Salima Ghezali Mardi 13 Décembre 2011 Effet collatéral le plus perceptible du « printemps arabe », le rapport, entre action politique et inféodation à des forces étrangères, qui a fait les beaux jours de toutes les inquisitions, est réactivé sur tous les fronts. Depuis toujours omniprésente, dans les discours officiels sous le label de « la main de l'étranger » et, dans la vox populi sous le label de « ouled De Gaulle », la peur de la trahison a, depuis l'intervention de l'OTAN en Lybie et les dérapages violents en Syrie, été réactivée, auprès du pouvoir et de l'opinion publique, de manière schizophrénique. Le pouvoir, partagé entre la panique phobique suscitée par la mort de Kadhafi et l'habitude de surfer sur la fabrication de « l'ennemi intérieur », ne sait plus que recourir aux mêmes vieux réflexes dans un corps, doublement amoindri, par la crise et par la peur. Tandis que l'opinion, encore sous le traumatisme de la sale guerre des années 90, reste convaincue de la disponibilité, du Pouvoir comme des islamistes ou des politiques en général, à l'entrainer dans un nouveau cycle infernal. En Algérie, peut-être un peu plus qu'ailleurs, la question de la trahison et de la menace que fait peser sur le pays la présence d'un « ennemi intérieur », est le vrai-faux barrage à l'élaboration d'un réel espace politique national et souverain. Sans souveraineté du politique garantie par un véritable Etat de Droit pourtant, la souveraineté nationale n'a aucune chance de signifier autre chose que la guerre permanente contre cet « ennemi intérieur » dont les contours peuvent changer ; au départ c'étaient les forces hostiles à la révolution, puis ce sera tantôt l'islamiste tantôt le laïc, parfois le civil et parfois le militaire et ponctuellement le régionaliste, tandis que le résultat reste le même : Faire du pays un immense barrage à lui-même. Il se trouve que, se faire soi-même la guerre, n'a jamais empêché les autres de nous la faire. Des millénaires de déchirements internes, ponctués par des invasions étrangères peuvent, en témoigner. Le seul résultat tangible de cette vision du monde, est le maintien du pays dans un état de débilité avancée qui banalise les pires travers. Très bavards dés qu'il s'agît de se vanter de notre résistance à l'invasion étrangère, nous devenons étrangement silencieux quand il s'agît d'expliquer pourquoi nous avons si souvent été envahis. Ni pourquoi la trahison serait, en nos contrées, plus facile qu'ailleurs. Héritiers d'une histoire fertile en agressions féroces, nous héritons également des conduites façonnées par ces agressions. Mais nous n'en tirons pas les enseignements. Ce que « la bleuite » a coûté au pays n'a jamais été analysé, quantifié et pensé de manière à la fois rigoureuse et responsable. Seul est resté le traumatisme. Et c'est sur ce dernier qu'est venue se greffer une vision des plus contestables du pouvoir. A mettre les quelques pages qui ont été rendues publiques des mémoires de Bentobal en perspective avec le processus de fabrication de l'ennemi intérieur tel qu'il ressort de l'analyse du Mc Cartysme, qui a, dés l'origine, imprimé son empreinte à la conception du pouvoir en Algérie, on devine l'ampleur des dégâts. Sans autre politique que le sempiternel ralliement contre la menace étrangère, le pays multiplie les conflits et les saignées internes, sans rien préserver ni rien prémunir. Exemple caricatural de cette situation doublement tragique, la prestation du ministre des Affaires Etrangères algérien, devant le sénat français, a mis au jour les limites d'un exercice du pouvoir qui a abusé, jusqu'à la bouffonnerie, de son mépris du politique. L'incompétence manifeste, voire l'ignorance sidérante du ministre des affaires étrangères, qui ne sait même pas pourquoi les « indigènes » que nous étions n'avaient aucune chance de devenir des citoyens européens, illustre le niveau atteint par le délitement institutionnel. Cette incompétence n'est coupable que d'avoir accepté un poste pour lequel, de toute évidence, aucun autre talent que la soumission au pouvoir n'a été requis. Ce n'est pas seulement le ministre qui n'est pas intelligent, c'est le pays qui n'a pas de politique. Donc aucune intelligence des enjeux. Toujours dans ces mêmes fonctions de ministre des Affaires Etrangères, un prédécesseur de Mr Medelci aux talents oratoires autrement plus développés, n'avait rien trouvé de mieux que de dire dans les années 90 à ses homologues occidentaux : « nous menons cette guerre contre le terrorisme pour vous » ! Aucun mensonge diplomatique n'a jamais été aussi vrai ! Car s'il est peu probable que le pouvoir algérien ait fait -délibérément -le choix de la guerre en 1992 pour servir les gouvernements occidentaux, le résultat vingt ans plus tard, est que ces derniers en ont été les principaux bénéficiaires. Politiquement, économiquement et stratégiquement. L'Algérie ayant, entre temps, perdu des vies, des ressources humaines irremplaçables et dilapidé des richesses et du temps, pour se retrouver dans une situation de faiblesse encore plus grande. Comble de l'ironie, ces mêmes occidentaux qui n'ont pas tari d'éloges sur les « résultats de la lutte contre le terrorisme » envoient des messages très clairs quant à la disponibilité des tribunaux internationaux à s'occuper de tous les dirigeants impliqués dans des crimes de guerre. Et au lieu de décoder correctement le signal, en se libérant du boulet de ces années – là, par une solution nationale, à la fois souveraine et garante de souveraineté, nous voici repartis pour un énième épisode de bricolage autour de la fabrication de l'ennemi intérieur. Herbert Block, le caricaturiste américain, qui inventa le terme de Mc Cartysme en 1950 quand il fut enfin identifié comme un procédé politique détestable, écrivait dans « La menace du Mc Cartysme » : « Dans la mesure où le maccartysme encourage un conformisme de la pensée, à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement, un profond et durable préjudice serait alors causé à la nation. » Ce conformisme de la pensée a rendu dérisoires tous les discours des dirigeants arabes sur la souveraineté, quand ont été mises à nu ces fictions économiques, politiques et militaires que sont des institutions qui ne reposent pas sur l'adhésion des citoyens à une politique librement consentie.