En lisant un quotidien algérien quelconque, bien malin qui pourrait au premier abord dire dans quel siècle il se trouve. Le « plus gros scandale de l'histoire » affiché en une de tel journal est-il d'actualité ? Ou bien est-il une redite du même scandale déjà vécu vingt fois au millénaire passé ? La mort de tel numéro 2 d'Aqmi est-il d'hier ou bien est-ce une réminiscence d'une décennie qui n'a gardé du spectre de la couleur que le rouge ? Il en va d'ailleurs des événements comme des hommes. Si la maladie n'avait à ce point défiguré Bouteflika, nul ne saurait à qui on a affaire, l'artisan rabougri du désastre actuel ou le fossoyeur de l'indépendance algérienne il y a 50 ans. On ignore si les images du Premier ministre qui passent à la télé sont bien de maintenant ou s'il s'agit d'archives d'une décennie lointaine. Oui, les Algériens revivent le même cauchemar encore et encore et leurs bourreaux terrassés renaissent chaque fois de leurs cendre, plus acharnés que jamais. La routine. Si bien que lorsque le ministre algérien des « Ancien moudjahidine » relance pour la énième fois son projet fétide de loi sur la criminalisation de la colonisation, au hasard des sujets qui occupent la classe pseudo-politique algérienne, cela passerait presque inaperçu. Hélas, si les Algériens se contentent d'ignorer avec superbe les éructations de Mohamed Chérif Abbas et de ses comparses, ce discours trouve un écho retentissant en France, auprès des relais de cette sordide dictature. Ecoutons un peu Jean Daniel, du Nouvel observateur, réagissant à la loi sur le génocide arménien : « Nous entrons […] cette année dans la période où vont se multiplier les manifestations pour rappeler le cinquantenaire de l'accession de l'Algérie à l'indépendance […]. On retiendra surtout que l'Algérie, après 120 ans de colonisation et sept années d'une guerre atroce, est devenu un Etat libre, souverain et indépendant. Chacun a des souvenirs douloureux de cette période et la mémoire de ces douleurs provoque […] des divisions blessantes. Il se trouve que certains représentants des autorités algériennes ont cru parfois exiger de la France une repentance et considéré les différentes répressions françaises comme un génocide. Ce n'était donc pas le moment, surtout pas, de parler de génocide dans une affaire où la France n'est aucunement partie. […] Qu'il ne se soit trouvé personne, ni parmi les socialistes ni parmi les gaullistes, pour recouvrer le sens de l'Etat, c'est vraiment une triste manière de célébrer la fin de l'année. […] Tout cela est confus, tourmenté, délicat, et réclame des analyses, des discours et des décisions à prendre par des hommes qui ont à la fois le sens de l'honneur, le sens de l'histoire et le sens de l'Etat. Où les trouver désormais ? » Passons sur le fait que, moins que tout autre, les « socialistes » – entendre par là les ténors du PS, que Jean Daniel assimile avec un certain dilettantisme au socialisme et, souvent, avec la « gauche » – n'ont aucun intérêt à brasser la mémoire, tant elle serait cruelle à leur égard. Pas simplement le souvenir de l'épisode Guy Mollet et consorts, mais celle de François Mitterrand et sa brigade de conseillers, Jacques Attali, Jack Lang et autres accolytes associés, qui sont coresponsable de la dérive de l'Algérie récente vers la barbarie. Passons aussi sur « les mémoires douloureuses et compétitives sur l'Algérie [qui s'opposeraient] dangereusement. » Cela est faux. Nulle mémoire n'est plus dangereuse que l'amnésie. Et les mémoires ne s'opposent nullement ; c'est le traitement distordu des faits par les médias – au premier rang desquels le Nouvel observateur – qui fait naître ce danger. Un danger que Jean Daniel voudrait colmater en exhortant le monde entier de tout oublier ; un comble pour un patron de presse ! Mais nous ne sommes pas à un paradoxe près, dans le torrent bourbeux de la relation douteuse entre l'Algérie et l'élite française. Jean Daniel, fait Docteur