Salima GHEZALI Mardi 13 Septembre 2011 La crise libyenne a fonctionné comme un révélateur des points d'ombre de la crise algérienne. On a pu voir en Libye des révolutionnaires se liguer contre un dictateur en s'appuyant sur une intervention militaire de l'Otan. L'alliance entre ces révolutionnaires recouvre l'ensemble du spectre politique libyen : Libéraux, anciens membres du gouvernement, djihadistes, représentants des tribus et autres monarchistes éventuels. Pas question pour autant d'un quelconque contrat politique de type « sant Egidio » capable de mettre des balises à l'exercice politique. [Reuters/Ramzi Boudina] Le général américain Carter Ham (à gauche) et le haut responsable militaire algérien Youcef Madkour (à droite) arrivent pour une conférence de presse à l'ambassade des Etats-Unis à Alger. Cet attelage disparate a incarné la révolution libyenne jusqu'à la chute de Tripoli malgré des tensions manifestes et quelques coups de Jarnac sur lesquels les médias ont eu la politesse de ne pas s'arrêter. Sur la question libyenne l'éventail politique algérien s'est scindé entre partisans et adversaires de l'intervention militaire étrangère avec une large prépondérance de ces derniers. Une fracture qui n'a épargné aucun courant politique. Hormis Belkhadem et quelques spécimens du cru, les soutiens à Kadhafi n'ont pas été nombreux. Le régime a voulu faire croire à sa neutralité en restant aphone pour ne pas gêner le cours des choses, quitte à endosser la posture « nationaliste » réservée à l'égard de l'intervention étrangère une fois la séquence inaugurale de la crise libyenne achevée. Chacun a pu se rendre compte que malgré le vacarme des « otanisateurs » locaux et du CNT l'Algérie officielle est restée sagement dans son coin. Aussi sourde devant les imprécations criminelles de Kadhafi que muette face aux provocations les plus outrancières de certains membres du CNT. Et c'est avec toute la candeur de la parole retrouvée que se multiplient les interventions du ministre algérien des affaires étrangères pour affirmer la neutralité de l'Algérie maintenant qu'un front s'est ouvert sur le flanc est du pays pour que s'y jouent, à l'occasion de cette nouvelle guerre, les prolongations d'une guerre ouverte il y a vingt ans… pour que rien ne change. A la dernière conférence sur la lutte anti-terroriste au Sahel des 7 et 8 septembre Alger n'a rien fait valoir comme vision stratégique. Le même discours sur l'antériorité de l'expérience algérienne, la question des rançons, du développement et bien-sur… de la souveraineté. Comme si cette dernière pouvait se passer de la formulation d'une doctrine militaire inspirée d'une vision politique partagée par une population se reconnaissant dans ses institutions. Entre une politique étrangère aphone et une doctrine militaire floue on retombe sur des propositions de réformes dont rien n'indique qu'elles annoncent une issue raisonnable à une crise interminable. Voici donc un pays dont la population, qui a déjà payé un prix terrible à la guerre, qui passe d'une émeute à l'autre pour des raisons de mauvaise gouvernance, à qui l'on propose de renforcer les éléments du statu- quo. Car ces réformes ne sont rien de plus que la consolidation de ce qui occupe la vitrine du système de pouvoir. Il ne semble pas que les invités de la commission Bensalah pas davantage que ceux de Babes aient joué un grand rôle en faveur du changement. Tout comme les appels à manifester lancés par la CNDC en février dernier et le parti-pris manifeste des médias dominants sur la Libye n'ont suscité d'échos autres que réprobateurs au sein de la population algérienne. Par ailleurs, alors qu'il aurait été logique de s'attendre à ce que les réseaux d'amitié franco-algérienne se mobilisent pour faire entendre la voix de l'Algérie sur la question libyenne ceux sont uniquement les réseaux d'amitié algéro -française qui ont porté haut et fort la voix de la France. Plus que la France elle-même, c'est l'inégalité des rapports qu'elle instaure qui cristallise les crispations. Or cette inégalité trouve sa source dans la nature du système de pouvoir en Algérie dont les réseaux défendent le régime et non le pays. Qu'ils s'alignent sur Kadhafi ou sur la France, ils ont une même finalité stratégique. C'est cette faiblesse de la « profondeur stratégique » du régime au sein de la population que des textes de lois et des promesses d'ouverture de l'audio-visuel vont essayer de contourner avec l'espoir de transformer les algériens en « otanisateurs » dociles ou en « nationalistes » partisans acharnés du pouvoir après leur avoir imposé dix ans durant une guerre terrible au nom de la lutte contre « le terrorisme islamiste. » Comble de l'humour c'est un pouvoir islamiste à forts relents djihadistes que l'Otan et la France ont installé dans le chaos libyen qui s'annonce à nos frontières. La guerre globale ne s'encombre pas de crispations idéologiques. Elle laisse cela aux élites des pays « du champs » où elle peut semer et récolter à son aise. Lectures: