Une licence en droit, de la détermination à trouver un poste de travail, l'envie de s'en sortir : tout cela n'aura pas suffi à Abdallah, 30 ans. Après une semaine de calvaire à l'hôpital, il est décédé lundi dernier des suites de ses brûlures après avoir tenté de s'immoler par le feu. A Saïd Otba, son quartier, et même à Ouargla, c'est la consternation. Ce lundi 14 novembre, Abdallah avait soigné sa tenue et revêtu sa belle veste en sky. Il devait se présenter pour un poste promis par le directeur de l'emploi de la wilaya. En apprenant que ce poste n'existait pas, dépité le jeune chômeur de 30 ans est redescendu dans la cour de la cité administrative. Il s'est aspergé d'essence et s'est immolé. Le feu n'a pas pu être maîtrisé, si bien que Abdallah est tombé à plusieurs reprises dans les escaliers en cherchant à fuir. Faute d'extincteur dans les environs, les policiers, impuissants, le regardaient brûler. La suite est plus sordide encore : brûlé au troisième degré, il passera deux jours à l'hôpital de Ouargla, cinq autres à Douéra. Abdallah, déshydraté, a succombé à ses blessures, lundi dernier à 5h15, soit une semaine après. «Vous voyez bien cheikh, je n'ai fait que demander un boulot ! a-t-il déclaré au wali à l'hôpital de Ouargla. J'ai 30 ans, je n'ai rien. Je dépends de mes parents. Je n'ai pas demandé l'impossible, juste travailler, même pour 12 000 DA.» Abdallah n'était pas un jeune désœuvré, sorti trop tôt de l'école, englué dans la misère. Il était issu d'une famille de ce qu'on pourrait appeler la classe moyenne, habitait une maison spacieuse offrant toutes les commodités, où il avait sa propre chambre. Titulaire d'un baccalauréat lettres passé à Batna, où il était détenu à la prison de Lambèse pour participation au vol d'un pneu et d'un poste radio à l'âge de 18 ans (il a toujours clamé son innocence), il est revenu à la vie civile en 2004, déterminé à poursuivre des études de droit et devenir avocat. Titulaire d'une licence en droit et d'un certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA), la fréquentation des tribunaux et des cabinets d'avocat avait remis ses choix de carrière en question. Politisé, il pensait que la justice n'avait aucune autonomie de décision. Déçu par les injustices vécues par certains proches, il décida de changer de cap. Abdallah bénéficia d'un contrat d'administrateur à la direction des impôts de Ouargla, où il passa deux ans dans le cadre du dispositif d'intégration professionnelle des jeunes diplômés (DAIP). Son salaire mensuel : 12 000 DA. «Abdallah était un garçon pieux et aimant, dont le seul souci était de travailler. Il tenait à rattraper le temps perdu en prison en réussissant ses études. Il voulait défendre les plus démunis…», témoigne Khaldia, sa mère, très digne, les larmes aux yeux. C'est à la fin de son contrat que Abdallah a renoué avec le chômage. En juin 2011, il participe au sit-in de deux mois organisé par une dizaine de chômeurs devant le siège de la wilaya. C'est lors d'une brève rencontre avec le wali que ce dernier lui conseille de suivre le parcours administratif normal, à savoir s'adresser à la direction de l'emploi. Après quatre mois d'attente, le directeur de l'emploi lui promet un poste au lendemain de l'Aïd El Kébir. «Mon frère vivait mal son chômage, il nous ménageait beaucoup, nettoyait derrière lui, ne laissait rien traîner pour ne pas nous déranger», raconte sa petite sœur Zohra. Le décès tragique de Abdallah n'a pas seulement détruit sa famille, il a plongé Ouargla dans l'émoi. Choqués par la fin dramatique de celui qu'ils décrivent comme «un bon fils», «un bon frère», «un bon camarade» et un «bon employé», les habitants confient aussi que sa mort marquera un tournant dans leur vie. En particulier les jeunes qui «ne voient plus d'un même œil la vie, les études, le chômage, le travail et la gestion des affaires de la cité». Depuis le 14 novembre, malgré l'attitude du wali qui a assuré la prise en charge médicale immédiate du défunt, son transfert vers l'hôpital de Douéra et l'affectation d'une ambulance du ministère de l'Intérieur pour l'évacuation de sa dépouille vers sa ville natale, Ouargla encaisse un nouveau coup dur. Elle qui boucle sa huitième année de révolte contre l'inégalité des chances devant l'emploi pétrolier et la gestion maffieuse de ce dossier. «Une rencontre non programmée à l'hôpital de Ouargla et une poignée de main après les obsèques», voilà à quoi se résume le contact de la famille Q'bili et le premier responsable de la wilaya, «au moment où aucun élu, ni député ou sénateur n'a encore présenté ses condoléances à la famille, y compris le président de l'APW de Ouargla». La gestion du dossier de l'emploi, qualifié depuis 2004 de bombe à retardement, a montré ses limites, tout comme les déclarations et les mesures prises par les gouvernements successifs. Le maintien des agences de sous-traitance, le clientélisme et autres abus de pouvoir mais aussi et surtout l'exclusion de la main-d'œuvre locale du fait même de sa sous-qualification ou par simple délit de faciès : tout ce que les chômeurs dénoncent n'a jamais autant pesé. Aîné d'une fratrie de sept membres, Abdallah sera sans doute classé comme une victime collatérale par les autorités, une vie de plus fauchée par la bureaucratie. La famille compte poursuivre le directeur de l'emploi et attend des mesures de de la part de l'administration.