Honoris causa de l'université algérienne par Abdelaziz Bouteflika, nous apprend ainsi, après soixante ans de chroniques sur l'Algérie, que pour lui « Tout cela est confus, tourmenté, délicat, et réclame des analyses ». À qui la faute, pourrions-nous dire ? Qui, depuis un demi-siècle, a eu la possibilité de communiquer au public les éléments censés l'éclairer, sinon l'auteur de cet aveu terrible ? Ainsi donc, depuis tout ce temps, contrairement à ce que d'aucuns auraient pu penser, Jean Daniel, le sage parmi les sages, le fin du fin de l'élite intellectuelle française, auteur d'un déluge d'ouvrages et d'un océan d'articles, ne désinformait pas ! Peut-être qu'au final était-il simplement… ignorant. Il ne s'agit donc pas d'abandonner à leur ignorance un si respectable personnage et toute la brigade de journalistes, de directeurs de publication, de rédacteurs en chef, d'experts en tous genres qui animent son hebdomadaire et les deux sites adjacents ; ils pourraient continuer à commettre tant d'impairs, à occulter, désinformer, cultiver les demi-vérité à l'insu de leur plein gré. Et ce serait bien dommage ! Voici donc quelques éléments d'analyse dont le Nouvel observateur peut puiser à sa guise pour voir un peu moins flou, un peu moins confus dans cette réalité si délicate. Un bref rappel historique pour commencer. Le 18 mars 1962, soit la veille de la signature du cessez-le-feu, il y avait entre 10 000 et 15 000 maquisards, selon les sources provenant des armées française et algérienne. Au mois de juillet 1962, au moment du référendum sur l'autodétermination, il y en aura 30 000. Ceux qu'on appellera « marsiens », en référence à leur ralliement à la révolution après le cessez-le-feu du 19 mars, sont les principaux acteurs des exactions sur les pieds noirs, notamment dans l'Oranie, et sur les harkis. Cinquante ans après, alors que la grande majorité des authentiques anciens maquisards sont décédés, leurs effectifs ont proliféré au point qu'on en recense désormais plus de 80 000. La majorité d'entre eux, au moment de la guerre, se trouvaient au mieux dans le berceau. Autant dire que Mohamed Chérif Abbas, ministre des Anciens moudjahidine, qui entonne régulièrement cette ritournelle, est un faussaire, à la tête d'une bande de canailles qui n'ont à l'esprit que de profiter d'une rente aussi généreuse qu'indue. Les paroles de Mohamed Chérif Abbas n'engagent donc pas les Algériens. Pas davantage que lorsque Bigeard ou Bugeaud parlaient de l'Algérie du temps de la colonisation française ils n'engageaient les « indigènes » qu'à leur corps défendant. Monsieur Mohamed Chérif Abbas est l'un des agents d'un Etat colonial qui a réduit le peuple en servitude dans une plus grande mesure que du temps de la présence française. Il est l'une des tumeurs les plus apparentes d'un cancer qui gangrène ce pays depuis un demi-siècle. Il n'y a donc pas lieu de s'offusquer outre mesure de ses gesticulations. D'ailleurs, que Jean Daniel se rassure, cette loi, qui est dans l'air depuis 1962, ne verra jamais le jour. Le régime algérien ne votera pas une loi qui compromettrait le soutien indéfectible que lui accorde le pouvoir français ; un soutien qui constitue le socle de son existence, aux côtés d'un terrorisme d'Etat qu'il fait déferler sur la population chaque fois que celle-ci s'aventure à soulever la tête. Il s'agit simplement de théâtre de dupes, pour noircir quelques pages de journaux et qui n'aura aucune suite. Jusqu'au prochain épisode où Mohamed Chérif Abbas jugera opportun de refaire parler de lui. Bref, les paroles de Mohamed Chérif Abbas n'ont de valeur que celle que leur accorde la presse française. Laquelle, tout en faisant mine de s'agacer de ces insolents rappels à l'ordre, continuera à offrir son indéfectible soutien à ce régime terroriste. Une pièce de théâtre en trompe-l'œil. Les acteurs sont faux. Ils ne reçoivent pas le salaire de leur labeur mais des rémunérations hautement plus généreuses, fruit de la spoliation du peuple algérien. Le public lui n'existe pas. Il a déserté les salles depuis longtemps. Alors, pour applaudir ces faux acteurs, qui déclament les partitions que lui soufflent les vrais décideurs, il faut un faux public, pour faire bonne figure. C'est ce rôle là que joue Jean Daniel dans cette mascarade, réagir à cette fausse proposition de loi, pour donner l'illusion que derrière Mohamed Chérif Abbas se trouve un peuple fanatisé prêt à sortir de la jungle le couteau entre les dents. Bon gré mal gré, les élites institutionnelles et les experts médiatiques française fermeront les yeux sur tous les crimes de la junte militaro-affairiste. Non par affinité, ni par volonté de nuire à son peuple ou par masochisme, mais par obligation. Tout ce beau monde qui se drape de vertu, qui se gargarise de liberté, de droit, de démocratie, le pouvoir algérien le tient à sa merci. Lorsque ce ne sont pas les journalistes et les animateurs de premier plan qui ont été nourris à la « mallette », ce sont leurs patrons qui sucent aujourd'hui même la substantielle moelle du sous-sol algérien. Il est difficile d'apporter les preuves tangibles de cette corruption de grande ampleur. Pour cause, ceux qui détiennent les photos, les cassettes, les doubles des chèques et des virements, ce sont les généraux algériens, qui se garderont bien de les produire ; tout au moins tant que la mémoire courte reste la panacée de la presse française. Mais, il n'y a pas de fumée sans feu, tout comme on ne saurait imaginer une pluie sans nuages ; il suffit donc de se caler dans son siège et d'assister en direct aux conséquences de ces concussions monstrueuses. Les six prochains mois nous offriront un spectacle de choix… Nous approchons en effet des célébrations du cinquantième anniversaire de ce qu'on a coutume d'appeler Indépendance. Dans les journaux, sur les plateaux de télévisions, des radios, on verra se relayer la même caste incontournable des « experts » médiatiques qui ont failli à nous éclairer depuis des décennies. On entendra les mêmes raisonnements éculés, les mêmes contresens historiques abrutissants. Des dizaines d'ouvrages vont fleurir dans les vitrines. Il n'en sortira hélas rien qui permette de déchirer le voile sur plus d'un demi-siècle de mensonge et d'occultation. On ne saura notamment rien sur cette passation de pouvoir étriquée de 1962 où un pouvoir colonial a cédé la place à un autre. On ne saura rien sur le fait que Ahmed Ben Bella, l'homme qui a spolié les Algériens de leur liberté avant qu'ils aient eu le temps d'en apprécier la saveur, était sans l'ombre d'un doute un agent en mission du général de Gaulle. À titre d'exemple, l'incontournable Jean-Pierre Elkabbach recevait récemment quelques autres incontournables de cette mémoire martyrisée pour lancer une « série d'émissions sur l'Algérie […] qui donnera les clés pour comprendre ». On y apprend ainsi que Benjamin Stora était Constantinois, que Alexandre Arcadi était Algérois de la basse Casbah, que Mohammed Harbi était emprisonné par Boumediene (Il fallait être sourd, muet et dans le coma depuis trente ans pour que tout cela nous ait échappé depuis le temps où on nous le ressasse !) Et, sortis de ces salamalecs confondants, abordant l'un des rares épisodes convenablement traités de cette affreuse guerre, l'assassinat de Abbane Ramdane, et l'identité de ses assassins, nous avons droit à cette réaction consternante : « C'est difficile à dire… Moi, je ne peux pas… Honnêtement, il y a des tas de noms qui ont été avancés… » Ainsi parlait Benjamin Stora, l'un des historiens auxquels nous devons à peu près tout ce que nous savons de cette histoire épineuse. Le traitement de l'histoire algérienne, passée et présente, de son devenir politique, de son actualité brûlante même, est ainsi sous l'emprise d'une poignée d'individus qui trouvent « difficile à dire » les vérités les plus triviales. Pour avoir le droit de parler, il faut savoir rester dans les clous. Et pour faire partie de la bande, il faut un sauf-conduit, une estampille, une préface, un adoubement en bonne et due forme. Il faut montrer patte blanche. Pour avoir le droit de débattre, il faut entrer en religion. De préférence, s'engager à ne rien dire. Mais le dire bien. Pour se faire publier, les Algériens désireux d'échapper à toute « tutelle stérilisante », pour emprunter les mots de Mouloud Mammeri, doivent se contenter du « maquis », Internet. Ils doivent écrire clandestinement, hors des circuits autorisés. En parias. La France, terre des Lumières, ses institutions, ses médias, sa diplomatie, sa police, sa justice même, sont des courroies de transmission de la dictature algérienne. Conséquence, l'opposition algérienne, potentiellement forte de quelques millions d'individus nourris à la mamelle de la liberté, s'y est totalement évaporée. Songez que les seules voix auxquelles les Algériens ont droit dans ce monde médiatique clos, ce sont celles de Mohamed Sifaoui et Yasmina Khadra. Deux superbes impostures, mais auxquelles tous les plateaux de France sont ouverts, et qui peuvent diffuser leur abjections sans contradicteur. C'est dans ce monde verrouillé qu'émergerait la vérité ? Inconcevable ! Pourquoi la France s'embourbe-t-elle ainsi dans une relation ahurissante avec un régime aussi infréquentable, qui se découvrira un jour ou l'autre comme la honte de l'humanité ? Des raisons objectives avancées, il y en a quelques-unes. La peur de l'islamisme. La certitude forgée par des individus comme Bernard-Henri Lévy, Daniel Leconte, Philppe Val et consorts, bien secondés par quelques « plumes indigènes » bien récompensées, que l'Algérie livrée à la démocratie basculerait dans la talibanisation. Qu'après elle succomberait la Tunisie, puis le Maroc et, partant, tout le continent. Une vague barbare déferlerait alors sur l'Orient avant d'avaler le monde. C'est à l'aune d'âneries de cette sorte que le peuple algérien a été décrété inapte à la liberté. Et voué sine die à la servitude. Un mépris, un racisme sans vergogne, qui prend des peuples pour des dominos, juste bons à être dominés. Notons que le Parlement algérien héberge aujourd'hui quelques-uns des pires intégristes radicaux d'hier, que le Premier ministre a été à une époque en la personne de Abdelaziz Belkhadem un parfait prototype de l'intégriste obtus, bête et méchant. Mais tout cela ne dérange personne dès lors que les citoyens algériens ont été mis hors d'état de nuire. Entendre qu'ils ne peuvent plus empêcher quiconque de pomper du pétrole, de détourner des milliards en rond. Le souci de stabiliser la région. La réalité, c'est que cette région est, du fait du régime militaire algérien, une gigantesque poudrière. Que cette junte est le seul obstacle à la normalisation de cette région qui est constituée d'un seul et même peuple. Non seulement l'Algérie a la stabilité du TNT, mais ce pouvoir étend son influence néfaste aux pays sub-sahariens. Le Mali, le Niger, la Mauritanie vivent sous la férule de l'Aqmi, le bras armé du DRS, le détenteur du pouvoir algérien. Une influence qui ne tend pas à diminuer, mais au contrarier à s'étendre. Les récents attentats au Nigeria en sont une parfaite illustration. Le souci de préserver le pré carré économique français. Hormis quelques prédateurs en chef au rang desquels Bouygues, Total et autres sociétés du CAC-40 dont les bénéfices profitent peu au peuple français et beaucoup aux Fonds de pensions américains, la France a perdu toute influence économique d'envergure dans la région. Et cela ne va pas aller en s'arrangeant. La peur de bombes. La France a cru pouvoir se garantir la sécurité en se mettant sous la tutelle d'un régime criminel. Le jour où, en 1995, Alain Juppé a décidé de contester cette influence exorbitante, les bombes ont ensanglanté Paris. Michel Rocard et Lionel Jospin ont un temps clairement exprimé que leur parole était « contrainte ». Et la France soumise et docile face à un Etat terroriste. Voilà donc quelques arguments « pragmatiques » énoncés pour justifier l'injustifiable. Hors de ces raisons officielles, que reste-t-il ? Une France en état de soumission permanente, victime de chantage. Car les généraux algériens ont entre les mains une bombe pire que la dynamite. Les preuves de mallettes par milliers dont ont profité des hommes politiques français, des journalistes, des philosophes, des entrepreneurs véreux. Ces pratiques, aux proportions effarantes – on parle du rapt de l'un des sous-sols les plus riches au monde –, si elles devaient être dévoilées, engendreraient un séisme qui bouleverserait le paysage politique français actuel. Mais, que l'on se rassure, cette dynamite restera à jamais inerte. Parce que dévoiler de telles vérités équivaudrait pour le régime militaire algérien à se tirer une balle en plein cœur. C'est pour la même raison que Monsieur Abbas n'ira pas plus loin dans ses gesticulations. Cette arme, le régime algérien continuera de la brandir chaque fois que la France fera mine de se rebiffer, mais il se gardera bien de la faire exploser. Comme toutes les armes de dissuasion, celle-ci est conçue pour ne servir jamais. Tout en assurant à son détenteur de parvenir à ses fins. La France devra soutenir ce régime quoi qu'il lui en coûte. Et les médias devront continuer à fermer l'œil, se boucher les oreilles sur une réalité qui dépasse de loin les affres du régime de Ben Ali, de Moubarak, d'El-Assad et de Kadhafi réunis. Et on continuera à voir Alexandre Adler profiter de chacune de ses interventions, en missionnaire infatigable, vanter les mérites des militaires algériens qui, selon lui, ont préservé le pays des griffes du terrorisme islamiste. Il continuera à louer le courage de Charles Pasqua qui, à l'entendre, a eu raison de contourner les embargos internationaux pour envoyer des hélicoptères de combat et des armes stratégiques à la junte militaire. Que ce soit du haut d'un de ces hélicoptères que les moines de Tibhirine ont été mitraillés est, somme toute, secondaire, au regard du gain considérable que rapporte cette petite « bavure » à des lobbies influents. Le silence, l'amnésie, voilà ce à quoi nous invite Jean Daniel. Une amnésie d'autant plus confortable que nul n'est en mesure de rappeler à ces observateurs émérites qu'un pays existe à une heure au sud de Marseille, qui vaut bien quelques lignes, quelques dépêches, quelques brèves dans les bandeaux défilants des chaînes d'infos en continu. Tout se passe comme si ce pays n'existait plus. Khaled Nezzar a été interpellé en Suisse il y a deux mois de cela. Mis en examen par un juge pour torture. Cela aurait dû retentir comme une bombe ! Rien dans les médias français . Pas le soupçon d'une moindre brève de rien du tout. Un non-événement ! Pourtant, en Algérie, c'est le branle-bas de combat. Pour le régime, il faut sauver l'adjudant Nezzar, pour éviter la saignée qui en découlerait de fil en aiguille. On initie donc une pétition, prenant fait et cause pour ce dernier et sommant la justice suisse, coupable de lèse-tyran, de cesser cette entrave manifeste à la liberté. C'est que Nezzar à besoin d'aller et venir pour profiter du fruit de 30 ans de détournement de pays ! On peut imaginer que les candidats n'ont pas dû être légion, pour apposer de façon indélébile leurs noms aux côtés de celui de cet égorgeur public. Et l'on peut donc subodorer que les pressions ont été « franches et cordiales ». Nous voyons alors apparaître la liste de tous ceux qui ne peuvent rien refuser au DRS, sous peine de payer l'épaisse facture de leurs lourdes compromissions. La démarche a au moins une vertu ; elle pousse le DRS à liquider ses intellectuels jetables et à en livrer une liste en pâture. L'amoralité des personnes concernées est notoire. Elle se mesurera désormais à l'aune de cet affichage aux côtés de Khaled Nezzar qui, depuis 1992, est « responsable » de