Abdelkader SAHRAOUI : Les responsables du PPA fondèrent pour la lutte légale un nouveau parti : le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD). Sur la plateforme politique de l'Algérie se trouvaient en outre le Parti des Oulamas, celui de l'UDMA et le PCA. Ces partis pouvaient envoyer des délégués dans le cadre de la République française pour former avec les représentants du pouvoir colonial la politique communale dans l'Assemblée nationale algérienne. Le parti national, le MTLD, accepta les règles du jeu en conservant une plateforme politique qui devait lui servir à informer le peuple algérien, à l'organiser et à être préparé au maximum pour la lutte de libération. Le pouvoir colonial français avait conscience de ces faits, mais sa position de puissance lui paraissait tellement établie, qu'il pouvait tolérer cette activité politique. Par la pratique des représailles politiques contre le peuple algérien, ce pouvoir avait la conviction de posséder les organes nécessaires pour pouvoir contrecarrer tout danger à l'avance. Le MTLD fut fondé par les responsables sans consultation préalable avec la base : ainsi naquit une habitude qui devint une constante de ce parti : l'intelligentsia de ce parti concevait la politique que la base avait accepter. Les militants de ce parti formés à l'école de la clandestinité étaient tellement disciplinés et obéissants qu'une fonction de contrôle de la base par le sommet était inexistante. Lors d'un congrès tenu clandestinement par ce parti en février 1947, les leaders décidèrent de fonder une organisation clandestine paramilitaire où tous les militants désirant la lutte armée trouveraient leur place (Harbi, Aux origines du FLN). Beaucoup d'hommes politiques dans ce parti voyaient dans la voie légale non seulement un moyen mais aussi un but. Ils furent aisément corrompus par le parlementarisme et la bureaucratie de ce parti : « Il n'y a pas à le cacher, certains de nos élus, conseillers municipaux, députés et délégués à l'Assemblée algérienne, se sont laissés moralement corrompre et gagner par l'impérialisme français » (Rapport de Messali au congrès d'Hornu). Les organes bureaucratiques du parti formaient une organisation macro-politique, les sphères décisionnelles formelles de ce parti étaient tout d'abord le Congrès national qui définissait la politique du Parti et qui nommait le président et le comité central, organe principal du Parti entre les congrès, et le Bureau politique nommé par le comité central et comprenant de 8 à 10 membres, et qui devait appliquer les décisions du comité central. Messali Hadj était très favorisé dans ce jeu du pouvoir à cause des multiples détentions auxquelles les Français l'assujettissaient et il fut élu sans contestation président de ce parti. Vers la lutte armée : la scission du MTLD Le MTLD remporta une grande victoire dans les élections municipales d'octobre 1947. Le pouvoir colonial réagit en truquant de façon inédite les résultats des élections législatives de 1948 et 1951. Ces fraudes combinées avec des arrestations massives des représentants du MTLD devinrent chose courante dans la vie politique de l'Algérie. La politique de répression pratiquée par le colonialisme posa de façon sérieuse pour le parti la question de savoir si l'on devait quitter le plan légaliste et renforça au sein du parti le groupe qui s'était prononcé pour la lutte armée. Ce groupe était déjà prêt pour l'action militaire dans l'Organisation spéciale (OS). Trois membres qui avaient formé le Comité de direction dirigeaient l'OS et cinq chefs régionaux assuraient une fonction de contrôle. Sur le plan de l'organisation, la structure était caractérisée par une atomisation des groupes. Ces troupes d'élite étaient formées dans les armes, la technique de guérilla et la méthode idéologique. Cette armée avait complété sa formation en 1949. Mais ses membres furent contraints à l'inaction. Cette situation exigeait de leur part une autodiscipline considérable. Cette prestation élevée se comprend dans l'esprit de sacrifice de ces hommes. L'inactivité de cette organisation fut ultérieurement expliquée ainsi par Mohamed Boudiaf : « En réalité, la décision de création de l'OS était le résultat d'un compromis et d'un équilibre entre les tendances réformistes et dures du parti. Elle ne répondait aucunement à une orientation politique intégrée dans une stratégie d'ensemble et visant au déclenchement d'une insurrection armée, comme ont pu le penser les militants de l'OS. Cette remarque a son importance car elle explique dans une grande mesure les aléas et les difficultés que connut l'OS au cours de sa brève existence » (M. Boudiaf, L'OS dans la préparation du 1er novembre, El Djarida n° 8, fev 1970). La dissolution formelle de l'OS fut accueillie avec soulagement par les politiciens corrompus du MTLD qui se servaient du légalisme de ce parti pour alimenter leur mode de vie épicurien. Ils expliquèrent la dissolution de l'Organisation par un complot colonialiste (Harbi, Aux origines du FLN). Ainsi furent créés les facteurs de la scission du MTLD. Ces facteurs étaient principalement au nombre de deux : le premier était la situation internationale et l'échec de la voie légaliste. Déjà en août 1947, Cadi Abdelkader, membre du Groupe musulman indépendant pour la défense du fédéralisme algérien, avait averti la France : « Les événements