Le mouvement national algérien, notamment le parti indépendantiste, a vécu plusieurs phases. La première commence de 1927 à 1937 que Mohamed Harbi, dans son livre intitulé le « FLN, mirage et réalité », appelle la période héroïque. En effet, l'étoile nord africaine (ENA) refuse catégoriquement la compromission. Bien que ce mouvement ait été précédé par des organisations acceptant sans ambages la domination coloniale, son successeur, le PPA (Parti du peuple algérien), réunit également des militants dont le mot d'ordre est de juguler le joug colonial. Cette ligne politique va prévaloir jusqu'aux événements de Sétif et Guelma en mai 1945. À partir de cette date, la donne change littéralement. Désormais, entre les partisans du passage immédiat à l'action armée et ceux qui prônent la retenue, les lignes de clivage se dessinent nettement. A la demande pressente de la base d'en découdre avec le système colonial abhorré, la direction du parti tergiverse et puis décide de soutenir le mot d'ordre d'une insurrection. Toutefois, l'adhésion au sommet de la direction n'est pas totale. En effet, l'ampleur de la décision divise les dirigeants du PPA clandestin. Bien que l'ordre soit donné, « peu avant le 23 mai, des membres de la direction, dont Abdoun et Chawki Mostefai, arguent de la connaissance du projet par l'administration et reviennent sur la décision du comité directeur. Le contre-ordre parvient trop tard à Dellys, à Tigzirt, à Saïda et à Cherchell où il y a des sabotages, suivis d'arrestations », note à juste titre Mohamed Harbi. D'une façon générale, les événements de mai 1945 montrent la fragilité du parti de Messali. Bien que le but soit le recouvrement de l'indépendance, le parti ne définit pas clairement le moyen d'y parvenir ni les moyens à utiliser. En dépit de l'amnistie générale de mars 1946 et malgré le retour de Messali en Algérie en octobre de la même année, les tensions ne s'atténuent pas. En tout cas, Messali adopte d'emblée une position –et c'est le moins que l'on puisse dire –ne satisfaisant pas les attentes des activistes. Selon Mohamed Harbi, « Il crée le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) pour pouvoir présenter, malgré l'interdiction du PPA des candidats aux élections législatives de novembre 1946 ». Cette décision désempare la base. En effet, bien que Messali réussisse à convaincre le comité central, les activistes fulminent contre ce choix inapproprié de participer au jeu électoral sous l'égide des autorités coloniales. Car, depuis mai 1945, ils n'arrêtaient pas de vilipender la compromission des modérés. Or, après la décision du parti, ces radicaux doivent effectuer un virage à cent-quatre-vingts degrés. Cependant, harcelée par une base mécontente, Messali fait une concession. Pour calmer les frondeurs, il convoque une conférence de cadres et non un congrès, un vœu de la base. « La conférence des cadres se tient à la Bouzereah dans la banlieue d'Alger en octobre 1946. Messali, LAhouel et Maiza défendent la participation aux élections. Leurs adversaires, Omar Oussedik, Tayeb Boulahrouf et Amar Ould Hamouda préconisent la clandestinité totale et la préparation immédiate de la lutte armée », écrit Mohamed Harbi. De toute façon, la conférence n'accouche d'aucune décision majeure. La défaite du courant activiste est cuisante. Toutefois, ces derniers ne s'avouent pas vaincus. Nonobstant le choix du parti, la base n'en démord pas. De cette pression sans relâche, un comité de vigilance est né. Il est animé notamment par Ouali Bennai et deux autres collègues. Ce comité avance deux propositions. La convocation d'un congrès et le remaniement des organismes dirigeants. Par ailleurs, les élections de novembre 1946 servent par ricochet leur thèse. En effet, dans plusieurs villes, les autorités coloniales ont invalidé les listes du MTLD. Du coup, la direction ne peut pas ne pas accéder à la revendication du comité de vigilance. Néanmoins, bien que la base soutienne sans vergogne les activistes, notamment en Kabylie et dans le Constantinois, la direction fait en sorte que leur représentation soit limitée. Le 15 février 1947, le parti tient enfin son congrès. Ces travaux se tiennent en deux temps. D'abord à Bouzareah et puis à Belcourt. Citant Omar Oussedik, Mohamed Harbi écrit, « Il y a 55 congressistes. 20 délégués représentaient l'Oranie, l'Algérois, l Constantinois et la Kabylie. Le reste se composait des membres de l'appareil ». D'une façon générale, le congrès élude toutes les questions qui fâchent. Le débat est focalisé sur la participation ou non aux élections. En plus, les rivalités de personnes faussent le débat sérieux. À vrai dire, deux groupes luttent pour le contrôle du parti. Le premier est appelé « groupe d'Alger ». Il a pour chef de file Hocine Asselah. Acceptant de jouer le jeu légal, ce groupe reçoit le soutien de Messali. Quant au second, ses soutiens sont en Kabylie, dans le Constantinois et Oran ville. Il a pour chef de file Mohamed Lamine Debaghine. D'après Harbi, « ce groupe passe pour le plus radical et tient son autorité de sa fidélité à l'orientation donnée au parti en 1939… » Analysant ce congrès quelques années plus tard, Messali dira : « [le congrès] s'est déroulé dans une atmosphère de méfiance et de règlement de comptes. Aucun des problèmes et des événements écoulés n'a été sérieusement étudié. Ce fut plutôt des intrigues, des luttes de clans et la course au pouvoir ». En fin de compte, les congressistes parviennent à dégager des compromis. En tout cas, l'objectif primordial étant d'éviter la dislocation du parti, le congrès adopte des résolutions conciliantes. « Dans tous les domaines, les décisions du congrès reflètent les principales thèses en présence. Sur le plan de l'organisation, le mouvement est divisé en trois branches : le PPA clandestin, le MTLD légal et l'organisation spéciale (OS). Le MTLD doit développer une action publique pour la conquête des masses et lutter contre l'orientation des mouvements PCA, Oulémas, UDMA, considérés comme réformistes. L'OS doit préparer la révolution armée. Quant au PPA, il doit veiller à ce que le MTLD ne sombre pas dans l'électoralisme », écrit Mohamed Harbi. Quoi qu'il en soit, pour ne pas être soupçonnés de modérés, les délégués votent à l'unanimité l'octroi des moyens nécessaires pour développer l'OS, l'organisation militaire du parti. Mais pour définir la position du parti par rapport à l'option électoraliste, la direction recueille certes une majorité, mais pas un plébiscite. En effet, la proposition de Messali en faveur de la participation rassemble seulement 29 voix sur 55. Par conséquent, lors du choix des dirigeants, l'alliance entre Messali et les « partisans de l'union nationale avec la bourgeoisie », pour reprendre l'expression de Mohamed Harbi, contrôle le parti. Quant au groupe des radicaux emmené par Lamine Debaghine, celui-ci ne contrôle que le Comité central. Bien qu'il y ait quelques-uns de ses soutiens au bureau politique, ce dernier est acquis à Messali. Finalement, le congrès n'a pas vraiment éclaté l'abcès. Bien qu'ils veuillent tous rompre avec le système colonial, à l'intérieur du parti, ces cadres ne sont pas d'accord sur le moyen d'y mettre fin. Pour éviter d'éventuels clashs, les congressistes se séparent sans donner au parti des statuts. « Seule la bureaucratie du parti a des droits réels. Les militants ne sont que des exécutants. La solution des conflits éventuels entre dirigeants ne dépend pas d'eux. Le caractère équivoque des décisions du congrès et la rivalité Messali-Debaghine annonçaient les orages futurs », conclut Harbi sur le congrès de février 1947. De cette rivalité, l'avantage tourne très vite en faveur de Messali. En 1949, lors de la crise berbériste, Lamine Debaghine est exclu ainsi que d'autres radicaux. Cela dit, leur élimination ne permet nullement l'homogénéisation du parti. Entre les anciens alliés, Messali et Lahouel, le courant ne passe plus. Après l'éloignement de Messali par les autorités coloniales, le parti est quasiment entre les mains des réformistes. « En 1951, le PPA, déjà en ligne de mire, fut finalement supprimé par la direction au motif des frictions existant entre PPA et MTLD. L'OS fut dissoute par une direction légaliste », écrit Gilbert Meynier. En décembre 1953, Messali tente de reprendre le contrôle du parti. Le comité central recule mais ne cède pas. En somme, l'intransigeance du comité central provoque la scission du parti. De cette lutte, les activistes, longtemps dénigrés par les uns et les autres, reviennent sur le premier plan de la scène. Désormais, ils ont leur propre organisation dénommée le Front de libération nationale, le FLN.