, il a précisé que “nous nous battons contre des épiphénomènes alors que le combat est sur le fond.” Il propose enfin de construire les institutions avec leur autorité et la discipline. Pour cela, il faut la démocratie, la formation pour l'accumulation et la connaissance de l'anthropologie. Pour le reste, nous avons les ressources, la terre et les hommes. “C'est ça la martingale.” Le débat, c'est d'ailleurs l'objectif de l'essai, est ouvert. Lectures: