Le régime de Tripoli craque de toutes parts. Pas loin qu'hier, le ministre du Travail libyen, Al Amin Manfur, a suivi l'exemple de son collègue du gouvernement, Choukri Ghanem, le ministre du Pétrole, en faisant lui aussi défection alors qu'il s'était rendu à Genève pour prendre part à l'assemblée de l'Organisation internationale du travail (OIT). L'information a été même confirmée par une représentante de la mission libyenne auprès de l'ONU. La défection, mercredi dernier, du ministre du Pétrole libyen, Choukri Ghanem, avait déjà porté un sérieux revers au colonel Mouammar El Gueddafi qui se trouve être aujourd'hui un homme des plus isolés. Ces deux «désertions», enregistrées en l'espace d'une semaine, s'ajoutent à celles de dizaines d'autres personnalités qui ont choisi de rejoindre la rébellion à l'image de Mustapha Abdeldjalil, ancien ministre de la Justice, Abdelfattah Younes, ancien ministre de l'Intérieur, ou de Moussa Koussa, ancien ministre des Affaires étrangères et également ex-patron des services de renseignement libyens. Le dirigeant libyen a récemment vu partir aussi le gouverneur de la Banque centrale libyenne, Farhat Ben Guidara, ainsi que des dizaines d'officiers de l'armée, dont cinq généraux. Ces derniers ont d'ailleurs appelé lundi dernier d'autres officiers à suivre leur exemple. Malgré ces affronts successifs, Mouammar El Gueddafi refuse toujours de quitter le pouvoir. Si toutefois la chute du régime d'El Gueddafi paraît inéluctable et proche au regard notamment de la pression militaire de plus en plus forte exercée par les troupes de l'OTAN sur ses milices, il n'est par contre pas sûr que l'élimination ou le départ du dictateur, au pouvoir depuis 42 ans, marque l'épilogue de la crise libyenne. De nombreux observateurs craignent, en effet, que l'absence d'un règlement politique ne soit, au contraire, de nature à ouvrir la voie à une «irakisation» de la Libye. La raison tiendrait essentiellement au fait que la Libye repose sur un système tribal dont les principaux acteurs ne pensent qu'à s'entretuer pour succéder au «guide» – les tribus exclues du pouvoir auront certainement à cœur de laver l'affront subi durant 42 longues années et de venger leurs morts. Les autres auront peut-être à cœur aussi de conserver le pouvoir – et que le congrès général du peuple, une structure supposée incarner l'Etat, est traversé par une multitude de courants opposés qui ne pensent aussi qu'à en découdre à la première occasion. Le CNT libyen, une composante hétéroclite Le professeur M'hand Berkouk, directeur du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS) et enseignant en sciences politiques à l'université d'Alger, doute fortement, en tout cas, de la capacité de l'actuel Conseil libyen de transition (CNT) à pouvoir fédérer, après la chute du régime d'El Gueddafi, les nombreuses entités qui composent la société libyenne et d'éviter ainsi le risque d'un conflit intertribal. Le premier point faible de la composante du CNT a trait à la question de la crédibilité et de la représentativité. Le fait que des personnes au passé (politique ou idéologique) très peu connu gravitent autour de cette structure pourrait être, demain, problématique. C'est pourquoi, d'ailleurs, de nombreux pays occidentaux hésitent encore à reconnaître le CNT comme «représentant légitime du peuple libyen». Deuxièmement, il est peu probable que l'opposition libyenne qui se trouve à l'étranger accepte sans rechigner que Mustapha Abdeldjalil et ses compagnons préparent seuls l'après-El Gueddafi. Cela, à supposer qu'il y ait une entente entre les membres de «l'opposition interne». Ce qui dans la réalité est loin d'être le cas. Au-delà, le professeur Berkouk pense également que le comportement des insurgés et de ce qui restera du régime d'El Gueddafi dépendra, pour une large mesure, de la feuille de route qui sera tracée par les pays qui se trouvent actuellement au «chevet» de la Libye. Mais dans tous les cas, M'hand Berkouk, qui est connu pour être un spécialiste du Sahel, estime que «la stabilité de la Libye n'est pas pour demain». Car en plus de la crainte d'assister à une prolifération des centres de la violence à l'intérieur même de la Libye, d'autres sources affirment qu'il y a aujourd'hui un risque réel que la crise libyenne attente à la stabilité de toute la région. Et la menace est d'autant pesante avec la présence d'AQMI, dont les éléments cherchent actuellement par tous les moyens à mettre la main sur une partie de l'arsenal militaire d'El Gueddafi. Tous ces ingrédients transforment pour ainsi dire la région en une véritable poudrière. Combien de temps reste-t-il à El Gueddafi ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, indique M'hand Barkouk. La chute du leader peut intervenir dans une semaine comme cela peut encore prendre des mois. El Gueddafi a encore les moyens militaires pour faire durer le conflit et pourquoi pas même l'exporter. Toutefois, M. Berkouk est d'avis que l'élimination d'El Gueddafi entraînera automatiquement l'écroulement du régime de Tripoli dans la mesure où le pouvoir s'appuie sur la personne d'El Gueddafi, sa famille et trois tribus. Les Occidentaux l'ont d'ailleurs tellement bien compris que l'OTAN s'est essayée ces derniers temps –même si cela a été démenti officiellement – à prendre spécialement pour cible El Gueddafi. Mais comme on vient de le voir, il est fort possible que cette solution ne soit pas le moindre mal comme on veut bien le faire entendre.