tragiques d'Indochine et de Madagascar constituent un avertissement qu'il serait imprudent et coupable de négliger. L'exemple actuel de la vieille Angleterre accordant l'indépendance à son empire situe le problème mondial et l'avenir des peuples coloniaux… Nous voulons nous administrer librement, démocratiquement en Algérie. Nous sommes majeurs, nous avons une personnalité et nous avons payé largement l'impôt du sang. Ce que j'affirme ici d'une façon péremptoire, 8 millions de musulmans du plus petit au plus grand, le répètent dans l'intimité de leur demeure. Prêtez l'oreille attentivement à ce formidable murmure, car vous n'êtes plus seuls dans le monde susceptibles de l'entendre. » (Intervention à l'Assemblée in Grosser, La IVème République et sa politique extérieure). Et Bourguiba conseillait à Ferhat Abbas de s'allier avec Messali : « … La conjoncture internationale nous offre une chance unique d'en finir avec la vie de misère, d'humiliation et d'abaissement que nous impose le colonialisme français. Des compétitions internationales particulièrement sévères nous ouvrent des perspectives insoupçonnées… … Et ne vous laissez pas hypnotiser par cette Union française. Car elle apparaît bien aujourd'hui comme une suprême manœuvre d'un colonialisme aux abois, une sorte de baudruche en peau de lapin. » (Lettre du 26 juillet 1946 in Bourguiba, La Tunisie et la France). Les militants algériens dans les organisations de base considéraient l'année 1953 comme l'année de la lutte armée en Algérie : en Indochine, le Viet-minh saignait l'armée française (Jacques Chevallier, Nous les Algériens…), les combats armés en Tunisie et au Maroc avaient mis en branle tout l'édifice colonialiste français en Afrique du Nord. Le second facteur était la situation interne du parti. Pour les militants convaincus que devait être mise en marche l'étape de la violence programmée depuis 1947 lors de la fondation du MTLD, la voie légaliste était fermée. Les explications au sein de l'Assemblée algérienne entre les délégués algériens et colonialistes s'étaient révélées irrelevantes pour la libération de l'Algérie. Cette institution fut dénoncée comme élément de tromperie dans la stratégie colonialiste par les patriotes responsables dans ce parti. La participation de Hocine Lahouel, chef du Comité central et Secrétaire général du Parti, au Conseil municipal et sa position d'adjoint au Maire Jacques Chevallier sont vues comme une « collaboration » avec l'administration. La pierre de touche qui amena à l'explosion des forces centrifuges qui existaient dans ce parti était la lutte du pouvoir qui avait éclaté entre le Comité central et le Président Messali Hadj à la suite du Second congrès du parti à Alger (4-6 avril 1953). Ce conflit au sommet de la pyramide était né pour la raison suivante : à l'occasion du congrès, le Comité central voulait diminuer les attributions du pouvoir de Messali Hadj et poursuivre une direction collégiale et démocratique du parti. Messali contraint à l'exil permanent avait l'habitude d'élire directement le Comité central. C'est ainsi que naquit une confrontation qui se situait en dehors de la réalité historique de l'Algérie. Messali Hadj qui considérait le parti comme sa propriété privée congédia en septembre 1953 le Comité central nouvellement élu et voulut la domination absolue du parti. Hocine Lahouel, au nom du Comité central, refusa d'être congédié et proposa au président de convoquer un nouveau congrès pour résoudre les litiges. Messali Hadj répondit en faisant directement à la base du parti et en fondant un « Comité de salut public » qui devait préparer « son » congrès. Le Congrès des Messalistes eut lieu à Hornu, en Belgique du 13 au 15 juillet 1954. Ce Congrès élit Messali Hadj président à vie et retira à l'ancien Comité central son mandat. Le Comité central répondit en convoquant son propre congrès qui décidé l'exclusion de Messali Hadj (Alger 13-16 août 1954). En niant réciproquement la légitimité pour représenter le peuple algérien, les Messalistes et les Centralistes préparaient l'évènement du Front national de libération. Messali Hadj était favorisé auprès des membres de son parti par son discours révolutionnaire. Il savait attribuer à l'attitude déviationniste du Comité central les conséquences négatives du problème de la stagnation de l'Algérie face à la France et au reste du monde. Son discours intégrant les critères classiques de l'anticolonialisme et du marabout-islamisme fut d'autant mieux accepté par la base du parti que Messali Hadj, par son exil constant et les contraintes qui lui avaient été imposées, était généralement considéré aux yeux du parti et du peuple algérien comme un martyr. Cependant, l'action armée promise par Messali lors du Congrès de Belgique fut encore exclue. Les intentions véritables de Messali Hadj devinrent claires : il voulait se concentrer sur la réorganisation du parti, continuer la voie politique légaliste, tout en baignant dans l'auréole de son prestige personnel. Il écartait la lutte armée comme trop aventureuse (L'Algérie Libre, 22 octobre 1954), d'autant plus que le territoire algérien était proche de la France et que cette nation colonialiste possédait le potentiel de l'OTAN et disposait d'un soutien d'un million de colons européens en Algérie. Lire le dossier au complet : Abdelkader SAHRAOUI : Islam et Libération de l'Algérie