la mort de plus de 150 000 Algériens et plusieurs dizaines d'étrangers. Une poignée d'individus, moins de 200, un échantillon de ce que l'Algérie a nourri de vil, de peu scrupuleux, de corrompu, de faussaire en tous ordres, de plagiaires, de résistants plus ou moins faux, de traîtres inauguraux, de militants démocrates qui n'ont jamais fait illusion, une cohorte sinistre qui s'interpose face à la justice suisse, au nom de…, au nom de tous les Algériens ! À peu près les mêmes ont, dans le cadre du CNSA, usurpé la parole du peuple algérien pour exhorter il y a vingt ans Khaled Nezzar à réaliser le coup d'Etat « janviériste ». Les crimes les plus odieux contre le peuple ne se commettent-ils pas au nom du peuple ? En novembre, trois Européens ont été enlevés sur le territoire algérien. Le grand public ne l'a appris qu'un mois après, subrepticement, à l'occasion de la visite en décembre de Claude Guéant à Alger, suivie par la publication de leurs photographies sur Internet. La presse n'en a pas soufflé mot . Sans doute au nom de la protection des victimes, évidemment ; comme l'attentat de Karachi, dixit Sarkozy, ne doit en aucun cas être mis sur le compte d'une quelconque malversation à laquelle serait mêlé Sarkozy, au nom du « respect » que l'on doit « aux victimes, voyons ! ». Quant à la diplomatie entre les deux pays, depuis près de trente ans, elle relève non pas du Quai d'Orsay mais du ministère de l'Intérieur. Cette visite, qui aurait dû mobiliser tous les éditorialistes, est quasi passée sous silence. Les questions à l'ordre du jour qui pourraient intéresser les lecteurs ne manquent pourtant pas ! Des ressortissants français enlevés dans le Sahel, les intérêts français menacés dans la région. L'élection présidentielle à venir où Nicolas Sarkozy se verrait bien en serial-libérateur. L'ennemi intime des généraux, Alain Juppé, revenu en grâce. Les révoltes arabes qui pourraient bien se propager à l'Algérie pour peu que l'étau se desserre sur la parole « contrainte » de la France, etc. Et si le petit peuple est nourri de propagande anti-islamiste, le pouvoir français lui n'ignore rien de la réalité de ce « terrorisme » qui maintient le bassin minier le plus riche de la planète sous la coupe d'une centaine de « fous de Dieu » en guenilles. Il n'ignore rien de l'identité de ceux qui ont tiré sur les moines de Tibhirine. Il n'ignore rien sur ceux qui ont fait exploser les bombes à Paris et sur l'identité de leurs commanditaires. Il n'ignore rien sur les planificateurs du meurtre d'Ali Mécili. Il n'ignore rien des richesses détournées par cette cohorte maudite. Alors, épisodiquement, il lui vient l'idée de vouloir peser sur le cours des choses. Les loufoqueries de Abbas sont alors l'ébauche de la réponse du berger à la bergère. Une réponse qui impose instantanément silence à la France. Nous avons assisté depuis cinquante à la lente agonie de l'Algérie. Ce qui se dessine depuis quelques années, c'est une France qui vit en accéléré les affres par lesquels l'Algérie a sombré. Depuis cinquante ans, le FLN, masque derrière lequel sévit un concentré d'Etat voyou, diffuse son poison en se drapant de mensonges et de démagogie, de manipulation, de nationalisme ridicule et de lyrisme cabotin. Durant les années 1980, sous la cohabitation Mitterrand-Chirac, se sont consolidés les liens mafieux entre ces deux pays. Des liens économiques où la corruption a pris des proportions affolantes. Des liens au niveau des services de sécurité où la France a mis entre les mains des services secrets algériens le soin d'assurer la quiétude des Français. Aujourd'hui, la contagion est opérationnelle. On assiste à une flagrante FLN-isation du pouvoir français. Alors que son peuple est soumis à une avalanche de « lois » et de « réformes » destinées à le mettre à genoux, sans défense face à des ennemis intouchables, le pouvoir s'essaie à la délinquance internationale. Et à nourrir une mémoire à deux visages, garante de confusion, ferment de chaos. D'un côté, le gouvernement Sarkozy pose des scellés définitifs sur les archives françaises, interdisant leur accès aux chercheurs et aux historiens, enterrant à jamais les secrets mortels qu'elles renferment sur la réalité du pouvoir algérien, des traîtres à la cause du pays sur lequel ils règnent en maîtres ; de l'autre, il décide de légiférer sur le génocide arménien. Il faudrait, pour être logique avec la démarche, et cela dans tous les pays du monde, une loi analogue sur les crimes de Vichy, sur ceux du régime stalinien, sur l'extermination des Indiens d'Amérique, sur les affres des guerres napoléoniennes, sur les massacres des Conquistadores, sur les victimes de l'Apartheid, sur le génocide au Rwanda, sur les crimes coloniaux en Afrique, et sur tous les massacres à grande échelle qui jalonnent l'épopée humaine. La diplomatie internationale en deviendrait alors totalement impraticable. Et la parole passible de prison. Le but de toutes ces gesticulations n'est pas de faire avancer la vérité ; il est de rendre impossible son émergence. Il n'est pas de jeter la lumière sur le passé ; il est de maintenir dans les ténèbres les crimes contre l'humanité qui se perpètrent aujourd'hui même en Algérie. Et ceux qui font mine de tomber dans le panneau sont les complices de la manœuvre. Le peuple français n'est pas responsable des affres du colonialisme. Ses élites politiques et médiatiques sont en revanche parties prenantes du colonialisme à l'œuvre en ce moment même en Algérie. Un colonialisme qui fait deux victimes : le peuple algérien bien sûr, mais le peuple français aussi, qui ne reçoit de cette compromission honteuse qu'éclaboussures nauséabondes, enlèvements et éclats des bombes. Le devoir de mémoire, c'est l'œuvre permanente des élites, des intellectuels, des historiens, des journalistes, des chercheurs, des témoins, des particuliers. Si les politiques doivent un jour intervenir, pour inscrire dans la mémoire collective un repentir, celui-ci doit couronner un travail en profondeur qui est l'apanage des peuples concernés, dans toutes leurs dimensions. Il ne saurait en aucun cas le précéder ; encore moins s'y substituer. Sauf à vouloir ensevelir sous des tonnes de débats stériles et d'élucubrations les problématiques qu'on prétend assainir. Mohamed Chérif Abbas n'a pas plus de légitimité à parler du passé colonial de la France que Nicolas Sarkozy en a de légiférer sur le génocide arménien. L'une et l'autre démarche ne tendent qu'à remuer les couteaux dans les plaies, pour des intérêts ponctuels, personnels, mesquins. Elles visent à faire naître des antagonismes là où il n'y en avait pas. Dans quel objectif ? C'est tout cela que les médias devraient chercher à dévoiler et c'est précisément ce qu'ils ne font pas. Comme Jean Daniel, bien des témoins de cette histoire tourmentée ont failli. Devant l'histoire, ils seront condamnés. Tous n'ont cependant pas eu à leur service un hebdomadaire qui pouvait, 52 fois 50 ans, faire connaître dans le détail une histoire qui aurait permis aux souffrances de s'apaiser, aux deuils d'être menés, aux peuples de fonder des relations constructives. La peine qu'éprouve Jean Daniel devant ce gâchis n'est rien, comparée au malheur des millions d'individus dépossédés de tout. C'est l'injure du bourreau à sa victime agonisante. Car, avant de chercher des « des hommes qui ont à la fois le sens de l'honneur, le sens de l'histoire et le sens de l'Etat », Jean Daniel ferait bien de réanimer dans on propre journal les vertus qui sont celles, primaires, du journalisme. La déontologie dont l'un des canons exige que le journaliste ne soit l'auxiliaire ni d'un parti ni d'une police, encore moins d'un Etat voyou, mais simplement de la vérité. Sa quête quand on ne la connaît pas et sa divulgation immédiate quand on la connaît. L'histoire coloniale de l'Algérie doit cesser d'être une chasse gardée. Elle n'appartient ni aux politiques, ni aux historiens. Elle appartient à l'humanité entière. Cette histoire confisquée par un régime d'essence coloniale, les historiens devraient se résoudre à révéler ce qu'ils en savent. Ce serait déjà amplement suffisant. Au lieu de cela, certains préfèrent prendre part au rapt, et l'érigent en monopoles commerciaux abjects. Qu'ils sachent seulement que cette confiscation n'est pas anodine : pour les Algériens, leur passé colonial se conjugue de ce fait au présent. Un jour prochain où ils renoueront avec la liberté, ils exigeront des comptes, et des repentirs, non pas sur des douleurs lointaines qu'ont subies leurs ancêtres, mais sur les mutilations qui leur sont infligées dans les temps présents. Les crimes de Bugeaud, de Saint-Arnaud, de Bigeard et autres Aussaresses apparaîtront alors comme secondaires au regard de ceux qu'ont commis Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Smaïn Lamari, Mohamed Lamari, Toufik-Mohamed Mediene, Mohamed Touati, Yazid Zerhouni, Ali Tounsi, Abdelmalek Guenaïzia, Abbès Gheziel, Bachir Tartag, Mehenna Djebbar, etc. Et toutes les razzias de la conquête coloniale relèveront de la broutille en comparaison des spoliations tous azimuts qui sont menées sous Bouteflika, Chakib Khelil, Ahmed Ouyahia, ainsi que tous les membres de tous les gouvernements des vingt dernières années. Et tous les députés et les sénateurs qui empochent le salaire de leur trahison aujourd'hui même s'étoufferont de honte. Et les journalistes algériens qui ont couvert cette entreprise criminelle d'envergure durant des décennies vivront pour l'éternité dans l'infamie. C'est ce tour de force-là qu'a réussi ce régime abominable, rendre impossible toute transition douce en compromettant jusqu'à l'irrémédiable ceux qui auraient dû contribuer à le faire tomber. C'est pour cette raison même que l'Algérie, un peuple réputé parmi les plus frondeurs au monde, ne parvient pas à s'extraire des ténèbres de l'hiver séculaire pour hasarder de vivre son propre « Printemps ». ======================================================== 1.Bibliothèque Médicis, Public Sénat, LCP, 19 novembre 2011. 2. Alexandre Arcadi a bénéficié d'amples latitudes de la part des militaires algériens pour tourner son adaptation d'un roman du DRS (sous la plume de Yasmina Khadra). Accessoirement, les terroristes islamistes ont fait aussi taire leurs récriminations durant ce tournage, qui s'est déroulé sans incident. 3. Abbane Ramdane a été étranglé sous les ordres de Abdelhafid Boussouf, avec la complicité de Krim Belkacem et Ben Tobbal, et de Belkacem Chérif. Son tort, vouloir ancrer l'Algérie indépendance dans la démocratie, la modernité, le pouvoir civil, alors que ses protagonistes étaient des militaires. 4. D'ailleurs, Khaled Nezzar n'hésite pas à invoquer le fait que la justice antiterroriste française l'ait absout de ses crimes. Rappelons que le juge antiterroriste au moment des faits a pour nom Jean-Louis Bruguière, un faussaire devant l'Eternel, et sans doute à sa manière complice des crimes qu'il avait pour mission d'instruire. Pour mémoire aussi, alors qu'un juge avait jugé recevable la plainte d'un Algérien, Khaled Nezzar avait alors été exfiltré par les services français. Et qu'il n'a remis les pieds qu'après ferme promesse qu'il ne lui arriverait rien de fâcheux. 5. Ali-Ammar Mohamed, Leila Aslaoui, Zohra Drif-Bitat, Abderrahmane Boutamine, Rachid Boudjedra, Abdelmadjid Bouzidi, Miloud Brahimi, Ahmed Djebbar, Ali Haroun, Hamid Lounaouci, Réda Malek, Issad Rebrab, Rabah Zerari dit « Cdt Azzedine », etc. http://www.lexpressiondz.com/actualite/145411-petition-en-faveur-du-general-khaled-nezzar.htmlRAT 6.C'est la justice civile française qui a cette fois rendu ce verdit lors du procès intenté par Khaled Nezzar contre Habib Souaïdia qui l'a accusé publiquement d'être « responsable de 150 000 morts ». 7.Un défilé est apparu sur I-Télé pendant quelques minutes, avant de disparaître irrémédiablement.